Yes – Mirror To The Sky
Inside Out Music
2023
Thierry Folcher
Yes – Mirror To The Sky
Il faut bien l’admettre, écouter Yes (officiel) aujourd’hui c’est un peu comme écouter Glass Hammer ou même Starcastle à l’époque. C’est bien ficelé, mais ce n’est pas pareil. Déjà, la formation actuelle ne compte plus que Steve Howe comme membre historique et la musique est très distante de celle qui enivra toute une génération d’ados particulièrement secoués par tant d’innovation et de prouesses musicales. Mais cela ne veut pas dire pour autant que Mirror To The Sky soit mauvais et à jeter aux orties, c’est autre chose, voilà tout. J’hésite quand même à associer le légendaire nom de Yes à ces récentes sorties pas vraiment au niveau et assez éloignées de la philosophie initiale du groupe. Depuis les mises à l’écart (volontaires ou non) de Jon Anderson et de Rick Wakeman conjuguées aux disparitions (plus douloureuses, celles-là) de Chris Squire et d’Alan White, il faut se faire à l’idée qu’une grande page du rock progressif est bel et bien tournée. Cela dit, la bête respirait encore et la publication il y a deux ans de The Quest fut une agréable surprise. La belle machine n’était pas partie à la casse et c’était bien là l’essentiel. Alors, ne boudons pas notre plaisir et arrêtons de faire la fine bouche. Ce nouvel album profite évidemment du travail de The Quest et de sa multitude d’idées qu’il fallait à tout prix exploiter. On apprend que c’est le côté épique, cher au groupe et à Thomas Waber (le patron d’Inside Out Music) qui a été privilégié et qui démarque Mirror To The Sky de son auguste aîné. Vous savez, ces longues épopées tarabiscotées, pleines de souffle, de percussions et de symphonies dont Yes s’était fait le spécialiste. Sur les six morceaux du premier CD (et oui, il y en a deux, comme pour The Quest), deux approchent les dix minutes et un troisième flirte allègrement avec les quatorze. De quoi saliver à l’avance (du moins je l’espère). Jay Schellen est désormais le batteur attitré comme le voulaient Alan White et surtout Billy Sherwood, l’actuel bassiste avec lequel il a souvent partagé des parties rythmiques.
Voilà pour les présentations. Mais maintenant, le plus important est de parler musique et là, il y a de quoi débattre. La difficulté pour moi est de savoir où je me situe. En tant que fan de la presque première heure, ça risque de faire mal, mais en tant que consommateur de rock progressif au sens large, tout n’est pas si mauvais que ça. Prenez par exemple « Cut From The stars », le premier morceau du disque. Honnêtement, ça peut rivaliser avec beaucoup de choses fabriquées en ce moment sur la planète prog. Dans l’ensemble c’est bien enlevé et Jon Davison ne s’en sort pas trop mal. (Petite parenthèse : Même si l’ex-membre de Glass Hammer (tiens, tiens…) a le grand mérite d’être convaincant dans son rôle de chanteur, il n’en reste pas moins un remplaçant, une solution de rechange et je me demande toujours comment se serait débrouillé Anderson à sa place… (Ce n’est pas une question de qualité vocale, mais plutôt, une question de charisme). Abordons maintenant le vrai problème. Aujourd’hui Steve Howe est seul maître à bord et son orientation musicale ne fait pas beaucoup dans la concession. Même si tout le monde met la main à la pâte, il manque une vraie concurrence, une sensibilité différente capable de contrebalancer une pensée et un courant unique. Anderson aurait été parfait sur ce coup, mais ça fait plus de vingt ans qu’il a quitté le navire amiral (Magnification en 2001) et n’a pas l’intention de revenir, surtout que son parcours en solo ou en collaboration compense largement sa mise à l’écart. Son tout dernier 1000 Hands – Chapter One de 2019 possède tout ce qu’il manque aujourd’hui à la musique de Yes, c’est-à-dire la sincérité, la magie, l’innovation, l’humanité, un peu de folie etc, etc. Donc, un premier titre honnête, bien dans la lignée de The Quest mais sans ce petit truc qui donne le frisson. Maintenant, que dire de « All Connected » qui embraye juste après. Alors là, j’ai pas tout compris. C’est plat, mal construit, ça s’étire sans but et au final, on ne retient rien. Je plains sincèrement les fans (dont je fais toujours partie) qui doivent se sentir particulièrement mal à l’aise. Pour me consoler, je regarde la pochette (Roger Dean, magnifique) et me dis qu’on est bien mal barré avec ce nouvel album.
A ce stade de la découverte, j’aurais aimé vous dire que « All Connected » n’était qu’un accident, une fausse bonne idée, un manque d’inspiration momentané mais hélas, la suite ne va pas vraiment contredire mes premières impressions. A commencer par le tordu « Luminosity » qui n’arrive pas à se décider où aller. Tout n’est pas mauvais c’est sûr mais entre Billy Sherwood qui fait du Chris Squire au rabais, Jon Davison qui bavarde beaucoup et Steve Howe qui se regarde un peu trop le nombril (Oui je sais, son solo!), voilà un titre à ranger dans la colonne passable et pas plus. Vous savez, j’ai laissé mûrir cet album un bon moment pour ne pas tomber dans le piège d’une réaction non maîtrisée. Mais, avec un peu de recul, j’en reviens malgré tout à mon impression initiale où je me dis que tout n’est pas déplaisant mais, qu’on est loin, très loin d’un passé enterré cette fois pour de bon. En fait, le plus difficile c’est ça, faire table rase du Yes d’autrefois et se consacrer à cette formation assez douée, on peut le dire, mais pas magique non plus. Il n’y a pas plus difficile pour moi que de devoir chroniquer ce Yes là et je vous fais la promesse que c’est bien la dernière fois que je m’y colle, même si l’avenir nous réserve une belle surprise. Bon, il faut retourner au charbon et rester zen, car on le verra plus loin, il y aura malgré tout un beau sursaut d’orgueil. Donc, après un « Luminosity » assez brouillon, c’est au tour de l’affligeant « Living Out Their Dreams » de continuer à creuser une tombe déjà bien profonde. Pour moi, c’est le genre de morceau inutile qui ressemble d’assez près à un bouche-trou sans grande valeur. Heureusement que les quatorze minutes de « Mirror To The Sky » vont enfin redresser la barre. La comparaison avec « Living Out Their Dreams » est sans pitié et démontre à quel point ce titre était d’une faiblesse affligeante. La qualité principale de « Mirror To The Sky » est de garder le cap (à l’inverse des titres précédents) et de se bonifier au fil des minutes. La construction est cohérente et l’entrée du FAME’S Studio Orchestra, pleine d’opportunité. Ici, le grand orchestre n’est pas qu’un simple enrobage, mais une véritable valeur ajoutée. Et puis, la musique domine les débats pendant que Jon se fait plus discret et que la guitare de Steve devient intéressante. La fin est grandiose et nous réconcilie enfin avec ce Yes qui mérite de l’indulgence, surtout de la part de fans un peu bornés et pas très objectifs (je plaide coupable).
D’autant plus que « Circles Of Time » poursuit et entretient cette belle impression quasi miraculeuse. Ce titre de Jon Davison est tout aussi beau que bien écrit et ouvre de nouvelles perspectives à exploiter à l’avenir. Mirror To The Sky s’arrête là et finit beaucoup mieux qu’il n’a commencé. Reste les trois titres bonus, entièrement écrits et composés par un Steve Howe égal à lui-même, c’est-à-dire assez prévisible et en manque flagrant d’imagination. Un premier « Unknow Place » où juste quelques parties d’orgue font surgir de tendres souvenirs, puis un « One Second Is Enough » très moyen et presque pénible à écouter et enfin, un ultime « Magic Potion » qui ne sauvera pas ce petit quart d’heure supplémentaire, tout compte fait très dispensable. Mais bon, c’était du bonus et rien d’autre.
Voilà, ce vingt-troisième album de Yes ne devrait pas recevoir une volée de bois vert malgré quelques déceptions finalement assez prévisibles. L’ensemble de Mirror To The Sky est largement écoutable dans un paysage progressif actuel qui peine à se renouveler. Pour ma part, je retiendrai quelques bons moments (surtout le titre « Mirror To The Sky ») qui suffiront à mon bonheur et de constater que plus d’un demi-siècle après, ce monument de la musique prog/rock est toujours debout. Beaucoup d’artistes et de groupes ne peuvent pas (ou ne pourront pas) en dire autant. Et puis, comme souvent, le packaging est superbe et prolonge visuellement et tactilement tout ce bon temps passé en compagnie d’une formation à nulle autre pareille.
Voilà une chronique sérieuse et bien argumentée (comme toujours sur ce site) mais bon, j’avais beau me dire que bien sûr qu’il ne s’agit plus du Yes qui allait de Fragile à Relayer, malgré tout j’ai quand même écouté ce disque (le nom oblige) et j’avoue n’y avoir trouvé pas grand chose de vraiment mauvais, certes, mais rien d’intéressant. C’est un album banal comme on entend beaucoup et ne faisant sûrement pas partie comme écrit plus haut du « paysage progressif actuel »