Threshold – Dead Reckoning

Dead Reckoning
Threshold
Nuclear Blast records
2007
Palabras De Oro

Threshold – Dead Reckoning

Threshold Dead Reckoning

Il y a de cela une bonne décade, j’avais assisté (au Hellfest) au « lynchage », par les fans, de Robert Lowe, le nouveau frontman du célèbre groupe de doom Candlemass, en remplacement du mythique Messiah Marcolin. J’avais été choqué par leur intransigeance de principe (Robert Lowe n’ayant pas démérité) et pu mesurer l’agressivité que pouvait générer le changement d’un chanteur historique au sein d’un groupe. C’est vrai quoi : Black Sabbath, c’est Ozzy. Dio était un rigolo. Marillion, c’est Fish. Hogarth n’est qu’une tapette pop 80’s. Genesis, c’est Gabriel. Collins chantait de la dance alors qu’il ne savait même pas danser. Je n’ai jamais voulu argumenter ce genre de débat quand j’y ai été confronté, et d’ailleurs mes préférences dans les exemples ci-dessus ne sont pas forcément celles qui sont citées. Parfois j’aime les deux configurations même s’il faut avouer qu’un changement de vocaliste s’accompagne souvent d’une évolution musicale du groupe difficilement digérée par les fans. De plus, si vous êtes entré dans la musique du groupe directement après cette évolution majeure, il se peut qu’au contraire, vous aimiez moins ce qui a été fait avant. Il en résulte des luttes de clans de fans interminables, vu qu’au final, tout n’est qu’une affaire de goûts… et de couleurs.
Moi, je suis rentré dans le monde de Threshold en 2000, pour la sortie de l’excellent Hypothetical, alors qu’Andy Mac Dermott (dit « Mac ») avait rejoint le groupe depuis seulement deux ans. J’ai immédiatement accroché à son chant puissant bien que mélodique et même mélancolique, avec un soupçon de rocaille dans ce coffre au trésor que constituent ses cordes vocales. J’ai pensé que ce groupe était idéalement complémentaire avec des leaders comme Karl Groom qui n’a rien à envier à « Monsieur riffs » Tommy Iommi et Richard West aux textes d’une grande profondeur du haut de ses claviers éclectiques. Je craquais également sur le jeu métronomique de batterie de Johanne James, celui qui m’a enfin fait apprécier la double grosse caisse, abusivement employée par les groupes de metal. J’arrivais en pleine période d’évolution d’un groupe qui se mit à enchaîner les pépites : Clone, Hypothetical, Critical Mass, et Subsurface, quatre excellents albums de metal prog à tendance power sortis chez Inside Out dans lesquels il n’y a rien à jeter. Au moment de se pencher sur le suivant, Threshold fut drafté par Nuclear Blast, un label pas branché prog, mais susceptible d’apporter au band toute la notoriété qu’il méritait, lui qui restait un peu dans l’ombre de locomotives comme Dream Theater. Cela boosta nos Anglais qui réussirent à mettre la barre encore plus haut pour sortir en 2007 un fabuleux Dead Reckoning, peut-être le point culminant de leur carrière, même si Dividing Lines, leur dernier rejeton, est largement digne de ces illustres prédécesseurs. Et pan ! À peine sorti et au moment de répéter pour partir en tournée jouer Dead Reckoning, Mac se fendit d’un email laconique dans lequel il annonça qu’il ne viendrait pas, car il voulait « vivre sa propre vie ». Richard West m’a confié que ce fut un choc total pour eux. « Nous avions fait un superbe album ensemble et avions hâte de le défendre sur scène avec Mac. Malheureusement, c’est la dernière fois que nous avons entendu parler de lui. Nous avons de merveilleux souvenirs du temps passé avec Mac, donc c’était triste que cela se termine de manière si inhabituelle ». Quatre années plus tard, Andy Mac Dermott succombait à un grave problème rénal et depuis, je suis orphelin de sa voix dans Threshold. Commençait-il déjà à souffrir de sa maladie en 2007 ? Je n’en sais rien, mais une chose est certaine : si Threshold a connu de multiples changements de line-up autour de Karl et Richard, ce ne fut jamais à cause de dissensions dans le groupe, surtout pour Mac. La preuve ? C’est à Damian Wilson que le groupe fit appel pour le remplacer, un come-back au bercail, puis à Glynn Morgan (qui officiait avant Damian) et c’est à partir d’ici que je fais le lien avec mon introduction.

Threshold Dead Reckoning band2
Alors, Threshold, c’était mieux avec Mac ? Alors, sans polémiquer et tout en saluant la qualité des autres chanteurs de Threshold, moi j’ai préféré. J’ai essayé de décrire plus haut le timbre de Mac, mais il faut l’écouter pour en juger. En comparaison, Damian Wilson est un fabuleux chanteur, meilleur techniquement que Mac et capable de monter plus haut dans les aigus. Avec sa voix de tête, il donne cependant, à mon sens, un côté trop lyrique à la musique de Threshold. Il fait des merveilles dans Arena ou Ayreon où son style convient mieux à ce répertoire plus alambiqué. Glynn Morgan est nettement plus proche du style de Mac que Damian, mais avec un peu moins de coffre. Quoi qu’il en soit, il fut excellent au Raismesfest 2023 où j’ai vu le groupe en live, et sa performance sur leur dernier album Dividing Lines est en tout point remarquable. Alors, bien que je demeure orphelin, la messe est dite et le recours (retour ?) à Glynn a certainement été le meilleur choix fait par le groupe aussi bien vocalement qu’humainement. En tout cas, c’est lui qui m’a fait revenir vers Threshold que j’avais délaissé après Dead Reckoning.

Que de digressions avant d’en parler ! Le groupe souhaitait frapper un grand coup pour son transfert chez Nuclear Blast en 2007 et muscler son propos, histoire de mieux coller au côté très metal de son nouveau label. Ce fut un coup de maître d’entrée de jeu avec un « Slipstream » à couper le souffle par son riff bardé d’harmoniques artificielles, ses breaks incessants assénés à la milliseconde près par Johanne James sur lesquels Dan Swanö (Edge Of Sanity, Bloodbath…) éructe ses « Oh do you really think so » growlés, et son refrain libérateur sur fond de twin. Une vraie claque ! « This Is Your Life » enfonce le clou par des riffs encore plus torturés et Mac savait y faire pour faire monter la pression mine de rien, enchaînant des couplets faussement plats à une montée vocale graduelle nous amenant à un refrain digne des meilleurs hymnes de power metal. Richard West se met plus en vue qu’habituellement en alternant ponts synthétiques et rythmiques sautillantes de claviers en arrière-plan, confinant presque à de l’electro. Ensuite, la complexité de l’intro d’« Elusive » fait qu’on se demande où le groupe va nous emmener. Eh bien, c’est sur la même rythmique endiablée que les deux manifestes précédents avec toujours ce secret des refrains lumineux sur un changement de rythme judicieux, avec un gros travail sur les chœurs. L’entremêlement des soli de guitare et de clavier est proprement hallucinant précédant un pont magique qui donne des frissons tellement les harmonies sont superbes. Les émotions prennent le pas sur l’énergie et « Hollow » propose le plus beau refrain de l’album avec un Mac incroyablement versatile et sans mièvrerie, au point de me mettre la larme à l’œil à chaque fois que j’écoute ce titre. Pourtant, le meilleur reste à venir avec l’épique « Pilot In The Sky Of Dreams ». Il démarre par une première partie sous forme d’une ballade presque anodine recélant un solo de guitare floydien. Sous l’impulsion de la basse entêtée de Steve Anderson, le morceau accélère brusquement alors que Mac atteint les tréfonds de la mélancolie, bien aidé par les nappes de claviers de Richard. Encore une fois, le refrain arracherait des larmes à un dictateur (peut-être faudrait-il le passer sur les ondes russes ?). Les parties instrumentales sont d’une complexité impressionnante avec un Johanne James qui fait feu de tout bois. On mesure toute la place qui est désormais faite à Richard West en alter-ego de Karl, son guitariste de toujours. « Pilot In The Sky Of Dreams » est sur la BO du film In The Name Of The King : A Dungeon Siege Tale sorti en 2008 (c’est l’unique chanson de Threshold figurant sur une BO à ce jour). « Fighting For Breath » lorgne ensuite du côté de Dream Theater et montre que nos Anglais ne sont toujours pas décidés à dépressuriser cet opus qui est gavé de références aériennes. En fait, « dead reckoning » est une méthode pour situer un aéronef grâce à l’estimation d’une position actuelle en fonction d’une position passée, d’une direction et d’une vitesse.
S’il devait y avoir une faute de goût dans cet album, cela serait le popisant « Disappear » dont on a l’impression qu’il est impulsé par la remarquable reprise du « Supermassive Black Hole » de Muse figurant en bonus de l’album, tout en étant cependant nettement moins inspiré. Retour aux affaires avec le lourdingue « Save To Fly » sur lequel on retrouve cette géniale habitude d’alterner des couplets volontairement peu consistants avec des refrains remarquablement introduits pour les rendre inoubliables. Les soli mélangent twin et simple guitare. « One Degree Down » prolonge cette rythmique mid-tempo parsemée de refrains qui cartonnent avant d’affoler complètement les compteurs lors de parties instrumentales, puis chantées, de folie. La fin du morceau déboule sans prévenir sur un riff majestueux permettant à la superbe guitare de Karl Groom une multitude de variations suscitant leur dose d’émotion. Un bien bel épilogue de nouveau épique pour un Dead Reckoning fabuleux et incontournable.

Threshold Dead Reckoning band 1
Et justement, en guise d’épilogue pour cette chronique, je vous livre quand même mon avis sur les changements de chanteurs précités. Pour Candlemass, Robert Lowe a assuré en live dans des conditions très difficiles, mais je ne les connais pas assez pour faire des comparaisons. Ozzy donnait à Black Sabbath ce côté inquiétant et malsain que j’adorais. Dio est un bien meilleur chanteur, mais plus traditionnellement heavy. C’est l’exemple qui correspond le mieux à la comparaison que je fais entre Mac et Damian Wilson. Je n’ai jamais beaucoup aimé le chant trop saccadé de Fish aussi ai-je rapidement quitté Marillion pour y revenir quand Hogarth l’a remplacé, bien que je reconnaisse que Misplaced Childhood soit un album mythique. Enfin Gabriel et Collins, c’est pour moi choux vert et vert choux : les deux en avaient marre de faire du prog et sont partis vers une pop/world music plus rémunératrice, il faut bien l’avouer. On doit garder mesure et objectivité en toute chose, aussi je ne défendrais jamais ces avis nuancés, pied à pied face à des ultra fans. Et d’ailleurs, certains ont préféré Damian ou Glynn à Mac : Ils ont (leurs) raison(s) et moi aussi. On ne saura jamais si Dead Reckoning aurait été aussi extraordinaire avec un autre chanteur, mais j’ai entendu Glynn chanter « Mission Profile » (chanté par Mac sur Subsurface) en live, et franchement, ça vaut le détour.
PS : Cette chronique est dédiée à Thierry De Haro, un des fers de lance du webzine Chromatique (https://www.chromatique.net/). R.I.P.

Coup-de-Coeur

https://www.thresh.net/
https://www.facebook.com/threshold

2 commentaires

  • Chris

    Excellent album en effet. Threshold est un incontournable du métal prog, beaucoup plus qu’un dream Theater je trouve. A ranger à côté des meilleurs Pagan’s mind et Anubis Gate….

    • Palabras De Oro

      Bonjour et merci pour ce commentaire. Là ou DT a longtemps tourné en rond (bien que ça se soit amélioré sur le dernier album et que le retour de M. Portnoy génère beaucoup d’espoir), Threshold a su évoluer en douceur, malgré la défection impromptue puis la disparition de Mac. Mais nous sommes à une époque où le talent et la créativité ne suffisent plus. Threshold ne bénéficie pas de la grosse machine US de DT et donc de son audience et de sa reconnaissance internationale.
      Effectivement, l’avenir du metal prog semble désormais plutôt provenir de Scandinavie ou d’Australie.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.