Chaos Echoes – Transient
Chaos Echoes
Nuclear War Now
Plus que de mettre un pas dans l’inconnu, plus que de se retrouver en équilibre instable, Transient convoque des images et métaphores visuelles obsédantes. On peut perdre pied, trébucher et se relever dans l’obscurité, c’est possible, mais là… Tourner la tête à gauche, à droite, en haut ou en bas ne changera rien. Happé dans un trou de ver et perdu dans une autre dimension, Chaos Echoes dissout les frontières. Il faut oublier ce qu’on connaît, ce qu’on a écouté et analysé, ce qu’on prenait pour acquis. Et ce n’est pas simple d’apposer des mots là-dessus.
Bienvenu sur cette terre vierge et mystérieuse, d’espace saturé et malléable où il est facile de se perdre en chemin sans possession du fil d’Ariane. Ici, seul compte le flux, car, ne vous y trompez pas amis voyageurs, Transient est un parcours en plusieurs étapes, une sorte de pèlerinage immersif, voir suffocant. J’avais déjà perdu certains repères à l’écoute répétée de Tone Of Things To Come (Hé, le pèlerin, c’est chroniqué ici) mais là, difficile de s’accrocher à un port de sûreté illusoire : les dernières marques matérielles qu’on qualifiera de « rassurantes » se sont évanouies.
Comprenez par là qu’il faut faire acte qu’il n’y ait plus de « structures » à proprement parler. Non pas que l’objet se résume à un empilement bordélique de sons et de riffs indéterminés, je parle ici d’architecture de morceaux, de refrains, de trames, l’album en son entier se révélant, au contraire, d’une ossature colossale et plus que réfléchie. Un cheminement donc, qui laisse le temps à ses ambiances de se développer, commençant, de prime abord, comme un trip minimaliste et répétitif à la tension progressive flirtant avec l’ambient sépulcral de Zoat-Aeon qui fricoterait avec la zeuhl. Ce qui dérange, ici-bas, c’est le développement ; il est long, improvisé et tortueux, ou quand John Coltrane fornique en duo avec Can sous amphétamines. C’en est presque machiavélique. Et, comme pris de panique, vient, d’une bourrasque de vent, exploser la violence chaotique, se rapprochant des hypnotiques et non moins dégoulinants Portal. Dantesque, aussi sec et imperturbable qu’une divinité des Grands Anciens. Une agression qui aspire et engloutit l’âme, aussi tétanisante que remarquable. Souvenir d’un regard perdu dans une spirale maximaliste. Puisque je vous le dit…
Plus le temps passe et plus je vois Chaos Echoes comme le pendant extrême d’un Swans sur les paroles de Wayne Shorter. Un groupe qui cherche à pousser, sans crainte, les frontières du son et des sensations, transformant l’instant d’écoute en expérience proprement physique et moléculaire. Plus qu’un album extrême flirtant avec l’inconnu halluciné d’une carte de tarot d’Alejandro Jodorowski, plus que la collusion de l’esprit free-jazz avec le metal d’entre les morts (poussant d’autant plus l’ambivalence avec Gorguts), une claque. Un monolithe… Ni death, ni black, Chaos Echoes est son propre style, sa propre interrogation. Et vous pouvez me dire combien de groupe peuvent arriver à ce stade d’excitation et d’exigence ? Combien ? Le 2001 du metal extrême ? Et ceci n’est pas négociable.
Jéré Mignon
PS : Je sais bien que je radote (et je vous dis zut aussi, merci !), mais quand on tient entre les mains l’objet, un vinyle pesant presque un kilo, on ne peut s’empêcher de formuler que ce qu’on tient est une œuvre d’art. Que ce soit le livret, la texture, les illustrations, les détails fascinants scrutés à la loupe, tout revient à l’artisanat (première entreprise de France). C’est bien simple, c’est comme tenir le livre maudit d’Al-Azif entre ses petites quenottes.