Retrospective Chaos Echoes 2 – Requiem

Retrospective Chaos Echoes 2 - Requiem
Chaos Echoes
Nuclear War Now Productions / Utech Records
2017 - 2019
Jéré Mignon

Retrospective Chaos Echoes 2 – Requiem

Retrospective Chaos Echoes Band 1

« To hell with rules, I am going for the unknown »

  • Wayne Shorter

C’était avec cette même citation du saxophoniste américain que j’avais commencé mon papier rétrospective sur les premiers enregistrements de Chaos Echœs. Groupe français des frères Uibo, originaire de Colmar, Chaos Echœs était plus qu’une énième incarnation d’un death metal primitif et anxiogène. C’était une toile vierge effleurée, tachée, enduite, recouverte, brossée, déchirée et dont le cadre finissait par devenir abscons, les frontières ayant été franchies pour aller vers une sorte d’ailleurs organique, bouillonnant, inconnu… Chaos Echœs c’était cette autre chose… Une recherche entre rêve et cauchemar, une exploration improvisée, un voyage aux contours flous et aqueux avec en ligne de mire cette volonté subconsciente de briser règles et normes établies d’un metal extrême trop sûr de ses repères et de son héritage.

Le problème c’est que c’est avec cette même citation que j’écris ce requiem tardif car Chaos Echœs n’est plus… dissous en 2019 (le jour de mon anniversaire en plus, les salauds…). Et si je reprends la situation que Shorter exhortait, c’est que les cendres du groupe se rappellent à ceux qui l’avaient suivis. Toujours aller vers l’inconnu, dépasser du contenant, bannir le statisme. C’est en cette fin d’année 2019 que le groupe sort Remains, dernier témoignage et traces enregistrées de ce qu’était le combo. Mais avant de s’attarder sur cette dernière déclaration et parce qu’il faut envoyer chier les règles (tout en s’accordant dessus), revenons, si vous voulez bien, sur les trois derniers enregistrements sortit par Chaos Echœs sur lesquels à l’époque je n’avais pas eu le temps d’écrire une ligne. Parce que… tout simplement que je ne suis pas un pisse texte.

Maintenant…

The Unfathomable (Nuclear War Now Productions !, Novembre 2017)

Chaos Echoes The Unfathomable

Il passerait presque inaperçu si on n’était pas assidu aux sorties du groupe. Uniquement distribué, et maintenant épuisé (à mon grand désarroi), en format vinyle, The Unfathomable est une pièce unique qui n’a plus à rien à voir avec le metal extrême. Longue plainte ambient sur de forts relents de musique concrète, ce morceau est le résultat d’une série d’improvisations que le groupe a effectué sur Paris en 2015 avant d’être trituré et malaxé par leur ancien guitariste Fabien W. Furter au mixage, voir au « montage » tant l’ensemble revêt un caractère cinématographique angoissant tout droit sorti d’une bande-son anxiogène. Pur exercice de style (de niche) The Unfathomable est aussi improbable qu’il se révèle oppressant. On y ressent la lente maturation d’un cocon dont les parois s’agitent, se disloquent et convulsent dans un espace éthéré. Des fils semblent se tendre à l’extrême, une carapace pèse sur les parois d’un écrin qui finit par devenir trop étroit. On y perçoit les instruments joués d’eux-mêmes, sans accroches, attaches ou repères. Instruments fantômes n’ayant plus aucune attache avec le monde des vivants. Ils peuvent rappeler une terreur passée sous filtre d’un Deathprod tant la tension semble implacable tout en restant cohérente avec l’esprit Chaos Echœs. Un travail de fond absolument pas anecdotique, tant on y retrouve cette sensation de contempler un abyme aux parois tranchantes, simple spectateur qui modèle une réalité qu’il ne reconnaît plus.

https://chaosechoes.bandcamp.com/album/the-unfathomable-ep

Mouvement (Nuclear War Now Productions, Février 2018)

Chaos Echoes Mouvement

Véritable deuxième album du combo, Mouvement est l’exact opposé de son grand frère Transient. Du moins sur le point de vue de l’écoute. Comprenons-nous bien, si le premier album était comparable à un monolithe qui se permettait de se jouer du temps, d’allonger ses phases crépusculaires, de jouer d’une tension viscérale et de faire exploser l’ensemble, le dernier se révèle plus compact, immédiat et ressemble, au final, à un unique titre fragmenté. S’ouvrant et se refermant sur des cris aussi déchirants que primaires, Mouvement préfère opter pour le démarrage en trombe. Tout de suite, maintenant, au milieu d’une tornade, prenant aux tripes, nous faisant rentrer de force dans l’univers du groupe. Il n’est plus temps de contempler le fond du précipice mais d’y plonger, de se laisser tomber dans cet abysse entre-voilé. Transient était une invitation, une interrogation, que l’on contemplait avant de l’accepter, Mouvement, lui, ne laisse pas le choix. Ce qui surprend de prime abord c’est son immédiateté, son apparente absence d’improvisation, monopolisant l’attention avant de se déliter progressivement sans en perdre son aspect le plus hypnotique et abstrait. Oui, Mouvement est cyclique, pouvant faire penser à Swans, certains plans de guitares se répondent tout comme le travail des voix qui semblent s’opposer ce qui n’enlève en rien son intensité et même plus, sa densité. Telle une sculpture de César, Mouvement apparaît comme compacté, compressé et devient tout aussi bloc orbital que l’était Transient. Mais plus encore, j’y vois comme le revers d’une médaille, un pile-ou-face d’outre-tombe, une dualité similaire qui animait Duo Experience /Spectral Affinities, un dialogue entre deux formes d’expression (deux frères ?), l’une contemplative et insidieuse, comme si Andreï Tarkovsky rencontrait l’indicible et l’autre plus frontale et renfermée d’un Lucio Fulci découvrant un jeu de tarot. Mais au final ? Je ne cherche pas à reconnaître telle ou telle influence, perdu dans le flux, bercé par l’élagage graduel, malgré un tempo soutenu, se terminant sur une plage vocale quasi ambient où se répètent mantras brouillés et incompréhensibles apposant une torpeur tout aussi étrange que le déluge de son démarrage. Mouvement, je pourrais en parler pendant des heures tellement l’album est riche et qu’il demande comme son prédécesseur du temps car il est son propre arbitre. Aussi libre qu’un solo de saxophone, c’est un état d’esprit qui est mis sur bande et je le répète encore, Mouvement est la meilleure chose qui soit arrivé au metal extrême en 2018 (et pourtant sorti avec un an de retard…)

https://chaosechoes.bandcamp.com/album/mouvement

Sustain (Utech Records, Avril 2018)

Chaos Echoes Sustain

Sustain est, à la base, sorti d’un malentendu. Celui d’une blague entre Stéphane Tanneur (bassiste et graphiste du groupe) et le boss de Utech Records. Mais au final, cette collaboration fantasmagorique entre les français pratiquant un metal extrême d’une autre galaxie et le surbooké saxophoniste free Mats Gustafsson (The Thing, Fire ! Etc…) a bien vu le jour. Non réunis durant la phase d’enregistrement, certes, mais dans un esprit purement free et jazz. Sustain est hautement atmosphérique, voire cloisonné et difficile d’approche. C’est peut-être l’album le plus sombre du groupe mais aussi le plus spontané. Un gouffre, le véritable inconnu car non « travaillé », peu « réfléchi » et instinctif. Ce qui ne veut pas dire incontrôlable et désordonné. Bien au contraire. Véritable travail d’échange, Sustain est (encore) un travail sur le dialogue, le libre arbitre, les deux facettes d’une pièce qui s’imbriquent. Ce qu’a sorti Chaos Echœs de ces séances d’improvisations, Mats Gustafsson l’a transcendé par une simple matinée d’improvisations, encore… Nous avons donc la douceur du saxophone dans un premier temps, au milieu des réverbérations et cliquetis sépulcrales du groupe, chacun suivant le mouvement de l’autre telle une danse macabre et langoureuse. Et c’est en observant cette pochette qu’on se rend compte d’une chose. Ça se craquelle, ça se fissure, la réalité se déforme, s’éventre et quelque chose d’autre cherche à, je ne sais pas s’interposer… Et, toujours, je retrouve une sorte de dualité. Si le premier titre, « Spellbound » est plus contemplatif, le second, « Harvest Of Souls » est plus tribal et immersif, un compte à rebours retors où le saxophone de Gustafsson se fait d’avantage fou, sifflant, névrosé, prenant limite le pas sur la trame de Chaos Echœs, gagnant sa liberté, insufflant une nouvelle couleur, une tension décuplée… Et là, Sustain décolle littéralement sur une nouvelle dimension. Pour cause, c’est la première fois, depuis la participation du suédois avec Sonic Youth et Merzbow, que je retrouve ce sentiment d’étrangeté, de folie, cet état où tout est susceptible d’arriver.

https://chaosechoes.bandcamp.com/album/sustain

Retrospective Chaos Echoes Band 2

Remains (Utech Records, Novembre 2019)

Chaos Echoes Remains

Et nous voici enfin à Remains… Le groupe s’est dissous, la dualité/symbiose entre les deux frangins, dont Stefan Thanneur, bassiste et graphiste attitré était le mur porteur, n’est plus… Avec cette sensation, que tout ça s’est un peu terminé en eau de boudin. Merde quoi ! Pourtant, les plus attentifs auront remarqué sur leur page bandcamp que le groupe s’apprêtait à sortir une dernière offrande, le dernier passage avant la fin du voyage. Double disque comprenant les interventions live de Chaos Echœs s’étalant entre 2012 et 2018, qui avec le temps s’était forgé une certaine réputation sur un cercle d’initiés (dont votre serviteur). Remains est donc là pour abreuver les chanceux et autres déçus de cette dissolution subite. Étrange d’ailleurs d’y faire un rapprochement avec le généralissime documentaire Jodorowski’s Dune revenant sur la genèse de ce projet cinématographique fou. Remains me donne cette impression semblable, celle d’affleurer une ébauche, d’y voir les coulisses, préparations et forces en présence, ce quelque-chose qu’on ne verra jamais, prisonnier du fantasme, mais qui fait encore plus rager (ou saliver) de frustration. Remains est la dernière pierre, un cadeau d’adieu ainsi qu’une sorte de best-of capté dans des conditions live. J’y vois aussi les cendres de ce que le groupe aurait pu nous offrir… Des transfigurations psychédéliques lorgnant vers l’ambient et l’industriel rituel, des climats de tensions quasi introspectifs, des déferlantes d’énergie à couper le souffle, telle une mandale en pleine trachée, et cette atmosphère. Unique et aliénante… Dès les premières secondes, que ce soit dans un blast asphyxiant ou dans la montée progressive d’un climat anxiogène, de la saveur d’un riff aussi gluant que sépulcral, de la rareté de voix hantées ou d’un savant mélange entre contemplation et violence des sens, Chaos Echœs proposait un voyage où rien n’était figé. Ainsi, si Remains est en deux parties, l’une plus récente et la dernière plus antérieure, c’est aussi pour marquer un signe d’évolution. Que même si les titres ont été posés sur bande, ils n’en demeurent pas moins sujets à de subtiles variations et sont toujours des dessins qu’on peut retourner, auxquels on ajoute ou retire des traits, des couleurs etc… Si certains morceaux se répondent entre les deux disques c’est pour mieux changer, muter et se fondre dans une structure adaptée aux circonstances. La première partie, Ecstasy With The Nonexistent, est la captation d’un concert donné en 2018 où le groupe faisait un mixage entre les morceaux de bravoure constituant Transient et Mouvement donnant un ensemble cohérent sans en perdre l’essence, l’audace et la singularité. Je ferai peut-être toujours, et possiblement à tort, la comparaison entre le groupe et Alejandro Jodorowsky… Il existe entre les deux une sorte de folie mais créatrice. Non pas prendre l’art pour ce qu’il n’est pas, réceptacle imbu de condescendance, mais une véritable proposition ne cherchant pas à satisfaire, telle une fable. Alors oui, faut bien le dire, Chaos Echœs ça demande quelque chose en plus. Ça ne se digère pas comme le kebab sauce mayo-samouraï du midi, ça demande plus. Jodorowsky encore. La Montagne Sacrée, le film, ça ne se consomme pas comme un Marvel, c’est un trajet à embranchements multiples, tortueux ou perché parfois, une expérience temporelle totale. Et bien Chaos Echœs je vois ça comme une carte de tarot dont on ne connaît pas la signification mais qu’on garde en main, on ne sait pourquoi, tout en la fixant, croyant y voir un détail, une sorte de punctum. Du metal extrême qui interroge, ben dis donc, où allons-nous ? Et pourtant, peut-on encore qualifier Chaos Echœs de Metal ? Oui, la graine qui a donné naissance au groupe est bien de cet univers, quelque part entre Aluk Tolodo, Incantation, Gorguts, entre autres mais mélangé aux expérimentations maximalistes des Swans, voire Sonic Youth, avec la liberté de ton du free-jazz. Et non, je ne ferai pas de name-dropping. C’est une plante créée de différents bourgeons greffés, un travail d’alchimiste qui restera dans le coin d’une étagère…

La deuxième partie, j’ai failli l’oublier, est un mixage entre différentes prises studio spontanées et live s’étendant entre 2012 et 2016 mais donnant l’impression d’un amas clair et structuré d’une litanie. Presque un titre unique dont le mixage rend justice. Plus travail de monteur que de prise de vue, cette seconde partie permet de lier quatre années de tâtonnements, de recherches, d’explorations et dans un seul disque les lier. Aussi on trouvera des interludes, allant de quelques secondes seulement à presque à une minute, dans une sonorité grinçante, quasi concrète, pour mieux laisser place à ce climat de pesanteur entre distorsions de l’espace et irruptions de violence soudaines où les sens sont submergés par un trop plein d’atmosphères. Étouffant, révélateur mais brillant. Saluons au passage James Plotkin qui s’est chargé du mastering de cette seconde partie arrivant à rendre ce patchwork viscéral.

https://chaosechoes.bandcamp.com/album/remains

Et c’est ainsi que se termine ce voyage… Il aura semblé peut-être court, il gardera un parfum d’inachevé un peu acre dans la bouche alors que l’arrivée d’un véritable troisième album aurait pu donner une plus grande notoriété quand on observe la courbe qualitative de la discographie du groupe. Peut-être pas une notoriété médiatique mais une sorte d’aboutissement stylistique où le groupe français aurait pulvérisé les dernières barrières d’un cocon pour donner cet autre chose que tout explorateur souhaite découvrir. The Lost City of Z

Là, je sors du cadre de simple chroniqueur mais, putain, les mecs, Chaos Echœs va me manquer. De la première fois où je vous ai vu en première partie de Hedvig Mollestad Trio un samedi soir jusqu’au jour où Stefan Thanneur distribua quelques exemplaires de Remains à Souffle Continu, j’ai toujours pris ce groupe comme une arlésienne. Un groupe qui arrivait à coïncider le metal extrême qui me plaisait avec ces aspirations qui titillent oreilles et cortex (free-jazz, ambient, Jodorowsky etc…) et dont la sortie de Sustain, couplée à celle de Mouvement m’a seulement fait tilter dans ma caboche : CE groupe. Aussi, ici dans ce papier, je préfère juste dire ceci : MERCI !

Merci pour votre audace. Merci pour Transient. Merci pour Mouvement. Merci pour Sustain. Merci à Stefan pour son travail graphique. Merci aux deux frangins pour avoir donnés naissance à Chaos Echœs. Maintenant, j’attends avec impatience ce que donnera ce projet, encore obscur, avec Kalevi Uibo et Stefan Thanneur.

Et comme dirait un certain saxophoniste : I’m going to the Unknow

https://www.chaosechoes.org/     

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