Aymeric Leroy – Yes
Le Mot et le Reste
2017
Aymeric Leroy – Yes
Au chapitre des légendes du rock progressif qui résistent au temps (encore que…), ils ne sont finalement plus que deux à poursuivre leur carrière : King Crimson et Yes. Voilà que cette biographie de la formation initiée par Jon Anderson et Chris Squire tombe à pic et permet à son auteur de faire suite à celle du groupe de Robert Fripp (King Crimson, Le Mot et le Reste, 2012). Il faut bien reconnaître qu’Aymeric Leroy est une référence en ce qui concerne le rock prog. Co-fondateur avec Olivier Pelletant de la revue Big Bang : Musiques Progressives, Leroy est également l’auteur d’ouvrages de références édités ou réédités chez Le Mot et le Reste : Rock Progressif, 2014 ; Pink Floyd : Plongée dans l’œuvre d’un groupe paradoxal, 2015 ; L’École de Canterbury, 2016 (et aussi le traducteur de quelques autres, parmi lesquels l’autobiographie de Bill Bruford).
S’il existe des ouvrages de référence sur Yes, ils étaient jusque-là tous en anglais. Voilà déjà un manque de comblé pour les lecteurs exclusivement francophones avec ce livre de 348 pages… Autant vous dire que le fan de Yes que je suis ne pouvait pas manquer la lecture de cette biographie. Yes est en effet le premier groupe de progressif qui ait rempli mes oreilles et ma sensibilité musicale (à partir de Fragile et Close To The Edge découverts peu de temps après leurs sorties). J’ai également eu l’occasion de voir plusieurs formules du groupe sur scène : la version « YesWest » en 1984, « Anderson Bruford Wakeman Howe » en 1989 et la version intégrale « Union » en 1991. Si vous ajoutez King Crimson et Asia, voilà une galaxie que je peux prétendre connaître quelque peu…
Eh bien, j’en apprends encore avec l’ouvrage signé Aymeric Leroy ! Plutôt des choses musicologiques d’ailleurs, et certaines informations sur les tensions entre les membres (et les histoires sordides et pécuniaires qui les entourent souvent). On se passionne en lisant le livre de découvrir la volonté des fondateurs, Jon Anderson et Chris Squire, de créer une musique différente et, il faut bien l’avouer, un brin prétentieuse (mais la prétention n’est pas un défaut dès lors que votre tête passe encore entre les portes et que la qualité de votre travail est avérée…).
Et de ce point de vue, ce Yes est captivant, surtout en ce qui concerne la première période du groupe, de 1968 à 1978 (ce qui prend plus de deux cents pages du livre). C’est en effet là que tout se joue, se noue, avant que le groupe n’explose en différentes formules plus ou moins réussies, j’y reviendrai. Alors, oui, Aymeric Leroy a raison de penser, et donc d’écrire, que finalement, la formule la plus aboutie du groupe n’aura duré que peu de temps mais réalisé deux albums fondateurs : Fragile (1971) et surtout l’immense et incontournable Close To The Edge (1972). Oui, Anderson, Squire, Bruford, Wakeman et Howe est le quintette majeur du groupe (auquel il faut ajouter, Leroy a raison de le souligner, l’ingénieur du son Eddie Offord). Pour autant, la longue histoire de la formation (cinquante ans cette année) ne peut être résumée à cette seule période et les analyses de l’auteur sont intéressantes à plus d’un titre dans leur étude des différents albums (la réhabilitation du Heaven & Earth, par exemple, et du chanteur Jon Davison, bien moins « clonesque » et plus productif qu’un Benoît David – à ce titre, on ira d’ailleurs jeter deux oreilles à la version chantée par Trevor Horn de l’album Fly From Here).
Difficile de s’intéresser aux cas personnels de tous les musiciens ayant évolué dans Yes. Pourtant, on en apprendrait sans doute plus sur le groupe lui-même, mais on se retrouverait aussi avec une biographie qui doublerait au moins de volume ! Le parti pris d’Aymeric Leroy, c’est de s’intéresser essentiellement à la musique (avec quelques soutiens techniques qu’il n’oublie pas de remercier). Mais le hic, à mon sens, c’est qu’il le fait avec un certain… parti pris ! Bien entendu, le lecteur avisé me rétorquera qu’il serait malaisé de faire autrement. Certes, j’entends bien la remarque. Seulement, le trait est ici assez gros. On sent une adoration pour Close To The Edge, comment faire autrement ? On trouve également une belle appréciation du complexe Relayer et de l’apport hélas trop court du fantastique Patrick Moraz. En revanche, la période « YesWest » est, à quelques exceptions près, vouée aux gémonies (voir le chapitre sur le pourtant magnifique – à mon sens, bien entendu – Talk, p. 281-287) et on sent une dent légèrement acérée contre Trevor Rabin (un peu comme celle, bien plus aiguisée, que Steve Howe semble toujours garder envers ce dernier).
On apprend beaucoup de choses sur le leadership fluctuant du groupe. Et dans ce domaine, les choses se partagent dans le temps entre le duo fondateur – Jon Anderson et Chris Squire – et celui qui est désormais le plus ancien membre en activité du groupe – Steve Howe. Des croisements opèrent, Anderson et Howe représentant au fur et à mesure la tendance « historique et progressive », Squire – surtout depuis l’introduction de son grand ami Billy Sherwood – une tendance « moderne et pop ». Aymeric Leroy décrit fort bien, album par album, comment s’exerce la direction du groupe et quelles en sont les raisons profondes – musicales et/ou économiques. La longévité de Yes est d’ailleurs extraordinaire au regard des conflits nombreux qui ont émaillé son parcours. Si aujourd’hui, les choses semblent plus apaisées dans le groupe officiel – avec un équilibre qui paraît plus démocratique que par le passé depuis les entrées successives de Geoff Downes, Jon Davison et Billy Sherwood. Dans ce cadre, le live Topographic Drama – sorti après la parution de l’ouvrage d’Aymeric Leroy – est un exemple surprenant de la qualité de self-tribute band du groupe. Mais, avec l’existence parallèle d’un « Yes featuring Jon Anderson, Trevor Rabin, Rick Wakeman », on se retrouve un peu comme à l’époque qui a précédé la sortie de Union, sans pour autant savoir ce que sera l’avenir de ce que Jon Anderson aime à définir comme étant la « Yes Music »…
Quoi qu’il advienne de Yes, le livre d’Aymeric Leroy est une étude des plus intéressante sur ce dinosaure du rock progressif. Nul doute que l’ouvrage suscitera des débats enflammés dans la sphère des passionnés du groupe. C’est aussi le sort des livres de ce genre quand ils sont aussi riches d’informations et qu’ils n’hésitent pas à dévoiler la conviction de leur auteur.
Henri Vaugrand
Etant un gros fan de Rock progressif,je lis avec énormément d’intérêt vos ouvrages sur ce sujet.
A quand un opus sur Peter Hammill et VDGG?
Keep on the good work.