Live report – Arena The Visitor (Z7 Konzertfabrik Pratteln)
Live report – Arena The Visitor (Z7 Konzertfabrik Pratteln)
Arena profite du printemps pour se promener dans toute l’Europe afin de proposer un concert basé sur l’intégralité de leur album culte, paru en 1998, The Visitor. Même si un nouveau disque vient de sortir, Double Vision, seuls deux titres de celui-ci – excellents au demeurant – seront proposés lors de cette mémorable soirée dans l’incontournable salle helvète qu’est devenue la Z7 Konzertfabrik, près de Bâle.
On comprend les réticences qu’a peut-être pu avoir la formation britannique à exécuter, devant un auditoire acquis à la cause de ce vingtième anniversaire, davantage de morceaux encore inconnus de la frange la plus importante du public. C’est dommage car Double Vision reprend la thématique développée sur The Visitor. Les deux œuvres se suivent et se répondent. La preuve en est que le titre-même du petit dernier reprend le titre de la troisième piste de la galette de l’époque. Arena a informé qu’une seconde tournée, davantage axée sur les compositions de Double Vison, prendra corps prochainement.
Flashback : Quand The Visitor parut, il y a vingt ans, la presse s’est emballée en criant « Au Génie ! On tient là le nouveau (cocher la réponse) Marillion – Queen – Rush – Yes – Genesis ». Certes, tous les éléments augurant d’un grand projet étaient massivement présents : des musiciens calibrés et renommés ; on a même parlé alors de super-groupe puisque (presque) chaque membre d’Arena s’était d’abord fait connaître dans d’autres formations renommées comme Marillion, Pendragon, Shadowland, Asia ou IQ, ainsi qu’un graphisme de toute beauté dû au célèbre Hugh Syme, illustrateur des pochettes de Rush. Hélas, la tournée qui suivit, si elle fut magnifique, n’avait pas drainé les foules, loin s’en faut. Il faut bien avouer que l’adjectif « progressif », en cette fin de XXe siècle, était encore un gros mot et que si l’on souhaitait perdre sa crédibilité dans les plus brefs délais, il suffisait d’avouer que vous préfériez Genesis à Massive Attack ou Oasis. La rédemption des années 2010, provoquée, entre autres bienfaiteurs, par Muse, Porcupine Tree, Transatlantic ou Opeth, n’avait certes pas encore eu lieu malheureusement. Ironie du sort, aujourd’hui, il est même presque cool d’arborer fièrement un T-shirt avec le logo de Yes bleu roi (cf. Ty Segall). L’histoire de la musique est elle aussi celle d’un éternel recommencement.
Retour en ce 10 mai 2018. De l’équipe d’alors restent le fondateur et batteur Mick Pointer (ex-Marillion), le brillant et ubique guitariste John Mitchell (Kino, Frost*, It Bites, Lonely Robot) et le principal compositeur Clive Nolan (Pendragon, Shadowland). Exit le bassiste John Jowitt (IQ, Ark), remplacé par le polyvalent Kylan Amos, responsable des représentations visuelles du groupe. On espère que la valse des chanteurs a enfin terminé son tour de chant. En effet, après John Carson sur Songs from the Lions Cage (1995), parfait clone de Fish (ex-Marillion), se sont succédé Paul Wrightson (chanteur originel de The Visitor) et Rob Sowden. Depuis l’excellent The Seventh Degree of Separation (2011), c’est le parfait Paul Manzi (Cats In Space) qui assure les vocaux avec une aisance redoutable, tant en studio que sur scène. La tessiture incroyable de ce très grand chanteur permet enfin à Arena, de rejouer n’importe quel titre de leur glorieuse discographie, sans que la comparaison avec l’organe (vocal) du « leader » d’alors ne lui porte ombrage. Bien au contraire, Paul Manzi a tout des plus grands. On pensera à Freddie Mercury (Queen), au regretté Andrew McDermott (Threshold) ou même à l’icône David Coverdale (Deep Purple, Whitesnake). Excusez du peu !
Le public bien présent aurait pu être plus nombreux, la faute à cette date placée un jeudi soir de l’Ascension, drôle d’idée du tourneur…Cela dit, la masse vivace de la salle a joui de chaque seconde de ce concert maîtrisé de bout en bout. Déjà, le son : Parfait, comme (presque) toujours dans cette salle mythique. Ensuite, le jeu des musiciens, réglé comme un coucou, a assuré une prestation digne des plus grands. Aucun couac ni problème technique ne sont venus gâcher la fête. Pourtant, Dieu sait que la musique d’Arena ne manque pas de chausse-trappes rythmiques ou harmoniques ! La palme revient à John Mitchell, guitariste harmonieux habité de mélodies efficaces et lyriques. Le nouveau Gilmour (Pink Floyd) ? le nouveau Rothery (Marillion) ? Assurément. Ce n’est pas pour rien que tous se l’arrachent dans le petit monde du rock progressif, en attendant que sa renommée dépasse ce microcosme, naturellement. Médaille d’argent à Paul Manzi, très à son aise dans l’interprétation de cette œuvre maîtresse pourtant exprimée jadis par Paul Wrightson. Mais le bonhomme est bon, très bon et il le sait. Ainsi, son charisme peut se déployer et personne, vraiment personne, dans la salle, n’aurait osé exprimer un regret face à cet état de fait. Après plus de vingt ans de carrière, Arena tient son meilleur chanteur. Il ne faudra pas le laisser filer !
L’intégralité de The Visitor a été exécutée avec une maestria indiscutable alors qu’ on pouvait craindre une baisse de régime. Que nenni. Arena a su puiser dans ses meilleurs albums (le premier, le second et The Seventh Degree of Separation) pour asseoir son statut de très bon groupe de scène. Plus deux inédits offerts en pâture à un public déjà conquis, un « Solomon » (toujours) d’anthologie, quelques rappels bien sentis et les deux heures sont passées aussi vite qu’une bière blanche par temps de canicule. Il semblerait qu’Arena ne fasse qu’entamer une seconde partie de carrière, revigorée par le sang neuf apporté par ces recrues essentielles. Pour cette incursion au pays de Friedrich Dürrenmatt, on n’a pas eu droit à La Visite de la vieille dame, ni même à La Panne. Romulus le Grand.
Christophe Gigon
Photographies de Jean-Balise Betrisey et Arena