PyT – Mon Grand Amer

Pyt Mon Grand Amer

Après l’aventure Galaad (deux albums-jalons du rock progressif francophone parus dans les années quatre-vingt-dix) et l’intermède L’Escouade (un seul album, « Confidences De Mouches », en 2010, et puis s’en vont…), le chanteur-parolier des deux formations précitées s’est fendu, en 2013, d’un premier album solo magistral même s’il pouvait souffrir quelque peu d’une production-maison ne rendant pas toujours justice à l’ampleur des atmosphères balayées par ce disque-tourbillon, véritable kaléidoscope de l’esprit torturé et tortueux du poète jurassien. La suite de ce Carnet d’un visage de pluie se faisait donc attendre comme le Messie par les fans transis, pour la plupart encore principalement issus (mais on espère que cela va changer après l’écoute de cette nouvelle offrande musicale) de la frange irréductible des nostalgiques de la grande époque « Vae Victis » (1995), album-phare de la formation helvète. En plus de la prise de son qui ne faisait pas toujours vraiment honneur à la section rythmique, le principal regret que pouvaient formuler les éventuels contempteurs de « Carnet D’un Visage De Pluie » était celui de ne plus vraiment retrouver le chanteur hurlant possédé de l’ère Galaad, remplacé qu’il était par un auteur-interprète plus âgé, et donc plus posé, même si la colère pouvait encore, par moments, gronder (« Veuillez Quitter Céans » ou « Des Rires Et Des Rives »). Le mage halluciné avait-il cédé la place au paisible chansonnier ? Que nenni même si le repositionnement « stratégique » voulu alors par le quadragénaire semblait clair : un format musical plus court, des titres plus ramassés et moins alambiqués, des textes moins hermétiques et une voix mieux canalisée, ne partant quasiment plus côtoyer les cimes les plus hautes de la portée.

Des compositions, par contre, davantage à la portée du grand public, plus seulement destinées aux amoureux des constructions progressives les plus audacieuses. Et, dans ce genre nouveau que l’on pourrait qualifier de « chanson rock mélodique » (que l’on préférera à la formule autoproclamée de « punk symphonique à la Barbelivien »), force est d’avouer que le tandem PyT-Sébastien Froidevaux (guitariste de Galaad et compositeur de la galette bleue et verte) a su tirer son épingle du jeu en proposant un disque frais et miraculeux en ces périodes de disette musicale qu’essaient de combler les programmateurs radio à coups de tributes tous azimuts.

Pyt Band

Clamons de suite que ce nouveau double album (mais tenant sur un seul disque, astuce économiquement favorable à l’acquéreur) enfonce le clou en proposant pas moins de vingt titres d’une longueur moyenne dépassant à peine les trois minutes. Ainsi le vieux fan de Yes ou de Genesis pourra aller remiser sa toge étoilée au placard. Duquel il pourra ressortir, par contre, une légère chemise en lin et ses Ray Ban noires, tant le climat printanier qui se dégage de ce disque rassurera le mélomane : la chanson arrangée de qualité, la pépite pop, comme on dit dans le milieu, existe encore. Et avec quel brio !

Faisant tour à tour penser au meilleur du « Bashung tadif » (« Valeureux », « Qu’est-ce Qui Dure » ou « Vers Où Vont Mes Aïeux »), au « Marillion dernière époque » (« Nulle Part Ailleurs » ou « Les Bruits Courent » ) ou, quand même, à Galaad (« Looks Piled Like Newspapers », « Eu Comme You » ou « Il En Reste ». D’ailleurs, la piste inaugurale, « Fast – Mourir Est Toujours Faux » semble reprendre les choses là où « La Loi De Brenn », pénultième épopée de Vae Victis, les avait laissées. Ou le passage central du titre « Eu Comme You » que l’on croirait échappé du morceau « Les Ondes », pièce maîtresse de 1995. La production, plus claire et moins « plate », laisse briller le travail remarquable à la batterie de Diego Rapacchietti (Coroner).

Pour le reste, un PyT nouveau semble éclore en nous proposant des titres qui deviendraient sans doute numéro 1 du hit-parade s’ils étaient mimés par les tenants de la nouvelle chanson française (sic) que sont les Calogero, Raphael ou autres Bénabar. Ecouter, pour s’en convaincre, les superbes « Dingue De Toi » (au clip décalé), « Le Mal Parle Mal » ou encore « Madame Tu L’aimes » à la ligne de contrebasse qui ne saura quitter votre esprit une fois entendue. C’est d’ailleurs triste de dresser le constat suivant : si n’importe quelle chanson de « Mon Grand Amer » était interprétée par (presque) n’importe qui d’autre, le tube serait certifié. Ainsi il en va de la gracieuse ritournelle « Ma Vraie Prophétie » aux faux airs d’Olivia Ruiz (l’intelligence du texte en sus naturellement).

Et que dire de l’énorme succès que devrait rencontrer la bombe « Mon Lointain Amour » si elle avait la chance de figurer en rotation appuyée sur les radios en lieu et place des dernières livraisons des indéboulonnables Francis Cabrel et Laurent Voulzy. Qui boxent dans la même catégorie, la reconnaissance (méritée) en prime évidemment. Nul besoin de revenir sur la beauté des paroles, armes-maîtresses de Pyt qui sait manier le verbe simple qui vise le centre des émotions (qui n’aurait pas envie de lui crier hello lors du refrain sublime de « Qu’est-ce qui dure » ?).

Les bémols ? Trop de morceaux, tous composés par une seule et même personne peuvent faire naître un sentiment de récurrence mélodique chez l’auditeur averti. Aurait-il fallu moins de chansons ? Ou des titres écrits par un compositeur externe, insufflant ainsi, comme dans les dernières productions d’Arno, Hubert-Félix Thiéfaine ou Fish, ex-vocaliste de Marillion (dont se réclame parfois PyT), un air autre, un « esprit d’ailleurs » que ne parvient pas facilement, et pour cause, à créer un seul maître à bord. Cela dit, les styles bien différents déployés tout au long des quatre-vingt-une minutes de « Mon Grand Amer » prouvent la grande culture musicale du créateur et multi-instrumentiste dont le style de guitare sait faire le grand écart entre la retenue so british (Steve Rothery de Marillion, David Gilmour de Pink Floyd ou Steve Hackett de Genesis) et la maîtrise excitante d’un Steve Vai ou d’un Frank Usher (guitariste de Fish) sans jamais se départir de sa singularité (on reconnaît le touché de Sébastien Froidevaux dès la première seconde !).

En outre, certaines compositions, plus faibles, auraient peut-être de la peine à être mesurées à l’aune des géants qui les ont précédées (« Respire » ou « Et tout s’évanouit »). Un disque très facile d’accès, donc incroyablement complexe à proposer. Rien n’est en effet plus difficile que de savoir faire simple. La beauté, comme l’écrivait si bien le philosophe écossais Francis Hutcheson, consiste en quelque degré de difformité au sein de la régularité, comme ce petit « je ne sais quoi qui cloche » (un léger strabisme ? Un cheveu sur la langue ?) qui transforme derechef un joli visage ou une voix ordinaire en personne charmante dont on tombera éperdument amoureux.

L’amer plus vrai que l’amour. PyT est en passe de devenir expert en « je ne sais quoi qui cloche », fondant ainsi un bien noble bronze. Y aurait-il plus beau compliment ?

Christophe Gigon (8/10)

http://www.pyt.cn.com/

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3 commentaires

  • Bertrand

    Magnifique chronique d’un disque magistral ! Je le chroniquerai dans Highlands Magazine pour ma part et nos analyses se rejoindront fortement. Encore merci & bravo Christophe !
    Bertrand
    xx

  • Lucas Biela

    Avec la voix qu’il a le bonhomme, il devrait faire du blues…ou du stoner.

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