Nick Magnus – Catharsis
Magick Nuns Records
2019
Thierry Folcher
Nick Magnus – Catharsis
Catharsis ou les aventures de Nick Magnus en Ariège. Non non, vous ne rêvez pas ! Notre ami anglais s’est bien pris de passion pour les paysages, l’histoire et les légendes de ce département occitan situé dans les Pyrénées. Alors c’est vrai, ce n’est pas le premier britannique à succomber aux charmes du sud-ouest de la France, mais de là à lui consacrer un album entier, faut reconnaître que la chose n’est pas banale. Nick Magnus a toujours rêvé de travailler pour le cinéma, à tel point que certaines de ses compositions sont construites comme de véritables supports d’images. Il avoue adorer scénariser ses créations et lorsqu’un sujet le captive, les notes et les mots arrivent tout seuls. C’est ce qui s’est passé lors de ses passages en Ariège où les lieux et les histoires de ce beau pays ont été perçus comme une évidence à mettre en musique. Chaque titre de Catharsis est donc consacré à un endroit particulier du département ou à un événement (réel ou imaginaire) qui s’y est déroulé. Pour ceux qui ne seraient pas encore familiers avec Nick Magnus, il est bon de rappeler qu’après un court passage chez The Enid, il assura les claviers chez Steve Hackett de Spectral Mornings (1979) jusqu’à Guitar Noir (1993), avant qu’un certain Roger King ne prenne la suite. Cette longue période en compagnie de l’ex-guitariste de Genesis a bien évidemment influencé son style, à l’image du titre « The Colony Is King » sur Children Of Another God (2010) qui aurait pu figurer sur n’importe quel album du célèbre guitariste. Mais en règle générale, son approche musicale ressemble davantage à celle d’un claviériste habitué à cultiver des ambiances atmosphériques ou symphoniques plutôt que des pulsations rock.
Catharsis est son sixième album solo et fait suite au très réussi N’monix sorti en 2014. La pochette assez énigmatique représente une figure de pierre gravée d’art pariétal et le titre, synonyme de libération, fait bien sûr référence à la résistance Cathare, fortement ancrée en terres ariégeoises. La présentation est soignée, avec de superbes photos qui illuminent le livret et justifient à elles seules l’engouement que l’on peut ressentir pour cette région. Le CD est accompagné d’un DVD plein d’humour et de passion où Nick se charge de nous décrire chaque titre de l’album. Du côté des invités, pas de surprises, on retrouve les habituels Steve Hackett, Pete Hicks, Andy Neve et Tony Patterson déjà présents sur N’monix, rejoints pour l’occasion par Amanda Lehmann et Steve Unruh. Il a fallu une bonne dose de courage, voire de folie, à Nick Magnus pour prendre à bras-le-corps ce projet discographique hors du commun. Mais d’un autre côté, il est toujours intéressant de découvrir la perception d’un lieu par une personne au regard à la fois candide et enflammé. Un petit air de naïveté qui peut s’avérer délicieux. Les ariégeois mélomanes découvriront à coup sûr une évocation de leur pays pleine de fraîcheur et de nouveauté. Et ces derniers ne seront pas surpris de voir l’album s’ouvrir avec le poignant « Red Blood On White Stone » qui revient sur la reddition de la forteresse de Montségur. Un haut lieu Cathare très connu bien au-delà des limites de l’Ariège et qui symbolise à lui seul la résistance des opprimés. Les claviers de Nick se chargent de nous envoyer un semblant de « Kashmir » de Led Zeppelin, histoire de plomber une ambiance où le martellement métallique et les chœurs monastiques vont précéder et accompagner un furieux solo de Steve Hackett. C’est du pur Nick Magnus, ultra symphonique et dramatique dans sa construction. Une belle réussite qui lance l’album sur des bases progressives de grande classe.
Après cet épisode à forte connotation cinématographique, c’est au tour de la pop raffinée de « Three Tall Towers » de nous amener sur les hauteurs de la ville de Foix où se dresse un majestueux château à trois tours, connu lui aussi comme refuge Cathare. Par analogie, cette chanson superbement interprétée par Pete Hicks, est bâtie autour du chiffre 3. Three Towers, three sisters, three nobles…, les paroles de Dick Foster jouent allègrement avec ce concept, tout comme les trois accords de clavier qui ouvrent le début du morceau. La musique retrouve ici la coloration douce et raffinée qui symbolise la plupart du temps les compositions de Nick. Puis l’instrumental « Convivium » va nous envoyer vers un Moyen-Age plus vrai que nature. Une composition classique dont les entrelacs médiévaux vont mettre en valeur la belle écriture et la parfaite maîtrise technique de leur auteur. Après ces épisodes qui ont construit la grande Histoire, c’est au tour de « The Devil’s Bridge » d’édifier la « petite » autour de ces légendes qui ont façonné le terroir populaire. Ce titre chanté par Tony Patterson est imprégné de cette même langueur qui caractérise les superbes Northlands et Equation Of Meaning, deux albums atmosphériques de Tony sur lesquels Nick était présent. Changement de décors et d’époque avec « The Market At Mirepoix », où le violon virevoltant de Steve Unruh va suggérer la frénésie et l’enthousiasme d’un marché occitan. Pour nous français, cette évocation peut sembler anodine, mais vu de l’extérieur cela prend une toute autre saveur et rejoint ce constat de fraîcheur que j’évoquais plus haut. Ensuite, le court instrumental « Gathering Mists » va déployer de belles nappes de clavier et faire jouer un piano mystérieux. Nick est dans la contemplation et le recueillement face aux brumes qui enveloppent les montagnes pyrénéennes. Une jolie parenthèse qui précède le dernier round d’un album déjà réussi.
La prochaine visite va nous amener chez Marinotte, une veuve à la vie simple et rude rythmée par les saisons et les obligations de la ferme. « The Widow In Black » est un bel hommage aux petites gens, écrit par Dick Foster, mis en musique par Nick Magnus et joliment chanté par Amanda Lehmann. Nick ne le dit pas, mais je le soupçonne de dédier cette chanson à la personne ayant vécu autrefois dans le gîte qu’il occupe pendant ses vacances. Enfin, « Mountain Mother » va clore l’album de façon majestueuse avec plus de treize minutes de rock progressif inventif et épique. On part sur des bases cinématographiques bien senties avant que Tony Patterson nous conte l’histoire des premiers occupants des grottes ariégeoises. La vie de ces populations est ici relatée sous forme de croyances, d’initiations et d’art rupestre. Les chœurs sont superbes, les arrangements d’une grande richesse et Tony trouve le moyen de chanter par moment comme Peter Nicholls, c’est du moins ce que j’ai ressenti.
Avec « Red Blood On White Stone » et « Mountain Mother » Catharsis est encadré par deux morceaux à forte intensité dramatique, montés comme de véritables séquences de cinéma. Il restera néanmoins de cet album un bel ensemble homogène où la sincérité de l’artiste ne fait aucun doute. Nick a vraiment ressenti le besoin de donner le meilleur de lui-même pour ce beau lieu de France qui voit désormais son patrimoine culturel enrichi d’un surprenant album de rock progressif « made in England ».