Genesis – Calling All Stations (l’album de trop?)
Virgin Records
1997
Thierry Folcher
Genesis – Calling All Stations (l’album de trop?)
Après In Through The Out Door de Led Zeppelin, c’est au tour de Calling All Stations de Genesis de passer le difficile (et pas toujours objectif) examen de l’album de trop. Encore une fois, je tiens à préciser que les considérations qui vont suivre n’engagent que leur auteur en sachant que ce tout dernier témoignage studio a été plus ou moins bien reçu selon l’âge ou la vision artistique du public.
Retour en 1997, six ans après un énervant We Can’t Dance qui, pendant longtemps, a menacé d’être le dernier jalon de la carrière de Genesis. A cette époque, l’annonce d’un nouvel album fut accueillie comme un soulagement où se mêlaient aussi bien l’impatience que la curiosité. Car la grande sensation de ce retour était l’absence de son chanteur emblématique en poste depuis A Trick Of The Tail (1976). En 1993, Genesis est au plus haut et Phil Collins au plus bas (moralement parlant). Ses déboires sentimentaux mêlés à son éternel manque de confiance l’ont plongé dans un abîme de doutes où seul le travail lui permettait de maintenir la tête hors de l’eau. Sa carrière solo est un succès et Genesis n’est plus sa priorité. La tournée We Can’t Dance l’a éreinté et pendant la promotion de Both Sides (1993), il annonce à Tony Smith (manager et confident de Genesis) qu’il va quitter le groupe. Coup de tonnerre qui semble sonner le glas d’une formation chérie par toute une génération. Mais bizarrement (et encore aujourd’hui), la fin de Genesis n’a jamais été officiellement annoncée et bien qu’hypothétique, la sortie d’un nouvel album était toujours possible. Pour voir le jour, Calling All Stations a donc été confronté au difficile remplacement de Phil Collins. Pour le chant c’est Ray Wilson (ex Stiltskin) qui sera choisi et pour la batterie c’est la paire Nir Zydkyahu (frère de Tomer Z. de Blackfield) et Nick D’Virgilio (ex Spock’s Beard) qui sera retenue. Choix extrêmement audacieux et réussi pour cette nouvelle aventure qui aurait pu (dû) remettre Genesis sur des rails tout neufs. A ce moment là, Calling All Stations n’était certainement pas un album de trop, bien au contraire. Il pouvait être le tremplin d’un redémarrage inespéré et représenter l’annonce musicale d’un Genesis new look. Mais bien sûr, il ne fallait surtout pas stopper le bolide après cette sortie.
Avec le recul, la notion d’album de trop s’est vite imposée, tant d’un point de vue stratégique que d’un point de vue musical. Mettez-vous à la place du fan de la première heure (ou même de la seconde, post-Gabriel) qui a été biberonné au Nursery Cryme (1971), Foxtrot (1972) ou encore Selling England By The Pound (1973), celui qui se retrouva sonné par les départs successifs de Peter Gabriel et de Steve Hackett, mais qui gardait, malgré tout, une attache forte pour son groupe fétiche. Qu’a t-il pu penser, en écoutant ce tout dernier album avec un line-up explosé, une musique à des années-lumière de la grandeur passée, avec deux vestiges (Tony Banks et Mike Rutherford) ayant la tête complètement ailleurs ? Ce fan trahi vous dira que c’est certes un excellent album de Ray Wilson, mais sûrement pas un disque digne de la discographie de Genesis. Ce même fan vous dira qu’il a bien voulu endurer les déboires sentimentaux de Phil Collins sur l’attachant Duke (1980), qu’il a bien aimé aussi le déroutant Abacab (1981), mais que, sous aucun prétexte, il n’accordera de crédit à ce Calling All Stations qu’il s’autorisera sans peine à ignorer. Eh bien, malgré cela, je peux vous dire que certains ont bien aimé cet ultime effort studio et que, pour eux, Calling All Stations possédait de réelles qualités. On peut effectivement retenir le chant de Ray Wilson au niveau de ses deux prédécesseurs ainsi que la production aussi ronde que soyeuse, bien supérieure aux premiers enregistrements. Seulement voilà, pour moi, c’est tout.
Je suis un fan de la presque première heure et je ne peux décemment pas associer Calling All Stations aux grandes œuvres des années 70 (et même de années 80). La carrière de Steve Hackett (qui s’était fait jeter comme un malpropre) sera la meilleure compensation aux dérives artistiques imposées par le despotique trio. On est nombreux à dire que Wind & Wuthering (1976) fut le dernier grand album de Genesis. Tout ce qui va arriver par la suite sera de bonne qualité mais sans la magie qui faisait d’un « Supper’s Ready » ou d’un « Firth Of Fifth » des pièces d’anthologie à jamais inégalables. Je suis désolé de le dire, mais pour moi, Calling All Stations est encore un cran en-dessous des Invisible Touch (1986) et We Can’t Dance (1991) pourtant déjà critiquables. C’est mou du genou et sans aucune aspérité à laquelle s’accrocher. Le morceau titre « Calling All Stations » a peut-être entretenu un bref espoir mais la suite a complètement dégringolé. Le single « Congo » frise le ridicule dans un schéma aux gimmicks rabâchés et vraiment peu innovants. En fait c’est le mot pop qui s’impose le plus souvent (« Shipwrecked ») mais sans la luxuriance et la modernité d’un Blackfield par exemple. Les titres tournent en rond, en rajoutent inutilement et ont du mal à conclure. C’est boursouflé et même si quelques étincelles (« Not About Us ») se produisent ça et là, c’est l’ennui qui l’emporte inévitablement. Sans parler des moments douloureux (« If That’s What You Need ») dont on n’avait vraiment pas besoin. Sans rire, mettez ce dernier morceau à côté d’un « Entangled » ou « The Cinema Show », là, ça devient douloureux. Même par rapport aux albums plus récents, il manque le souffle épique et surtout le timbre percutant de Collins qui symbolisait à lui seul, une forme de continuité. Calling All Stations connaîtra un modeste succès commercial en Europe mais fera un bide outre-Atlantique où la tournée sera même annulée. Tony Banks et Mike Rutherford vont vite passer à autre chose et laisser le beau navire Genesis finir sa vie en queue de poisson et bien loin du bel hommage qu’il méritait. Les annonces de reformation du line-up légendaire vont capoter les unes après les autres jusqu’en 2007 et la publication du live When In Rome sur lequel le trio Banks, Collins, Rutherford n’inclura aucun titre de Calling All Stations.
Avant de m’atteler à l’écriture de cette rubrique, il a bien fallu que je réécoute Calling All Stations, depuis longtemps resté bien sagement sur son étagère. Et j’ai pensé : « tu vas voir que ça va te plaire ». Vu le contexte actuel du rock progressif où malgré l’abondance, peu de choses retiennent mon attention, ce dernier (trop long) disque de Genesis avait une belle carte à rejouer. Et bien, je peux vous dire que 24 ans plus tard, le constat est encore plus accablant. Je n’arrivais tout simplement pas à faire le lien avec la musique et l’esprit créatif du grand Genesis. Une accroche qui est toujours naturelle avec les derniers albums de Steve Hackett. Hormis la belle prestation vocale de Ray Wilson, ce petit test n’a fait que renforcer mon sentiment qu’il s’agissait bien d’un ratage, d’une chose complètement inutile sans émotion ni frisson, d’un album de trop, tout simplement.
Je me souviens également de ma déception quand j’ai acheté ce disque, qui ne ressemblait en rien à tout ce que le groupe avait fait auparavant. Je l’ai peu réécouté depuis sa sortie, seules émergent calling all stations et the dividing line, pour moi le meilleur titre de l’album. Mais est-ce encore du GENESIS? Ca aura au moins permis à Ray Wilson de se faire connaître mondialement, ce chanteur ayant produit un très bon « song for a friend » en 2017 objet d’ailleurs d’une de vos chroniques.
Amicalement à tous.
J’écoute encore cet album avec plaisir, il faut « simplement » faire abstraction du nom du groupe.
Et rien que pour avoir fait découvrir Ray, cet album a sa raison d’exister 🙂
Trois ans avant Genesis, Stiltskin avaient fait parler d’eux (on se souvient de la pub de Levi’s reprenant l’intro d » »Inside »). Il fallait vraiment avoir vécu dans une caverne entre 1994 et 1997 pour ne pas avoir entendu parler de Ray Wilson à cette époque…
Je suis fan de la première heure de Genesis et autant j ai tout détesté après and then they were three autant j ai adore calling station… A part mama toute la période Phil Collins en avant est de la guimauve genre face value… J adore calling station
Pathétique, déplorable….décevant ….dommage pour Ray wilson
Cet album est excellent. Encore aujourd’hui, je l’écoute régulièrement. Peut-être même plus qu’à l’époque. Et que dire du type au micro qui est largement au niveau de ses illustres prédécesseurs. Au moment de cliquer sur le lien, j’ai pensé qu’il y avait de l’ironie dans le commentaire. Visiblement non…
Le but de cette nouvelle rubrique est justement d’avoir ce genre de réaction. On a tous des affinités différentes avec Genesis et encore plus avec Calling All Stations. Une approbation générale à cet ADT aurait été frustrante. Merci surtout de nous lire et de partager vos points de vue.
Même si cet album n’est pas le meilleur de Genesis, loin s’en faut, l’arrivée de Ray Wilson aurait dû permettre à la formation de relever son niveau d’exigence tout en profitant de la superbe voix (proche de celle de Peter Gabriel) de leur nouveau chanteur. Quand le disque est sorti, quelques de fans (dont je fais partie) sont allés voir la tournée et ont eu le bonheur de remarquer que la prestation semblait indiquer une sorte de retour aux sources progressives du duo restant. Certes, Ray Wilson n’a pas le côté showman d’un Phil Collins, c’est pourquoi il n’était pas très à l’aise sur les derniers tubes, pop à souhait, du Genesis des années 80 et début des années 90. Si le groupe avait continué, il est certain que le niveau artistique des albums aurait été bien supérieur à celui des dernières années Collins (du reste, Calling All Stations est bien plus intéressant que Invisible Touch et We Can’t Dance.) On se réjouissait donc de la suite grâce à l’excellent choix d’engager Ray Wilson comme chanteur. Las, Mike et Tony, sans doute minés par l’appât du gain et la déprime de jouer dans des salles plus intimistes, ont préféré laisser tomber l’affaire. Et remplir à nouveau les stades en battant le rappel de Phil Collins pour la tournée des Grands Ducs de 2007. Genesis a ainsi prouvé qu’il était un groupe vénal faisant passer ses ambitions artistiques après son envie de prestige. Dommage car il vaut mieux une carrière « à la Marillion » honorable qu’une carrière « à la Genesis » discutable. Calling All Stations aurait pu être le début d’une ère nouvelle excitante pour l’antique Genèse. Et ce fut son chant du cygne.
Entièrement d’accord avec toi, Christophe. Tu rejoins ce que je dis dans la chronique, à savoir qu’il ne fallait surtout pas stopper l’aventure. Après, côté musique, j’ai beaucoup moins d’affinités même si Ray Wilson fut une belle alternative.
Très bon album ce Calling all Stations.
Thierry, tu préfères Invisible Touch ? c’est pas possible.
En fait, ni l’un ni l’autre. Mais Invisible Touch était dans une sorte de continuité artistique alors que Calling All Stations se démarquait complètement et promettait de lancer Genesis vers une nouvelle ère. Mais il ne fallait pas surtout pas s’arrêter là sinon ça ne servait à rien.
Cela s’est arrêté là parce que financièrement l’affaire était moins rentable.
Je viens de tomber par hasard sur cet article, et j’avoue que j’ai été choqué. Oui c’est vraiment le mot « choc » qui me vient à l’esprit quand je lis le commentaire. Alors bien sûr les préférences musicales sont toujours très subjectives, et ce n’est pas le meilleur album de Genesis, mais pour moi, c’est un très bon album, et enfin un retour au progressif qu’on attendait depuis le départ de Steve Hackett.
Fan absolu du groupe, j’ai bien sûr tous les vinyles, puis tous les CD, puis tous les SACD, toutes les archives, des enregistrements pirates, j’avais même été les voir à Milton Keynes en 1982 pour la reformation avec Peter Gabriel et Steve Hackett pour les rappels…
On retrouve enfin dans cet album les ambiances plus dramatiques, plus travaillées, plus prog et beaucoup moins poppy quoi…, des mélodies qui retrouvent leur superbe (Calling all stations, Not about us, Uncertain weather, Alien Afternoon…), la voix de Ray Wilson se marie magnifiquement bien, je me rappelle d’ailleurs qu’au concert que j’avais vu en 1998, sa voix était parfaite avec le titre « The Lamb Lies Down On Broadway » très largement au-dessus de celle de Phil Collins trop nasillarde.
Non pour moi enfin le retour de Genesis à ses sources progressives, mais évidemment trop prog pour se vendre, donc moins commerciales, et donc moins de ventes, surtout que le nom vendeur de Phil Collins n’était plus là…
Les ventes étant catastrophiques aux US, la tournée n’a pas pu se faire, et là c’est plus une décision des tourneurs que du groupe lui même, car cela aurait donner lieu à des pertes colossales, un peu comme le festival Womad de Peter Gabriel au début des années 80, qui avait poussé le groupe à lui proposer un concert de reformation en 1982 afin qu’il puisse se renflouer.
Je ne pense pas que les membres du groupe soient vénaux, mais le monde de la musique a des impératifs commerciaux, et une tournée ne peut pas se mettre en place s’il n’y a pas de garantie de rentabilité.
Donc pour moi excellent album de Genesis, malheureusement resté sans lendemains.
Tout d’abord, merci Philippe pour ton commentaire. Ta dernière phrase résume tout. Comme je le dis dans ma chronique, il ne fallait surtout pas en rester là et poursuivre dans cette voie qui ne demandait que confirmation. Dommage bien sûr et comme toi, j’ai été profondément chagriné par cette fin en queue de poisson. À présent, les goûts et les couleurs… , je pense qu’on arrivera jamais à être d’accord sur ce disque. Cette rubrique est toujours très commentée, c’est ce qui fait son charme. Et quand j’ai commencé cette chronique, je savais qu’il y aurait des réactions, c’est pour cela que j’ai fait preuve de prudence au tout début de mon analyse. Encore merci de nous lire et peut-être, à bientôt.