Steve Hackett – At The Edge Of Light
Inside Out
2019
Fred Natuzzi
Steve Hackett – At The Edge Of Light
Steve Hackett sort de nouveaux albums à alternance régulière depuis les années 2000, et à chaque fois, ils sont réussis. Il n’empêche, c’est toujours vers les années 70 que se tournent les fans, et les tournées successives n’ont fait qu’évoquer ce renouveau d’inspiration en choisissant un voire deux nouveaux morceaux à défendre en live. Et ce ne sont pas les projets Genesis Revisited qui ont arrangé la situation. Ce serait dommage que pour At The Edge Of Light ce soit la même chose. Et pourtant, la tournée qui s’annonce sera consacrée à Selling England By The Pound et à Spectral Mornings qui fête ses quarante ans. Steve Hackett ne jouera certainement que quelques morceaux de ce nouvel opus qui pourtant aurait mérité une plus belle visibilité. At The Edge Of Light reprend les grands éléments que Steve Hackett défend maintenant sur album : un peu de world music, un peu de symphonisme, quelques soli de guitares majestueux avec une maîtrise parfaite de son instrument, des mélodies évidentes et en plus, quelques références ici ou là à son travail passé dans Genesis ou en solo, ou à d’autres groupes comme Jethro Tull, Yes ou King Crimson par exemple. L’instrumentation est de haute classe, les idées s’enchaînent et sont parfois surprenantes. At The Edge Of Light est la continuation d’un voyage entamé il y a déjà pas mal d’années et, en cela, Steve Hackett ne se répète pas. Il est une figure du rock qui continue à composer des pièces originales et dont l’inspiration ne semble pas tarir.
La pièce d’introduction « Fallen Walls And Pedestals » n’a pas besoin de durer dix minutes pour nous embarquer dans le vif du sujet. En à peine un peu plus de deux minutes on a déjà pris le train proposé par le conducteur en charge, et on admire déjà les beautés des paysages qui défilent. C’est magistral et les soli de guitares sont tous extrêmement bien exécutés et hautement évocateurs. Puis, « Beasts In Our Time » calme déjà le jeu avec une ambiance digne de Darktown, voix assurée et aérienne, avec un très beau travail d’orchestration par le fidèle Roger King, excellent d’un bout à l’autre de l’opus. Les parties de flûtes sont assurées par le brillant John Hackett tandis que Rob Townsend nous sort un solo de sax magnifique. Une deuxième partie plus énervée rappelle qu’Hackett aime aussi les ambiances troublées. Avec « Under The Eye Of The Sun », on se croit embarqués dans une pop yessienne avec une basse très présente assurée par Jonas Reingold, une dynamique réjouissante dont le riff de guitare est simple mais efficace et avec Amanda Lehmann qui renforce les vocaux. C’est oublier la versatilité du bonhomme qui change de cap dès la troisième minute avec un passage digne de Voyage Of The Acolyte, son premier effort solo, avant d’obliquer vers une partie contemplative à base, entre autre, de didgeridoo et de flûte. Le riff yessien revient pour notre plus grand bonheur avec un solo d’anthologie. En grande forme le père Steve !
Le blues, Hackett l’adore. Mais il faut dire que ses essais n’ont jamais été une grande réussite. Alors quand résonne l’harmonica en intro de « Underground Railroad », on frémit. Mais on a plutôt droit à des vocaux quasi gospel par Durga et Lorelei McBroom avant que le dobro prenne la suite, donnant une couleur nord-américaine originale et inattendu au morceau. La diversité des ambiances règne et c’est encore une fois magistral, grâce à de très bonnes idées guitaristiques mais aussi à la juxtaposition des atmosphères. Le morceau de bravoure (mais pas forcément le titre le plus réussi), c’est « Those Golden Wings », et ses onze minutes encore une fois très variées. La frappe de Nick D’Virgilio est caractéristique ici et accompagne subtilement le morceau. Le travail des guitares d’Hackett est sublime et l’orchestration de cordes très bien utilisée, même si le tout est un peu grandiloquent par moments.
« Shadow And Flame » possède un son world assumé avec sa magistrale sitar assurée par l’excellente Sheena Mukherjee, qui nous convie à un voyage dépaysant. « Hungry Years » détonne un peu par un son gentillet, avec pourtant Jonas Reingold à la basse et Simon Phillips à la batterie. Seul un très bon solo de guitare se démarque… Les trois derniers titres sont indissociables. « Descent » et « Conflict », deux instrumentaux, induisent « Peace » qui clôt l’album. « Descent » est certes menaçant mais on est surtout frappé par son cousinage avec Genesis sur les sonorités de claviers ! Les deux instrumentaux font foi également d’un excellent travail sur les percussions, même si « Conflict » s’avère moins intéressant. Enfin « Peace » montre des velléités vocales qu’Hackett avait peu osées auparavant. On se croirait chez Muse avec ce piano démonstratif et ces vocaux émotionnels. On n’en est pas à la virtuosité de Muse sur ce plan-là, mais il faut saluer cette prise de position. Hackett se pose en vrai chanteur, lui à qui on a souvent reproché d’être fadasse. Et croyez-le bien, jamais je n’aurais pensé un jour rapprocher Muse de Steve Hackett !
Si je devais choisir entre Wolflight, The Night Siren et ce At The Edge Of Light, c’est bien ce dernier que je garderais, tant les qualités de chercheur musical de Steve Hackett révèlent toutes leurs facettes. On est assez souvent surpris, les soli de guitares sont fabuleux, le son choisi est abouti, les choix des parties juxtaposées sont cohérents (ce qui n’est pas forcément le cas à chaque fois dans les autres albums). Bref, tout concorde à faire d’At The Edge Of Light un des meilleurs opus de la carrière de Steve Hackett. Rien de moins. Je vous souhaite de faire un bon voyage en prenant place dans ce train vous conduisant au bord de la lumière et donc, à la limite des ténèbres.