JPL – Sapiens (chap. 1) Exordium
Quadrifonic
2020
Christophe Gigon
JPL – Sapiens (chap. 1) Exordium
JPL (Jean-Pierre Louveton) fait chanter le rock progressif français depuis plus de vingt ans, que ce soit avec Nemo, Wolfspring ou en solo. Bien connu du milieu, son rock technique mais mélodique, complexe, mais plutôt facile d’accès, a fait des émules, tant auprès des fans de Ange ou Galaad que de Neal Morse ou Threshold. Il faut dire que le bonhomme maîtrise son affaire : excellent guitariste, compositeur doué, parolier et chanteur, Jean-Pierre Louveton gère le tout d’une main de maître. Sapiens (chap. 1) Exordium est déjà le neuvième disque du projet JPL. Sorti officiellement le 20 mars, en plein confinement, le propos de l’album résonne étrangement. L’homo sapiens aurait-il besoin de s’arrêter pour souffler ? C’est en tous cas ce que semble suggérer la magnifique illustration de pochette.
« Mastodontes » ouvre la fête avec un instrumental de haute voltige qui ravira les amoureux de Dream Theater : Lourd, puissant, efficace et un rien pompeux. Mais il faut ce qu’il faut pour asséner d’entrée, une introduction en fer forgé. La mise en son est précise et on pourra relever que le maître de cérémonie ne s’est pas entouré de novices. Ca respire le professionnalisme à chaque note. Vient ensuite le très « zeppelinesque » « Homo Sapiens », au riff très seventies, qui évolue bien vite en méandres que n’aurait pas reniés le grand Steve Howe (Yes). Sur ce titre apparaît le chant en français, clair, précis et posé, sans envolées lyriques ni « tics progs » qui hérissent le poil (vous voulez des noms ?).
Encore une fois, comme chez Galaad ou Lazuli, il faut saluer le courage nécessaire pour chanter dans la langue de Molière. En effet, cet exercice exige un travail supplémentaire, tant au niveau de l’écriture que de la recherche des lignes mélodiques pour la voix. Sans compter le risque de faire passer le tout pour de la « variétoche » ou, pire, du hard rock français ! Heureusement, la sauce prend et on ne se pose jamais la question de savoir si le résultat serait plus probant chanté en anglais. Certes, ce n’est pas du Bashung mais Louveton fait le job et propose des commentaires intelligents et pertinents sur l’évolution de la race humaine. « Ecce Homo » n’est pas une reprise du regretté Gainsbourg. Cette seconde piste sans voix commence par un arpège délicat, très progressif, et, encore une fois, assez proche de ce que peut proposer Dream Theater dans ses meilleurs moments, c’est-à-dire ceux où les musiciens ne doivent pas- encore une fois- démontrer qu’ils jouent avec plusieurs bras. Relevons que JPL ne tombe absolument jamais dans de tels travers. Seules comptent la mélodie et la force de la composition, l’esbroufe n’est jamais la bienvenue. « A Condition » entend réapparaître la voix du chanteur, soulignée par une partition rythmique extrêmement complexe, mais qui semble d’une facilité déconcertante : la marque des grands. « Le Chaud Et Le Froid » forme le titre épique de l’album, de près de dix minutes. Composition de grande classe, très évolutive, à la beauté que ne renierait pas Galaad dans ses moments les plus poignants. L’apport de piano acoustique et de voix féminines ajoute une ambiance des plus émouvantes à l’ensemble. JPL tient là son « This Strange Engine » (Marillion). On en avait presque oublié quel grand guitariste reste Jean-Pierre Louveton. Un style racé et bridé, au service des compositions. On calme le jeu avec le délicat « Planète A ». « Alpha Centuri » clôt l’album de manière ébouriffante : un véritable feu follet de rythmes et de notes. Amateurs de King Crimson : à vos danses bancales ! L’évolution du morceau étonne par sa capacité à se transformer radicalement mais de manière naturelle, loin des collages abrupts malheureusement si répandus dans le rock progressif moderne.
Un très bon disque qui prouve que le rock chanté en français peut être original, professionnel et dynamique tout en évitant les nombreux pièges du genre. Même si Louveton ne peut se targuer de posséder un organe vocal à l’identité affirmée comme celui d’un Pyt (Galaad) ou d’un Dominique Leonetti (Lazuli), force est de constater que notre homme possède d’autres solides atouts : un toucher magique à la six-cordes et un sens de l’arrangement qui fait que chaque seconde du disque sonne comme si elle avait été enregistrée dans des studios américains de prestige, ce qui n’est évidemment pas le cas. Voilà qui va participer à redorer le blason du rock mélodique chanté en français.
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