Anderson Stolt – Invention Of Knowledge

Invention Of Knowledge
Anderson Stolt
Inside Out Music
2016

Anderson Stolt – Invention Of Knowledge

Anderson Stolt Invention Of Knowledge

« Un seul être vous manque et tout est dépeuplé… », pleurait Lamartine dans son poème L’Isolement. Force est de reconnaître que, pour ceux dont je suis, l’absence de Jon Anderson dans la récente carrière de Yes dévoilait une carence dont le groupe n’arrivait pas à se dépêtrer… En effet, hormis le génial Drama en 1980, nul album de Yes qui puisse se départir de la marque indélébile posée par Jon Anderson : cette voix, somme toute inimitable, que l’on adore (comme moi) ou que l’on abhorre (mais comme peut-on ?), mais encore cette approche si particulière de la musique estampillée Yes, souvent même dans ses aventures en dehors du groupe.

Dès le génialissime Olias Of Sunhillow en 1976, on pouvait aisément comprendre à quel point Jon était le dépositaire de la « YES music » avec son compère Chris Squire. A d’autres moments, que ce soit au travers de l’aventure Anderson Bruford Wakeman Howe (ABWH) à laquelle il ne manquait de Yes que le nom, dans les albums réalisés avec Vangelis, par des collaborations ponctuelles (comme celles avec Gowan, King Crimson ou Mike Oldfield), et même sur des albums solos décalés comme Song Of Seven, Animation, ou In The City Of Angels concocté avec les musiciens de Toto, Jon a toujours eu l’indéniable avantage de s’ouvrir à bien des styles et de savoir les intégrer dans sa musique, tout en gardant une identité reconnaissable entre mille… Depuis qu’il a été écarté de Yes (à n’en pas douter par le management du groupe) en raison de problèmes de santé, Jon est revenu patiemment, d’abord au travers d’une collaboration avec Jean-Luc Ponty (Anderson-Ponty Band, comme une expérimentation sur la musique de Yes – écoutez cette version Indian Raga de « Long Distance Runaround »). Coup d’essai ?

Et puis il y a eu ce moment charnière : au « Progressive Nation at Sea Cruise » de 2014 où Jon rejoint Transatlantic pour interpréter quelques « vieilleries » yessiennes, dont le fabuleux « The Revealing Science Of God (Dance Of The Dawn) » ou encore « Long Distance Runaround » (un morceau qui me tire immanquablement des larmes extatiques). Partant, Inside Out propose à Anderson de travailler avec Roine Stolt et de financer leur album. Ni une ni deux, Anderson et Stolt se mettent au travail, de cette façon moderne que d’aucuns déplorent : via Internet. Roine Stolt (ex-Kaipa, et autre Transatlantic), c’est aussi le pilier de The Flower Kings, un de ces groupes qui ont ravivé la flamme du prog (n’en déplaise à ceux qui veulent enterrer le genre). Une telle collaboration ne pouvait qu’aiguiser l’intérêt des fans de Jon, d’autant que nos deux lascars ont su s’entourer d’une Prog Dream Team impressionnante, sorte de garde rapprochée de Roine : Tom Brislin (qui a joué avec Yes, Camel, Renaissance, Meat Loaf…) et Lalle Larsson (Karmakanic) aux claviers, l’immense Jonas Reingold (The Flower Kings, Karmakanic, The Tangent, The Fringe) et Michael Stolt (le frère, The Flower Kings) à la basse, Felix Lehrmann (musicien de studio réputé, depuis 2016 dans The Flower Kings) à la batterie, plus quelques choristes dont Daniel Gildenlöw (Pain Of Salvation, Transatlantic, The Flower Kings)… Bref, si vous me permettez l’expression, la fine fleur royale du genre. Armés d’une telle équipe, Anderson et Stolt ont eu tout loisir de concocter un album fort attendu… Mais alors, c’est quoi ce Invention Of Knowledge ?

Anserson Stolt

D’abord, c’est plus d’une heure de musique organisée autour de quatre titres dont certains sont divisés en plusieurs parties, le tout enrobé dans un écrin au design fantastique réalisé par Silas Toball. Bref, du prog, aucun doute là-dessus. Ensuite, c’est tout simplement du Yes ! Comme l’assène Jon dans un entretien récent (à découvrir ici, en anglais), en parlant des propriétaires du nom du groupe : « Ils ont le nom, mais j’ai l’état d’esprit à propos de comment doit sonner la « Yes music », et pour moi, ou pour tout fan de Yes, ils vont aimer l’album parce qu’il a le bon feeling. » Voilà qui est clair, et fondé. Jon Anderson n’a pas été qu’un membre de Yes, il vit Yes, il est Yes, Yes c’est sa vie musicale ! Oh, n’allez pas croire que nous allons sombrer dans la nostalgie. Invention Of Knowledge est un album résolument moderne. Rien à voir avec la simple répétition de recettes parfois éculées, sans goût, sans âme que l’on trouve sur les albums de Yes depuis qu’Anderson n’en est officiellement plus…

Je pourrais écrire des lignes et des lignes sur cet album. On y retrouve en effet à la fois un Yes assez connu et roboratif (le triptyque « Invention Of Knowledge » avec le fabuleux et mystique « We Are Truth » – à partir de 3:52, vous devriez décoller comme moi ! – et sa suite, « Knowledge »), un croisement entre les Tales… et ABWH (le diptyque « Knowing », où la voix de Jon révèle une fragilité nouvelle sur « Chase And Harmony », avec ce petit quelque chose en plus des Flower Kings…), une patte période Rabin (celle de la suite « Endless Dream » sur le mésestimé Talk) sur l’autre triptyque « Everybody Heals » (une sorte de Olias Of Sunhillow mâtiné de pop-soul symphonique – la partie finale « Golden Light »), et enfin un titre d’une seule pièce, « Know… », avec son approche jazzy-world du début et un final où l’on croirait entendre Rick Wakeman s’éclater sur ses différents claviers (sans parler de Jonas Reingold qui marque tout au long de l’album son amour du jeu de basse de Squire…)… Vous voyez bien, je commence à m’étaler, refrénant le dithyrambe dionysiaque qui me monte à la gorge…

Cette collaboration entre Jon Anderson et Roine Stolt, c’est comme un Phénix renaissant des vestiges d’un passé solaire (« Nous sommes du soleil, we love when we play! »), trop longtemps obscurci par les nuages du monde angoissant de l’hyper-vitesse et de la bouillie sonore. Car, autre particularité fondamentale, ce qui irradie toujours des textes de Jon Anderson, c’est leur capacité à décrire le monde, les sentiments, la beauté et l’équilibre cosmique d’une manière à nulle autre pareille. Jon est un musicien qui sent les choses (comme il avait compris que le projet Cinema avec Trevor Rabin n’était autre qu’un Yes à l’image de son époque, dont sortira 90125, l’album qui remettra le groupe en pleine lumière). Et justement, on nous annonce un Anderson Rabin Wakeman prenant la route, préparant sans doute un album qui voudrait faire entrer la musique de Yes dans le XXIe siècle ! On frissonne, on espère, on jubile… et on attend, fébrile.

Invention Of Knowledge est un album lumineux, une denrée rare en ces temps obscurs. Chris Squire, du côté sud du ciel, doit avoir le sourire en entendant son vieil ami porter bien haut l’étendard de la musique de Yes… Je l’ai aussi, ce sourire : « We are truth, made in Heaven, we are glorious! »

Henri Vaugrand

Coup de Coeur C&Osmall

http://www.jonanderson.com/

http://www.flowerkings.se/

https://www.facebook.com/AndersonStolt/

6 commentaires

  • Rudy

    Alléchant tout ça. Qui mieux que les Flower Kings pouvaient redonner l’inspiration Yessienne à Jon Anderson? Leurs albums classieux sont truffés d’inspirations du groupe mythique, en particulier « The sum of no evil » sans jamais sombrer dans l’imitation simiesque.

  • siril vincent

    Bravo Henry. C’est exactement ce que je ressens. C’est un bel hommage que tu rends là… Cet album était inespéré, et je l’écoute en boucle, il me porte, il est lumineux, parfaitement dosé. C’est une musique qui a un héritage, et qui le transcende (« transceeeeend ! », cf « subway walls »). Ils y ont mis tout leur coeur à cet ouvrage, cela s’entend à tous les niveaux, comme s’ils livraient l’ultime album de Yes. On est heureux, merci

    • Henri Vaugrand

      Merci Vincent !
      Le seul bémol que je ferai néanmoins concerne le mastering de l’album qui succombe à la mode de la compression. Du coup, les passages un peu plus « chargés » musicalement souffrent d’un manque de distinction des instruments et de saturation agaçante du son…
      Comme quoi, même quand on s’appelle Anderson et Stolt, il faudrait pouvoir surveiller de près cette phase essentielle…

  • Jean-Gérard Tandonnet

    Bravo Mr Vaugrand

    Je suis comme vous un passionné de musique qui aime les belles œuvres et celle-ci est magistrale car elle se dévoile petit à petit au cours des différentes écoutes qu’il faut TRES nombreuses pour aborder seulement la subtilité de ce joyau (je l’ai d’ailleurs actuellement dans mon lecteur)

    Stolt semble sublimé par la présence dune de ses icônes et cela se ressent dans son jeu, encore plus aérien et inspiré que d’habitude (c’est peu dire !). Et que dire de Monsieur Anderson : seulement la profonde joie et les frissons que je ressens quand j’entends cette voix céleste, qui vous envoie une grande claque dans les oreilles, cette voix d’une pureté jamais égalée et qui est l’expression de l’énorme charisme du Monsieur de 71 ans…chapeau très bas et respect

    Pas de nostalgie, mais une musique moderne, un contre-pied merveilleux pour dire que le Prog est bien vivant et compte bien le rester longtemps

    • Henri Vaugrand

      Merci beaucoup, Jean-Gérard !
      Il semblerait que l’association en cours Anderson-Rabin-Wakeman nous prépare des choses encore plus impressionnantes.
      Oui, il y a encore des musiciens pour donner un sens au Prog. C’est peut-être la définition de cette musique qui n’a plus de sens… Bien des groupes qui y sont rattachés n’ont pas grand-chose à voir avec un rock « progressiste ». En revanche, d’autres qui n’appartiennent pas au courant le sont beaucoup plus !
      Je n’ai émis qu’un bémol sur cet album dans une réponse à un commentaire ci-dessus et il concerne le mastering. Voilà un point sur lequel beaucoup de musiciens dits progressifs devraient, à mon avis, se pencher.
      En tout cas, heureux que l’album vous plaise et que ma chronique vous ait incité à écrire ce commentaire, cela fait toujours plaisir !

  • Christiane

    Un mélange très inspiré, les plus aiguisés.
    C’est tout à fait magnifique

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