dDT / Galaad – à l’Azimut (Estavayer-le-lac – Suisse)
2021
Christophe Gigon
dDT / Galaad – à l’Azimut (Estavayer-le-lac – Suisse), 27 novembre 2021
Ce samedi soir 27 novembre 2021, trop peu de personnes ont fait le déplacement pour assister à cette soirée helvète au bord du lac placée sous le signe du rock progressif. Jugez plutôt : un tribute band de Dream Theater comme hors-d’œuvre luxueux, suivi d’une prestation parfaite des maîtres Galaad, en tournée de promotion de leur dernier album Paradis Posthumes.
Une salle superbe, à l’acoustique excellente (même si le son pouvait être perçu comme un trop fort par certains) et un bar proposant d’excellentes bières lausannoises (Docteur Gab’s). Une fois encore, les absents auront eu tort. Mais attention : la pandémie de pantouflardise aiguë pourrait mettre à mal définitivement les organisateurs (dé)motivés de ce genre de soirées de haute volée.
Les cinq musiciens de dDT auront la très lourde tâche de prouver que la notion de groupe-hommage peut s’appliquer à une formation dont chaque seconde de musique nécessite une dextérité hors normes. L’attente fut donc empreinte de suspicion et de crainte. Il ne s’agit en effet pas, ici, d’un band de reprises de pub rock qui va nous jouer « Smoke On The Water » ou « Hotel California » ! L’entrée en scène, avec écran et images en lien avec les titres exécutés, achève de rassurer l’auditoire tout en le provoquant: le public aura droit à une sorte de digest du monstrueux album de 1999, Metropolis part. 2 Scenes From A Memory, le Graal des fans du combo américain. L’exécution apparaît comme correcte, les musiciens semblent indéniablement bons, mais force est d’avouer qu’il existe (évidemment !) encore un monde entre les reprises de ces cinq musiciens de talent et le « vrai » Dream Theater. Le contraire eut été consternant. Mention spéciale au chanteur, Michael Currat, qui possède un timbre très proche de celui de James LaBrie. Il se permet même le luxe d’atteindre les aigus plus souvent que son illustre modèle. Une très bonne surprise. D’autres titres suivront : « Stream Of Consciousness », « Take The Time », « Octavarium » et « Peruvian Skies » qui inclura des passages d’Animals de Pink Floyd et d’« Enter Sandman » de Metallica. Un groupe de reprises de haut niveau qui assume le risque de se frotter à la musique probablement la plus complexe de toute l’histoire du rock. Et qui s’en sort avec les honneurs. Chapeau bas.
L’arrivée sur scène de Galaad prouve de suite, si besoin était, le fossé qui peut séparer un groupe amateur d’une équipe professionnelle, qui se connaît par cœur et joue ensemble depuis trente ans. Le son est ahurissant de puissance et de clarté. La troupe joue serré, tout est parfaitement rôdé. Chaque son, chaque détail, chaque émail de production et chaque placement est scrupuleusement exécuté. À l’instar des plus grands (Marillion, Steven Wilson ou autres Steve Hackett), la prestation offerte par les cinq membres originels du groupe prévôtois s’avère tout simplement parfaite. L’impression d’assister à une performance qui aurait pu être vue à l’Hammersmith de Londres ou à L’Olympia de Paris est totale. Soulignons que la clarté sonore peaufinée par leur ingénieur du son attitré, Cary Montini, achève de transformer la fosse en auditorium Marantz ! La formation jurassienne semble être à son meilleur niveau alors qu’elle est formée de quinquagénaires ! Impressionnant ! Le batteur assure une frappe fine mais forte, le claviériste renvoie Tony Banks dans les filets de « Throwing It All Away » et le bassiste tricote sans discontinuer. Mention très spéciale au chanteur Pyt qui sait se transformer en véritable mage halluciné et sait captiver une foule comme peu avant lui (Fish de Marillion, Christian Décamps de Ange) tout en veillant également à respecter une pose de voix claire et précise, comme surent le faire si bien les ténors d’une chanson française de qualité (Léo Ferré, Jacques Brel). La palme reviendra au guitariste Sébastien Froidevaux dont le son de guitare touche toujours au sublime. L’élève a dépassé le maître (Steve Rothery de Marillion). Peut-être grâce à sa nouvelle guitare, une luxueuse Music Man modèle Luke (Steve Lukather de Toto). Galaad est l’égal des plus grands, mais (presque) personne ne le sait.
La rigueur de leur show atteint des niveaux de professionnalisme que l’on ne retrouvera que chez des orchestres œuvrant dans des sphères nettement plus conséquentes. Comment expliquer que le groupe n’en soit « que là » ? Un élément de réponse important pourrait se trouver dans le constat que chacun des individus privilégie désormais sa vie professionnelle et privée au détriment d’une « carrière » qui ne semble plus être au goût du jour. En effet, chaque musicien a un « vrai » travail et Galaad reste un hobby haut-de-gamme. Ce choix étonnant, mais compréhensible, d’autres l’ont fait avant eux. Que l’on pense aux excellents Anglais d’IQ ou aux Allemands de Chandelier. Cette dichotomie permet de n’injecter dans la musique que la seule passion, ne gardant les contraintes financières de rentabilité et de revenu que pour la vie professionnelle. Le concert fera la part belle au dernier disque, Paradis Posthumes, qui a comblé les amateurs du Galaad le plus énervé, celui de Vae Victis (1996). Un titre de Frat3r (« Stone »), une chanson de leur première œuvre Premier Février (sublime « Sablière »)… mais aucun extrait du Vae Victis déjà cité. On comprend que l’équipe souhaite prouver qu’il existe une vie après un chef-d’œuvre et que, depuis, d’autres perles sont sorties. Mais pas le moindre « Epistolier », pas de « Loi De Brenn » ni même de « Feu Et L’Eau » pour lier la sauce. Décevant mais pas étonnant. La maigre foule, tenue en hauteur par près de trois heures de Dream Theater et de Galaad, n’a pas exigé de rappel. Ce silence assourdissant pour un groupe qui n’attend, dans les loges, que de revenir, peut s’expliquer aisément : la densité de la musique et la certitude d’avoir assisté à un concert d’exception ont concouru à produire un effet de satiété, de « petite mort », d’apaisement mérité. Pour le public comme pour le groupe.
Photographies de Vincent Bélet