Galaad – Vae Victis (+ interview 1996)
Galaad
Musea
A une époque où la plupart des formations dites progressives étaient désespérément figées dans des clichés immuables et stériles, les petits suisses de Galaad se faisaient les apôtres d’amours musicales torrides et métissées. Après un premier opus prometteur, quoiqu’un peu trop calqué sur le modèle marillio-angélique (« Premier Février », publié en décembre 1992), la formation a choisi, pour son second album, de s’ébattre avec les filles d’auberge picaresques que sont la fusion et l’hybridation stylistiques. Enfant naturel de ces accouplements tumultueux, « Vae Victis » est un solide luron numérique dont les mélodies vives et les rythmes acérés sont au service d’une fusion métal-progressive habitée. Porté par des textes ethno-érotico-oniriques de haut vol qui cultivent les joies mutines du foisonnement verbal et de la (contre)danse des mots et des sens (le magistral « Une Rose Noire », décrivant avec une sensualité abrasive l’atmosphère volcanique des passions vénéneuses, ou « La Danse De La Perte », émouvant manifeste dédié à la cause amérindienne), ce brûlot souffle tour à tour, durant plus d’une heure, l’eau et le feu, la glace et la braise, puis la tendresse et la révolte.
Entre ballades faussement alanguies (« Les Ondes », « L’Épistolier »), épanchements rock sévèrement burnés (le carton « Seul », digne du meilleur Faith No More, ou le dévastateur « A Chacun Sa Cible ») et envolées épiques passionnées (« La Danse De La Perte » ou le tonitruant « La Loi De Brenn », au bouleversant final à la « The Space »), la bande du charismatique chanteur Pierre-Yves Theurillat fait un mémorable bras d’honneur aux ayatollahs progressifs, et invente un langage musical moderne, personnel et novateur. Et à la réécoute de cette riche galette, on se dit que le flambeau n’a malheureusement pas vraiment trouvé de repreneur, même si les suédois de Pain Of Salvation mélangent également, mais de manière différente, ces multiples ingrédients. Charnelle et mystérieuse, cette œuvre riche de mille surprises rend hommage, avec force émotion(s), à ce langage musical en relief qui représente « la seule véritable langue artistique » (Jean Cocteau).
Un disque exceptionnel, qu’il convient de découvrir ou redécouvrir, en attendant (et c’est un événement !) la parution du premier opus en solitaire de Pierre-Yves Theurillat, prévu pour ce début d’année 2013. Plus d’information bientôt dans ces pages, cela va de soit !
Bertrand Pourcheron (10/10)
http://fr.myspace.com/galaadmusic
Entretien avec Pierre-Yves Theurillat.
Propos recueillis par Bertrand Pourcheron en avril 1996 pour Harmonie Magazine
Bertrand : « Vae Victis » marque, à tous les points de vue, une très nette rupture par rapport à « Premier Février ». Comment expliques-tu cette mini révolution de palais ?
Pierre-Yves Theurillat : Copuler dans un sillage délimite et restreint, c’est s’assurer à terme l’agonie. René Char, disait-on de lui, fut un manieur de mots émérite. Pourquoi donc ne pas appliquer aux notes le traitement qu’il a réservé au langage ? Je crois qu’en musique comme en littérature, il est absolument vital « d’écarter large ». Il faut s’ouvrir au(x) monde(s), connaître au sens plein du terme et comprendre pourquoi et comment les musiques de Coltrane, Faith No More ou Ravel ont, au même titre que la fusion, le rap ou la progressive, leur place dans l’univers. « Vae Victis » est donc, de ce point de vue, un disque ouvert. Sur « Premier Février », nombre d’éléments étaient déjà présents, à l’exception de notions basiques alors encore inconnues comme le « groove ». « Vae Victis », c’est « Premier Février » avec des oreilles grandes ouvertes…
Bertrand : Qu’as-tu envie de répondre aux fans décontenancés par votre nouvelle direction artistique ?
Pierre-Yves Theurillat : Je les remercie pour leur incompréhension (rires). La progressive devrait, à mon sens, être la musique la plus ouverte et la moins codifiée au monde. A ceux qui s’accrochent désespérément aux ersatzs diminués de Yes et Genesis sévissant aujourd’hui, j’ai envie de répondre que le rock progressif se situe en réalité partout sauf là où l’on pense qu’il se trouve. Christian Descamps nous a déclaré à propos de « Vae Victis » : « Si la perfection existe, votre album est parfait« . Perfection et pureté sont des quêtes sans fin … Je dirai aux « fans » déçus que la première musique vitale est celle des battements de notre cœur. Si leur pompe cardiaque ne s’accorde plus aux nôtres, je leur souhaite de trouver ailleurs ce qu’ils cherchent. Tout avis se respecte : à chacun sa résonance. Nous avons notre vérité et je pense sincèrement qu’elle est globalement bien suivie.
Bertrand : L’arrivée au sein du groupe d’un nouveau bassiste et, plus récemment, d’un nouveau batteur a-t-elle notablement influencé votre voie ? Comment pourrais-tu quantifier leur apport ?
Pierre-Yves Theurillat : Notre bassiste Vincent Berberat a, dès son arrivée en 1995, apporté professionnalisme, éclectisme ainsi qu’un sens aiguisé du groove, du son et de l’arrangement. Son apport est tout bonnement énorme. Il a tout à la fois consolidé les fondations et ébranlé la maison en étant le détonateur d’un travail en continu qui a simultanément permis remises en question et confiance accrue en notre potentiel. Pour Claude Kauber, notre nouveau batteur, les choses sont encore toutes fraîches (2 mois de travail, 4 concerts). Je vois pourtant déjà en ses 19 ans un énorme espoir.
Bertrand : Quelles sont et où sont aujourd’hui la cible et l’identité de Galaad ?
Pierre-Yves Theurillat : Identité, cible ? Galaad est devenu, à ce jour, sa propre identité, sous ce seul label. Le groupe est la cible de cinq types composant un rêve commun et fermement décidés à faire durer la vie avec la seule force des notes et des mots.
Bertrand : Où en es-tu de ton travail sur le langage ?
Pierre-Yves Theurillat : Je ne vois plus dans le terme de poète une présomption, une enflure, une fausse noblesse ou un garde-manger à vanités. A 24 ans, je suis poète, un métier dans lequel tout reste à faire et à défaire. Avec ou sans le groupe, mes mots me suivront jusqu’à la mort…
Bonjour,
j’avais à l’époque de sa sortie découvert ce disque, suite à une chronique dans…Le Dauphiné libéré! Comme vous, j’avais été subjugué par ce chef d’oeuvre: une rythmique de malade, des mélodies recherchées, des changements de rythme et d’ambiance, des textes et un chant de haut vol. Tout ça sans faiblir tout au long du disque avec une production sonore 3 étoiles qui n’a pas vieilli d’un poil.
Je vous félicite pour cette chronique et pour votre site qui me permet de retrouver la trace des géniteurs de cette galette.