Galaad – Paradis Posthumes (+ interview)

Paradis Posthumes
Galaad
Auto Production
2021
Christophe Gigon

Galaad – Paradis Posthumes

Galaad Paradis Posthumes

Même pas deux ans après Frat3r, l’escouade helvète nous propose son dernier trésor épico-progressif: Paradis Posthumes. Dire qu’il a fallu attendre, entre le mythique Vae Victis (1996) et Frat3r (2019), vingt-trois ans ! La reformation du groupe, fin 2016, n’aura donc pas été un effet de manche pour musiciens du dimanche. On peut parler de deuxième vie et de second souffle pour Galaad, qui poursuit sa quête du Graal musical en essayant de courir après le temps passé manqué. Paradis Posthumes reprend ainsi les rênes de ce rock progressif flamboyant et mélodique chanté en français. Et avouons d’emblée que, dans ce style-là, il n’existe pas mieux. La recette est éprouvée : une section rythmique infernale, un guitariste mélodique impeccable, des textes intelligents et émouvants et une voix posée, maîtrisée et assurée. Le billet pour le paradis est acquis avant même d’en avoir ressenti la moindre secousse. Si Frat3r souffrait de comparaisons appuyées à son auguste prédécesseur, Paradis Posthumes semble proposer une mixture plus malaxée, qui n’hésite pas à offrir des séquences musicales libérées de toute contrainte ou autre autocensure de mauvais aloi.

Le court morceau d’introduction nous plonge dans une ambiance cinématographique que ne renieraient ni Ennio Morricone ni Quentin Tarantino. Avant que celle-ci se mue en gigue épique à la rythmique syncopée digne d’un « The Knife » (Genesis) ou d’un « Forgotten Sons » (Marillion). Le texte en latin nous ramène invariablement à Vae Victis alors que les chœurs masculins font le lien avec le single « Merci (puR) » offert en pâture avant la sortie de leur dernier disque d’alors. Les choses sérieuses commencent avec « Apocalypse », à la ligne de basse affûtée comme un Victorinox haut de gamme. Le Galaad énervé, celui de « Seul (Influenza) » ou de « La Loi De Brenn » revient nous visiter, pour notre plus grande volupté. La seconde partie de ce long titre se donne comme un hommage au Marillion de l’époque dorée. « Moments », le premier extrait connu dès l’automne passé, avait déjà été discuté sur notre blog. Splendide chanson au son de guitare cristallin strictement cloné sur celui de qui vous savez (Steve Rothery, de Marillion). Heureusement que le timbre de voix de Pyt, absolument exclusif, permet d’éviter de penser à Steve Hogarth ou Fish, les deux vocalistes du quintette d’Aylesbury (Angleterre). Grâce à cette voix unique et au soin porté à proposer une structure rythmique le plus souvent appuyée, la musique de Galaad sait se présenter comme parfaitement particulière et, le plus souvent, ne faire référence qu’à elle-même.

Galaad Paradis Posthumes Band 1

La boîte à rythme qui lance « Le Rêve D’Unité » permet d’ajouter une couleur inattendue avant qu’une saillie imposée par un Pyt fâché (« Est-ce bien une catastrophe ? Qu’un katana te découpe en strophes !« ) remette la locomotive sur les rails de ce que Galaad sait le mieux faire. A relever que le refrain joue (tant musicalement que textuellement) de clins d’œil avec le titre « Seul (Influenza) » ; les fans apprécieront. « Amor Vinces », deuxième single, dévoile peut-être le côté le moins captivant de Galaad : un rock énervé, voire alternatif, sans surprise avec, une fois encore, un recours au latin afin d’en assurer le maintien. « La Douleur » frappe au ventre, tant par son propos que par la forme qui le transporte, aidée de cris esseulés et de guitares écervelées. « L’instinct, L’Instant » propose une ambiance très proche de celle qu’a architecturée le Marillion de Sounds That Can’t Be Made ou F.E.A.R., leur dernière œuvre qui semble faire l’unanimité parmi les aficionados du groupe. Là encore, les chœurs vaillants s’en donnent à cœur joie. Heureusement, la séquence « électro » qui coupe « Ton Ennemi » par le milieu prouve que Galaad semble encore parfois capable de s’extraire de son armure : passage étonnant et efficace qui va, insensiblement, se muer en ritournelle faussement celtique exécutée par des lignes de guitares que se fera un plaisir de chanter le public en concert. Ambiance Fugazi (Marillion) assurée ! « Paradis Posthumes » commence comme « Run Like Hell » du Pink Floyd de The Wall avant qu’une batterie tribale « à la Yes » n’invite les chœurs (encore !) à venir festoyer avec la troupe. « Jour Sidéral » nous ramène au sublime « Sablière » de l’album Premier Février grâce à sa suite d’accords au piano de toute beauté. Il s’agit, plus qu’une chanson, d’un morceau-montage composé de plusieurs séquences qui se suivent et ne se ressemblent pas, comme la vie. La troisième section (« Au Bout De Mon Histoire ») compte parmi ce que Galaad a pu produire de plus émouvant, passé le solo de claviers au son volontairement daté, censé rappeler les meilleures notes du classique « L’Epistolier ». Là, Pyt mesure son deuil en rendant un hommage bouleversant à son père disparu en 2006. Qui retiendra ses larmes au son de l’hymne « Adieu mon père, la route est belle, un jour je rejoindrai le ciel. Nous ne faisons qu’un, nous ne faisons qu’elle, cette lumière… éternelle ». ? Cette mélopée, doublée par la guitare éplorée de Sébastien Froidevaux, sert également à nous ramener à ce tout qui fait la force de ce groupe : la puissance évocatoire et l’émotion jubilatoire. Après un tel climax, la plus ordinaire « Divine » semble un peu anecdotique, même si la fin, chaleureuse, nous rassure quant à l’éventualité d’un prochain opus.

Avant de proposer un verdict totalement subjectif et parfaitement assumé, essayons-nous à un peu de philosophie. En littérature, les hommages, emprunts, résonances, échos et autres relectures forment un terreau fort honorable dans lequel adorent piocher les universitaires. C’est ce que l’on appelle l’intertextualité. Et c’est tout à fait recommandé puisque cette pratique prouve que l’humanité, grâce à la transcendance artistique, non seulement se répond, d’un siècle à l’autre, mais accède à un creuset immatériel donné de toute éternité. Et accepte que l’originalité n’existe jamais vraiment. L’inspiration non plus. Seule existe la rigueur. Comme le dit Pyt, notre première inspiration, à la naissance, n’est déjà plus originale. Face à ce constat, reste le travail. Comment agencer nos références afin d’en digérer le substrat magique ? Et c’est bien la réponse à cette question qui orientera l’avis. Ainsi – et ce compte rendu passionné le prouve – Galaad n’a pas souhaité se forcer à ne pas utiliser certains sons ou textures qui, il le sait, feront immanquablement penser à Marillion, Genesis, Pink Floyd ou Yes. C’est un choix audacieux. Soulignons également que, l’essentiel du temps, Galaad ressemble surtout à…Galaad. Et ça, c’est encore une autre pierre d’achoppement pour le critique curieux, fidèle mais…volontiers quérulent ! S’il est bien vrai que Galaad ne ressemble à personne et que personne n’aurait l’audace de se mesurer à cet intrépide chevalier, force est d’avouer que l’équipe nous propose un disque magnifiquement abouti, au son hollywoodien (quelle classe ce Caryl Montini !), mais qui ne se démarque pas assez de Frat3r, qui lui-même ressemblait beaucoup à Vae Victis (la surprise en moins !). Même si le contrôle-qualité reste optimal (on parle bien ici d’un excellent album !), on a un peu l’impression que Galaad fait son Neal Morse : toujours un peu le même (magistral) disque. Galaad a voulu offrir à son public la galette ultime, celle qui contiendrait exactement, et en quantité pléthorique, tout ce que le fan souhaitait entendre. Et c’est parti pour les soli de guitare et de claviers à foison, pour les textes puissants et expressionnistes, pour les chœurs héroïques et les citations latines de si savoureuse mémoire.

Galaad Paradis Posthumes Band 2

Alors, ne s’agit-il que d’intertextualité ? De manque d’audace ? De recherche de sécurité ? Probablement que la réponse doit se lover dans cette envie immensément marquée, qui anime la troupe, de produire l’album « parfait » de Galaad, la synthèse totale et panoramique de toutes les armes d’airain que sait fourbir ce groupe admirable. Et ainsi de faire plier l’auditeur transi. On ne pourra ainsi jamais leur reprocher de ne pas avoir tout donné ! Mais trop et trop peu gâchent tous les jeux. Dans Paradis Posthumes, il y a trop de classic Galaad. On trouvera plus facilement des choix audacieux dans la carrière (passionnante) que mène Pyt en solo. D’ailleurs, on pourrait conclure cet essai par les deux petites phrases, pétries de bon sens, que l’auteur a déposées dans un message électronique avisé :
« Enlève-toi encore de l’idée qu’une surprise doit absolument venir de nous, sans nous ranger, à l’inverse, dans un silence où tout est dit. Essaie de voir, à travers tout ça, le sursaut de vitalité adolescente d’une bande de vieux papys cernés de vieilles habitudes. »
On ne saurait mieux dire. Les papys ont la pêche. Le son est au top. Chacun joue aussi bien, voire mieux, qu’à l’époque. Galaad a trouvé le Graal. Et c’est bien cela qui est dommage.

http://www.galaad-music.ch/

 

 

Pyt, le chanteur de Galaad, a invité Christophe Gigon, de Clair & Obscur, chez lui, à Moutier, dans le Jura suisse, pour déguster une mythique fondue tout en écoutant et discutant les onze pistes du nouvel album Paradis Posthumes. Questions et réponses…à chaud, accompagnées de vin blanc frais !

Galaad Paradis Posthumes Band 3

Pyt chez lui

Clair & Obscur : Vingt-trois ans séparent Vae Victis (1996) de Frat3r (2019). Votre nouvel album, Paradis Posthumes, sort ce mois-ci (mars 2021), deux ans seulement après. Vous essayez de rattraper le temps perdu ?

Pierre-Yves Theurillat (Pyt) : On était dans un bon élan, une bonne dynamique avec Frat3r, on était heureux de revenir sur scène, de refaire parler de nous…vingt-trois ans après ! Merveilleuses retrouvailles avec la scène et avec le public. On a d’ailleurs pu remarquer qu’un nouveau public avait rejoint les rangs. Un public fidélisé qui connaît et chante les paroles, qui nous connaît et nous suit. On n’a pas perdu de temps puisqu’il nous a fallu vingt mois pour créer Paradis Posthumes ! On a été efficaces mais pas au détriment de la musique. C’est avant que l’on a perdu du temps. Mais on est un autre groupe à présent, c’est une autre période. On ne rattrapera jamais le temps perdu mais on essaie d’être à la page…maintenant !

C&O : Même si vingt-cinq ans séparent Vae Victis de Paradis Posthumes, ces trois albums semblent former une unité de ton, de style, de compositions. S’agirait-il, en fait, d’une trilogie ?

Pyt : (Très longue hésitation, ndlr) Si c’est une trilogie, alors elle est involontaire. On ne l’a pas pensé ainsi mais c’est vrai que du point de vue de nos références (Marillion a aussi produit sa trilogie avec Script For A Jester’s Tear, Fugazi et Misplaced Childhood), on peut retrouver une proximité, tant musicale que textuelle. Paradis Posthumes n’est pas un album conceptuel même s’il donne l’impression de l’être. Il possède une unité de ton et de style, il est d’un seul tonneau. J’ai beaucoup écrit de textes qui n’ont pas été gardés. Ils ont été rédigés en parallèle aux musiques, tout a été « monté » en même temps. Trilogie ? Pourquoi pas ? Mais plutôt avec le prochain album, la trilogie commencerait donc avec Frat3r en 2019, Paradis Posthumes en 2021 et l’album suivant en 2024. Ce n’est pas inimaginable même si ce n’est pas vraiment ce dont on parle maintenant. On a tellement composé ces derniers mois que l’on pense davantage à produire un album live, ce que Galaad n’a encore jamais fait.

C&O : Galaad possède une identité forte, que l’on retrouve de Vae Victis à Paradis Posthumes. Après quelques secondes d’écoute, l’auditeur sait qu’il a affaire à Galaad. On peut dire de même de Pink Floyd, Mark Knopfler ou Yes. L’apanage des grands. Qu’est-ce qui forme l’essence ou la « griffe » Galaad, selon toi ?

Pyt : Galaad a un pied dans la musique actuelle (rock, metal) et un autre pied très ancré dans la recherche de mélodies et dans la pose de la voix, qui possède une identité très forte. Mon timbre est particulier, je sais qu’il est original. Tout ça forme le son Galaad. J’oubliais : l’emploi et la place des synthétiseurs restent aussi un marqueur identitaire fort de Galaad.

C&O : Finalement, si on accepte l’idée que vos trois derniers albums forment une famille solide, soudée, saine et mature, que faire de cet ovni qu’était votre premier disque, Premier Février, sorti en 1992 ? Est-ce le bâtard de la famille ?

Pyt : Ce disque est un péché de jeunesse. On y avait pourtant mis la même énergie que pour Vae Victis mais, au final, ça sonne comme une démo : immature à jamais. Il faut dire que je me lançais dans l’écriture et dans les vocaux sans trop savoir vers quoi j’allais. On apprendra à mieux faire plus tard. Comment utiliser sa voix ou comment écrire une chanson, ce sont des choses que l’on ne savait pas. Ce qui a donné, certes, quelque chose d’assez unique (C’est le moins que l’on puisse dire ! ndlr.) mais d’assez immature. Ce n’est pas un album essentiel mais il est historique. Premier Février a au moins le mérite d’être un vrai disque de prog ! (Rires).

C&O : Les musiciens qui jouent sur Paradis Posthumes sont strictement les mêmes que ceux de Premier Février, il y a presque trente ans. Cela doit vous rendre fiers ?

Pyt : Oui ! C’est merveilleux ! Le retour de Gianni (claviers) et de Gérard (basse) pendant la période Frat3r a été magique. Et ce dernier a rattrapé le temps perdu d’un point de vue « basse » de manière sublime et Gianni n’avait rien perdu de sa créativité. Moi qui travaillais déjà, à l’époque, avec Laurent (batterie) et Sébastien (guitares), il a été agréable de constater que l’on s’est tous sentis très vite en confiance. Des retrouvailles splendides. La motivation est vraiment venue de nous tous.

C&O : Comment entretiens-tu ta voix exceptionnellement expressive ? Ton timbre, ta puissance et la précision de ton articulation sonnent exactement comme à vingt ans (alors que tu en as presque cinquante aujourd’hui), quel est ton secret ? Pas d’alcool ? Pas de cigarette ? Tu es vegan ? (rires) ?

Pyt : Tout juste ! (rires) Le chant, jusqu’en 1996, ne me rendait pas très à l’aise. Mais c’est tout mon être qui n’était pas très à l’aise à cette époque-là. Vocalement, j’apprenais. Mais c’est plus tard que j’ai pris des cours avec des professeur-e-s de chant classique. Ce que j’ai appris de fondamental, c’est de me sentir libre et ne pas être perturbé par le mental. Rester naturel, sensible et libéré. Le chant ne doit pas n’être qu’une souffrance ni un exutoire même si mon chant peut être colérique et primal. Mais c’est une libération et non plus une souffrance. Je suis moins ambitieux vocalement mais je maîtrise mon chant. Il est conforme à mes attentes. Avant, aller sur scène pouvait être affreux pour moi (Est-ce que je peux boire un verre avant ? Est-ce que je peux fumer une clope ? Etc.). Aujourd’hui, je ne m’inflige plus rien. Je suis libéré, je ne m’interdis rien mais je reste très concentré pendant les concerts. Je peux être spontané et vivre ce moment d’émotion. Vivre le texte et vivre ce bonheur d’être sur scène. Je n’écris pas de choses toutes faites. Je fonctionne comme un cinquième instrument mais qui est porteur de paroles. J’écris des textes qui vont avec la mélodie de la musique. Parfois, en vieillissant, les chanteurs perdent leur voix. J’ai la chance que la mienne soit restée la même mais je n’ai pas le même train de vie de chanteur qu’un Fish ou un Steve Hogarth (Marillion) qui est très exigeant avec lui-même et qui est toujours en recherche d’absolu, ce qui, par définition, n’est jamais répétable. C’est comme Fish qui possédait une voix de tête absolument géniale sur les deux premiers albums de Marillion : non reproductible ! Sauf s’il avait eu une discipline de chant et une hygiène de vie. Ce qui n’était naturellement pas le cas à cette époque-là. Mais je ne pourrais pas assurer comme je le fais maintenant si je devais chanter deux heures chaque soir. Dans nos prochains concerts, on jouera l’intégralité de Paradis posthumes. Ce sera un défi physique énorme pour moi. Mais possible parce que l’on n’a pas cinquante dates par année ! Je précise que l’on rejoue nos vieux morceaux dans la tonalité d’origine. Mais la notion de hauteur (de voix) est très relative. Ce n’est pas ce qui est le plus haut qui est le plus difficile à chanter. La souplesse et l’élargissement qui produisent ces impressions de hauteur. Je ne peux plus, par exemple, chanter correctement la fin de « La Loi De Brenn », le passage qui commence par : Les virages de l’existence…Je pourrais le faire mais ça serait forcé. C’est pourquoi en live on l’a pris un ton plus bas et de manière délibérément plus calme et épurée et non plus en version « spatiale » à la « The Space » de Marillion justement. Je retrouve même des capacités que je croyais perdues ! Je retrouve même une certaine fluidité dans mes voix de tête. Je peux même chanter comme M (rires), ce qui me surprend moi-même ! Je chante avec ma voix et mon timbre naturels.

C&O : Les textes magnifiques que tu écris sont de moins en moins hermétiques au fil des années. Les fulgurances sont toujours là mais elles ne se cachent plus derrière des images ou métaphores mystérieuses. A l’instar d’un Fish (Marillion), tes textes deviennent plus simples mais pas plus simplistes. Peux-tu commenter ce cheminement dans ton métier de parolier ?

Pyt : C’est une recherche d’adéquation avec soi-même. A une certaine époque, celle de Premier Février, j’allais puiser dans une mine d’inconscience, où tout pouvait surgir. On met ensemble des mots, on les entrechoque. Ce qui donne des textes très adaptés à la poésie mais très inadaptés en termes de communication. La simplification est une réussite. On doit conserver une qualité musicale, mais qui parle aux gens. Je travaille par flashs. Sébastien ou Gianni m’envoient des démos, je chante dessus des bouts de texte que j’ai écrits et qui contiennent déjà leur propre mélodie. Je n’essaie pas de transformer mes textes afin qu’ils collent aux musiques. Et parfois, je dois essayer de nombreux textes avant que ça colle. Les mélodies que je conçois sont toujours élaborées en même temps que le texte.

Galaad Paradis Posthumes Band 4

Pyt et Christophe Gigon

C&O: Avant d’entamer l’analyse de votre dernier bébé, encore quelques questions. Quand vous composez pour Galaad, adoptez-vous une sorte de « charte musicale » du style, « ça, ça sonne comme du Galaad, ça, ce n’est pas notre style, on jette. » ou alors le naturel et la spontanéité restent-ils vos seuls garde-fous ?

Pyt : Honnêtement, c’est plutôt la première proposition qui est vraie. Notre mode de travail ne nous permet pas une très grande spontanéité. Nos procédures doivent être efficaces. On aura rarement un moment ensemble de vécu spontané créatif. Quand on compose, il y a, au préalable, une idée, souvent de Séb. (guitares) ou Gianni (claviers), envoyée aux autres avec le rôle de chacun déjà clairement défini. Il n’y pas de spontanéité, il s’agit d’une procédure. Ce qui nous rend efficaces et pointus. On gagne en méthodologie ce que l’on perd en « jouerie » pure.

C&O : Pyt, en solo ou avec ton projet L’Escouade, tu défrichais des territoires que n’occupe pas du tout Galaad (chanson française, ritournelles pop, folk intimiste, titres catchy en anglais etc..). Est-ce un choix de ta part ou du groupe ? Avez-vous peur de faire éclater la zone de maîtrise de Galaad, un rock progressif dynamique flamboyant et mélodique ? J’en veux pour preuve ton deuxième album solo, Mon Grand Amer (2015) qui se voulait une sorte de panoramique de tout ce que le format chanson peut proposer de variétés (dans le bon sens du terme). Impossible avec Galaad ?

Pyt : Il y a ce qui vient de moi et il y a ce qui vient de Séb. Lui souhaitait clairement distinguer le projet Galaad du projet Pyt. L’ouverture d’esprit permanente envers toutes les musiques, c’est pour le projet Pyt mais avec le style propre au musicien Sébastien. Je suis très intéressé par les mélodies européennes profondes, celtiques, traditionnelles. Il m’arrive de reprendre, de sauvegarder des titres potentiels qui n’ont pas vraiment leur place dans Galaad.

C&O : Venons-en à Paradis Posthumes. L’album s’ouvre avec un court instrumental nommé « Terra » qui commence dans une ambiance très Ennio Morricone avant de se transformer en pur Galaad flamboyant. Une envie de marquer votre territoire dès le départ ?

Pyt : Séb., dès le départ, a voulu un album épique. On a vraiment voulu convaincre les fans les plus passionnés de ce genre de musique-là. Pyt existe, d’ailleurs, pour me permettre, d’aller voir au-delà de ce rock progressif flamboyant, marque de fabrique de Galaad. Et je pense que l’on pourrait toucher plus de monde si on ouvrait davantage la musique de Galaad. O.K. pour le symphonisme et l’onirisme, associés au prog. Mais on pourrait « emballer » tout ça de telle manière à ce que, si Galaad passait en fond dans une boîte de nuit ou un club rock, cela ne déparerait pas. Vae Victis avait d’ailleurs un peu ce côté polymorphe (rock alternatif, fusion, jazzy, folk, prog, chanson, etc…). J’ai, d’ailleurs, le projet d’un nouvel album de Pyt qui pourrait être représentatif de cette orientation musicale panoramique. (Pyt répond à nos questions en préparant, dans sa cuisine, une fondue au fromage que l’on dégustera dans quelques minutes ! ndlr.) Pour en revenir à ta question, il y avait bien une volonté de proposer un aspect plus instrumental. Bien que chanteur, j’ai toujours, dans Galaad, donné ma voix en faveur du désir –parfois- d’écrire des titres instrumentaux, voire d’intégrer à des structures de chansons des phases, des développements instrumentaux que j’affectionne aussi.

C&O : « Apocalypse » attaque en fanfare. Fureur, énergie, mélodie et maestria instrumentale sont au programme. C’est ça l’alchimie Galaad ?

Pyt : Il y a une furie, une hargne, dans la voix, les guitares, les claviers et la section rythmique. Ça, c’est typique de Galaad. Cette volonté de proposer un « groove metal », c’est typique de Galaad. C’est puissant. Il faut poser les culs ! Que les culs soient à leur place ! (rires)

C&O : Le single « Moments » est connu depuis la fin de l’année passée. Votre guitariste s’est-il replongé dans ses disques de Marillion ou a-t-il samplé le son de guitare de Steve Rothery ? Qu’est-ce que ça fait plaisir de retrouver ce genre d’arrangements du Marillion de la grande époque. En plus, Galaad a toujours su intégrer ses influences patentes (Marillion et Ange) à son chaudron. Ainsi, même si les parties de guitare de Sébastien nous renvoient directement au Marillion de Misplaced Childhood ou de Clutching At Straws, le style Galaad est préservé, il ne s’agit jamais de clonage ni même d’hommage. C’est fort. Comment expliques-tu ça ? L’influence de Marillion ne s’est en effet jamais fait autant sentir que sur ce disque.
Pyt : Personnellement, je mets un point d’honneur à ce que tout ce que nous proposons soit du Galaad, et non du Marillion, du rock progressif ou du trash guinguette. On doit respecter notre label. On n’a pas tous les mêmes influences. Séb adore Steve Rothery, c’est clair. Mais l’identité vocale, le son des claviers et notre section rythmique nous éloignent complètement de Marillion. Marillion n’est qu’un groupe parmi d’autres. Nous ne sommes pas des voleurs mais certains groupes nous inspirent. Vois-y plutôt une forme de sincérité. Mais ce son Marillion, mêlé à mes intonations vocales, à une production plus chaude, tout cela forme un tout qui rend Galaad absolument dissociable de tous les groupes qui l’ont pourtant influencé.

C&O : « Le Rêve D’Unité » aurait pu figurer sur Vae Victis sans problème. Était-ce un choix délibéré ? Dans le refrain, il y a même un hommage, tant musical (les « cocottes » à la guitare) que textuel (« Ne me laisse pas seul.. » au titre « Seul (Influenza)»).

Pyt : Il y a eu une conjonction heureuse inconsciente. Mais il s’agit de la vue de l’autre côté du miroir. Si, dans « Seul », il s’agissait d’une voix paranoïaque malade du monde, qui souhaite être seul, dans « Le Rêve D’Unité », je chante : « Ne me laisse pas seul… ». C’est donc le contraire. Je souhaite une présence. Il y a un signe de croix comme symbole sur l’illustration de notre dernier album. C’est le signe de croix que me faisait ma mère pour me calmer le soir, avant de plonger dans la nuit. J’étais excité et je retrouvais mon calme. Ne pas me laisser seul dans les bras de la nuit, dans mes affres et cauchemars d’enfant.

C&O: « Amor Vinces » est un pur titre rock, pas si éloigné que ça de « Veuillez Quitter Céans » sur ton premier album solo, Carnet D’Un Visage De Pluie, sorti en 2012. Explique ce choix, récurrent chez Galaad, de donner des titres ou des paroles en latin.

Pyt : La première apparition du latin, c’est dans « La Loi De Brenn », sur Vae Victis. J’avais employé des phrases latines que j’avais piquées dans le missel que ma mère gardait à la maison. Je ne suis aucunement un spécialiste du latin. « Terra » et « Amor Vinces », du dernier album, sont des titres en latin. Mais Galaad, c’est quoi ? Nous ne sommes pas un groupe épique qui raconte des histoires médiévales avec le chevalier Galaad. On met plutôt le ton sur la poésie contemporaine qui ne colle pas avec une ambiance médiévale. Alors qu’est-ce que l’on peut faire d’épique qui « matche » avec la zone d’identité de Galaad ? L’imagerie médiévale de Galaad, s’il y en a une, ce serait ces références à notre passé et à nos racines culturelles. Et l’usage de métaphores ciblées comme quand je chante, dans « Amor Vinces » : Passe le temps… Ou je parle aussi, dans le même titre, du banquet des preux. On est donc bien chez les chevaliers. Il s’agit d’un esprit chevaleresque symbolique. Un troubadour zone dans les textes. Mais cela est transformé par le son rock de la musique qui n’a rien à voir avec le Moyen Age. Nos grooves ne sont pas médiévaux ! On s’est défini par cet emprunt au latin et il s’agit d’un beau clin d’œil à Vae Victis.

C&O : Peux-tu nous parler un peu du texte de la chanson « La Douleur » ?

Pyt : C’est difficile de parler de ses textes. Je n’ai aucun recul. J’ai écrit ce texte dans une période d’abstinence. Cette période a été très prolifique. Il en reste des traces écrites. Le titre me fait penser à No One Is Innocent (« La Peau »). C’est plus qu’un concept, c’est corporel. Antidote du plaisir à outrance. On est dans une zone difficile. La musique est dense, elle est douloureuse. Quand on joue ce morceau, il nous fait peur tant il prend de la force. C’est un morceau qui exprime la désincarnation. En 1996, à la fin de Galaad, j’étais un homme désincarné. Je n’avais plus les pieds sur terre. J’étais coupé, sans canal. Cela évoque aussi les relations sentimentales qui n’ont pas fonctionné. Il s’agit d’un cri. C’est comme un dessin. On évoque un paysage, des personnages. C’est un des moments forts de l’album.
On vite dans une société dans laquelle tout marche à l’envers. Et l’on sait que c’est cela qui génère la maladie et la mort. J’essaie donc de penser les choses dans le bon sens. Il faut lutter contre les spirales négatives. Enjamber ces choses inversées pour retrouver le bon sens. Je parle aussi beaucoup de mon père dans ce disque et mon père était un symbole de bon sens. Il est décédé en 2006 mais je fais mon deuil sincère et public aujourd’hui avec Paradis posthumes. Déjà dans Mon Grand Amer, j’y pensais. La présence du père est la présence du bon sens, de la terre, du corporel. Un père fortifie. Il me fortifie.

Galaad Paradis Posthumes Band 5

C&O : Le disque se calme un peu avec « Ton Ennemi » dont la seconde partie contient un passage instrumental presque électro/celtique absolument magnifique. Comment faites-vous pour avoir encore une telle « gnaque » « à votre âge » ? S’agit-il d’un moment de surprise ?

Pyt : Je n’ai jamais caché mon amour pour la musique celtique, bretonne, traditionnelle. J’adore Gabriel Yacoub et Alan Stivell. J’adore les chants monastiques. Ce titre traite du syndrome de la réussite à tout va. Puis on part dans le Moyen Age et on devient des croisés ! Le diable, c’est le désamour de soi. Cette chanson suit son chemin et c’est vrai que le final ressemble un peu à celui de « Fugazi » de Marillion. C’est un hymne. Nos fans adoreront chanter ce passage avec nous en concert. Ce titre ne révolutionne rien mais entraîne une évasion et porte un juste message.

C&O : Le titre « Paradis Posthumes » commence par un riff qui se présente comme un hommage au Pink Floyd de la période The Wall. C’est agréable d’arriver à un âge où on n’a plus rien à prouver et que l’on peut se faire plaisir tout en faisant également plaisir aux mélomanes qui apprécieront ces clins d’œil. Comme en littérature, on pourrait presque parler d’intertextualité.

Pyt : Oui ! Tu penses à Pink Floyd à cause de cette intro. Mais dès que la section rythmique débarque, je pense plutôt à Yes ! Puis U2 ou Rush. On entend plein d’artistes qui ne sont pas Galaad. Mais qu’importe ! On est de la même famille. Mais il n’y pas de perte d’identité. Ca reste du Galaad. La culture, c’est une transmission. Galaad ne cherche pas à cacher ses influences. Après, la question qui se pose, c’est jusqu’où on va avec ça ? Moi j’aimerais bien que Galaad transcende toutes ses influences et que l’on ne puisse plus parler de rien d’autre que de Galaad. C’est peut-être un rêve. Marillion lui-même a été influencé par Pink Floyd. En littérature, l’intertextualité est vue comme une sagesse. En musique, on y voit plutôt un manque d’originalité. Pourquoi ? Il y a des complexes à ne pas avoir. Il n’existe pas d’inspiration pure. La première inspiration que j’ai eue dans ma vie était-elle déjà pure ? Tout le monde est influencé par tout le monde. L’essentiel est d’exprimer des choses qui viennent de nous.

C&O : « Jour Sidéral », par son introduction superbe au piano, nous ramène à « Sablière », votre superbe chanson de Premier Février. Avant que, de manière assez abrupte, les guitares à delay reprennent le pouvoir. On sent que Sébastien s’est fait plaisir et qu’il assume parfaitement son amour pour Marillion. On vous sent totalement désinhibés sur ce disque. Liberté totale ?

Pyt : Je suis content de t’entendre parler de « Jour Sidéral ». Certes, on a nos tics et nos tocs. C’est Gianni qui a composé ce morceau. Superbe suite d’accords. On sent que c’est un morceau-montage, comme un flashback avec des phases différentes. On aurait pu en faire trois morceaux séparés. Passer d’une séquence à une autre, sans qu’il y ait vraiment de lien, cela ressemble à la vie. Dans la vie, tout peut venir. Les choses se suivent et ne se ressemblent pas. La notion de montage est mal vue et très critiquable dans le prog. Mais dans la vie, c’est comme ça. On peut passer d’une séquence à une autre sans qu’il y ait vraiment de lien. Une voix , dans un travail de Jean-Luc Godard je crois, a dit que « la vie est faite de morceaux qui ne se joignent pas ». C’est pour ça que j’aime ce morceau.

C&O : L’aventure se termine avec « Divine ». La fin de la chanson recrée un climat intime, fraternel et simple. Comme un symbole, la famille Galaad est à présent bien « ressoudée » et prête à poursuivre l’aventure pendant des années ?

Pyt : Je l’espère ! J’ai aussi mon projet d’album. Je n’ai pas envie que ça s’arrête. Mais le groupe n’est pas pressé d’écrire du nouveau. Il risque d’y avoir une grosse décompression après ces quatre dernières années très productives. Paradis Posthumes, c’est plus d’une heure de musique composée en vingt mois. Un sacré boulot. On a un dû à payer psychologiquement. Et on n’a encore rien vu ! Il y a tous les concerts qui nous attendent ! Il faudra retrouver l’énergie. Mais elle revient vite. Elle est là mais il faut la rendre disponible. Mais avec Frat3r, l’ambiance est vraiment bonne dans notre relation avec le public. Il faut en profiter. C’est pourquoi on va plutôt axer notre démarche sur les concerts ces deux prochaines années. On va proposer une nouvelle scène, un nouveau programme. Normalement, on va jouer tout le dernier album lors d’un premier set. Puis une sorte de best of de nos trois précédents albums lors d’un second set. Ça sera physique. On va rejouer « Sablière ». On va filmer tout ça et proposer un premier DVD live pour Galaad. Il y avait déjà eu un DVD live de Pyt (Pyt Passe Par Le SAS, en 2013).

Photos: Christophe Gigon et Gaëlle Schwimmer

Un commentaire

  • alain massard

    un album majeur qui fait fi de la jungle pandémique actuelle, qui donne un sentiment de béatitude, un plus en ces moments là!

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