The Tangent – Songs From The Hard Shoulder
Inside Out Music
2022
Thierry Folcher
The Tangent – Songs From The Hard Shoulder
Je l’avoue, j’ai suivi la carrière de The Tangent d’assez loin. Leur style, dans la mouvance Flower Kings et consorts, ne faisant plus partie de mes préférences musicales. J’espère que les fans, certainement scandalisés, ne m’en voudront pas trop. C’est donc avec beaucoup de repentance et d’humilité que je m’attaque aujourd’hui à ce tout nouveau Songs From The Hard Shoulder, douzième épisode de la bande à Andy Tillison qui fête, pour l’occasion, ses vingt ans de carrière. Je l’avoue également, et ce n’est pas très fair-play non plus, que la présence de « In The Dead Of Night » en bonus track a quelque peu titillé mon intérêt pour cet album. La reprise de ce titre de U.K., paru en 1978, était pour sûr un incontestable bon choix. Au jeu des comparaisons, la version 2022 de The Tangent n’est pas mal du tout et ne fait pas injure à celle chantée par le regretté John Wetton. Une interprétation modernisée et rallongée mais respectueuse de l’original. C’est en écoutant ce genre d’adaptation, qui bénéficie de moyens techniques bien supérieurs à ceux de l’époque, que l’on prend conscience de la qualité du morceau mais aussi de celle des musiciens actuels. Andy Tillison aux claviers, Jonas Reingold à la basse et Luke Machin à la guitare s’en donnent à cœur joie, surfant sur cette mélodie éternelle avec une habileté qui en aurait époustouflé plus d’un, croyez-moi. Mais bon, je ne voudrais pas faire de l’ombre aux compositions de The Tangent en insistant trop sur une reprise, aussi réussie soit-elle. La belle leçon à retenir, c’est que « In The Dead Of Night » s’intègre parfaitement aux autres titres de cet album de très, très bon niveau.
Le titre : Songs From The Hard Shoulder (chansons de la bande d’arrêt d’urgence), conjugué à une pochette plutôt sombre, ne présageait rien de bien gai quant à la teneur de ce nouvel opus. Une fois de plus, c’est le contexte social pas vraiment joyeux qui trouve ici une traduction musicale, heureusement très abordable. Il faut s’intéresser au morceau « The Lady Tied To The Lamp Post » (la dame attachée au lampadaire) pour comprendre le titre du disque. En découvrant, au bord de la route, une femme attachée à un lampadaire pour ne pas tomber, Andy Tillison a comparé cette personne, « en panne de la vie », à une automobile immobilisée sur la bande d’arrêt d’urgence. La course s’arrête pour certains alors qu’un flot discontinu se déverse juste à côté sans un regard ni une main tendue. Andy déplore l’absence de solution pour tous ces gens et le peu de compassion d’une société aveugle. Les vingt minutes de ce morceau sont bien entendu colorées en noir et le chant, proche de Peter Hammill et de Roger Waters, ajoute des pointes de tragédie dans son interprétation douloureuse dans un premier temps puis survoltée par la suite. On est ici dans du rock progressif pur et dur offrant à l’auditeur averti les rendez-vous habituels d’un « épic » de vingt minutes. Une construction en huit parties distinctes où l’émotion est omniprésente. Tout d’abord par le côté dramatique de l’histoire superbement chantée par Andy et surtout par la qualité de la composition bien installée dans un jazz rock classique mais efficace. Le saxo mélodieux de Théo Travis, la basse bien ronde de Jonas Reingold, la guitare virevoltante de Luke Machin vont tour à tour se frayer un chemin parmi les claviers inventifs du père Tillison. Et comme à chaque fois dans ce genre de morceau, on retiendra l’alternance des climats calmes et agités, mais toujours liés par les mêmes notes d’une mélodie accrocheuse.
La bonne façon pour apprécier cette musique est de passer du temps (beaucoup de temps) avec et ce n’est qu’au prix d’écoutes successives que l’on en retirera toute la magie et toute la saveur (la substantifique moelle). Mais je pense que les fans de The Tangent le savaient déjà. Songs From The Hard Shoulder est très épais, les deux premiers titres atteignent quant à eux les dix sept minutes et n’ont pas à rougir du reste du disque. C’est d’abord « The Changes » qui lance les débats dans une évocation, presque obligée, de la pandémie. Comment en vouloir aux artistes, directement touchés par l’isolement, la mise à l’arrêt et parfois, la clé sous le paillasson pour certains, de ne pas intégrer ces déboires dans leurs créations. L’inverse aurait été curieux. On est ici au pays des Flower Kings avec un chant proche de celui de Roine Stolt. La musique est calée sur un savoureux jazz rock aux accents canterburiens qui se permet même quelques clins d’œil à Genesis et aux Beatles. C’est aussi agréable qu’inventif et l’instrumental « The GPS Vulture » (allusion certaine au titre prémonitoire de 2006 « The GPS Culture »), qui s’enchaîne immédiatement après, sera son prolongement musical naturel. Les claviers d’Andy Tillison sont ici les grands gagnants de ces joutes endiablées même s’il faut relever le savoureux passage flamenco de Luke Machin. Pour être complet, un petit mot s’impose sur le très court « Wasted Soul » qui égaye l’ensemble par un traitement funky débridé donnant la banane. C’est une orgie cuivrée qui est à la manœuvre et qui envoie The Tangent danser vers un futur ensoleillé, loin de toutes contraintes et de toutes peurs. Croisons les doigts.
Disons-le tout de suite, Songs From The Hard Shouder m’a réconcilié avec un genre que je croyais perdu pour moi. Et je ne remercierai jamais assez Andy Tillison et ses compères d’avoir su enregistrer un si beau disque. La preuve que, dans un genre ultra codifié, on peut toujours associer inventivité et savoir-faire. Le grand mérite en revient à une écriture légère qui sait aligner des notes pour en faire de jolies mélodies que l’on retient à coup sûr. Un peu comme celle de « In The Dead Of Night » qui, à mon avis, ne s’est pas trouvée là par hasard.