Mari Boine – Idjagiedas/In The Hand Of Night

Idjagiedas/In the hand of night
Mari Boine
2006
Emarcy records/Universal

Mari Boine – Idjagiedas In The Hand Of Night

Le nouveau Mari Boine vient de paraître, et c’est un très grand cru ! A ceux qui découvriraient aujourd’hui seulement la plus célèbre chanteuse du peuple Saami, un petit rappel historique s’impose avant d’aborder le contenu de ce « Idjagiedas – In the hand of night ». Mari Boine est née en 1956 en Laponie, au nord de la péninsule scandinave et de la Norvège. Dès sa plus tendre enfance, Mari reçoit une éducation chrétienne très stricte qui banni totalement la culture et la tradition Saami, et en particulier la musique et le chant, car intimement liés à la pratique interdite du chamanisme. A la recherche de son identité, l’artiste Mari Boine se révèlera à l’âge de 20 ans, lors d’une importante manifestation s’opposant à la construction d’une centrale électrique en plein territoire lapon. Bien décidée à retrouver ses racines et à les revendiquer, Mari se met à écrire, chanter, et militer. Dans le sillage du groupe Daednugadde Nuorat et du chanteur Ailohas, la jeune femme se lance dans l’exploration des musiques traditionnelles des animistes Saamis, refoulées et censurées par les institutions et le pouvoir en place. Son engagement profond pour la défense et la préservation de l’identité culturelle de son peuple s’exprimera à travers un style musical très personnel, que Mari Boine ne cessera de développer et d’enrichir au fil des années.Mari publiera « After the silence », son premier album solo en 1986, au seul format vinyl. Le disque contient essentiellement des ballades et des chansons pop-rock assez conventionnelles, et ce n’est que trois ans plus tard, avec la parution de « Gula Gula » chez Realworld, que le style de Mari Boine se forgera sa propre identité. L’heure est également à la consécration pour l’artiste norvégienne. En effet, distribué sur la scène internationale par un label reconnu, « Gula Gula » révèle Mari Boine à la fois en tant qu’ambassadrice artistique du peuple Saami, mais aussi comme l’une des artistes phare de la world music. Mari s’entoure dès lors de musiciens aussi éclectiques que talentueux. Le Mari Boine Band est né, et ses membres se renouvelleront au fil des années et des albums, à l’exception du guitariste Roger Ludvigsen qui suit la carrière de la chanteuse depuis ses débuts. Dans la foulée de « Gula Gula », les réussites artistiques s’enchainent les unes aux autres, de « Goaskinviellja – Eagle Brother » à « Bálvvoslatjna – Room of Worship », en passant par l’extraordinaire « Leahkastin / Unfolding ». L’œuvre de Mari Boine peut se définir comme une harmonieuse et envoutante alchimie entre tradition ancestrale Saami (chant de gorge « joik », tambours chamaniques), sonorités électro-acoustiques modernes (claviers, guitares, basse), influences traditionnelles venues d’ailleurs (musiques andines et africaines), et enfin, un apport non négligeable issu des cultures pop et jazz. En 2002, avec la sortie du nuancé et tendance « Gâvcci Jahkejuogu – Eight seasons », la musique de Mari Boine prend un virage electro, sous l’influence du claviériste jazz Bugge Wesseltoft qui produira l’album. Les pulsations tribales acoustiques font ici place à des rythmiques programmées et autres textures synthétiques qui, fort heureusement, ne dénaturent pas tant le propos musical de la chanteuse. Si « Eight seasons » s’écoute avec plaisir, il ne casse pas non plus des briques, car plus conventionnel et fortement ancré dans la mode « electro-ethnique » qui sévit à l’aube des années 2000.

« Idjagiedas – In the hand of night » marque le retour de la très grande Mari Boine. Si les sonorités électro demeurent, celles ci-sont utilisées avec mesure et parcimonie, s’intégrant parfaitement dans un univers musical à nouveau dominé par la chaleur des instruments acoustiques. On retrouve ici en effet l’incroyable instrumentarium auquel la chanteuse nous avait habitués dans ses productions antérieures. A travers les pulsations rituelles et tribales de Mari Boine, se côtoient percussions en tout genre, qu’elles soient tambour, djembé ou darbouka. Autour des guitares, viennent se mêler d’autres instruments à cordes, tels que le Bouzouki, le violon, ou encore le Berimbau, un arc musical brésilien à une seule corde percutée, dont le principe est originaire d’Afrique. Une quinzaine de musiciens d’horizons différent on participé à l’enregistrement de l’album, dont le fameux Juan Carlos Zumata Quispe, qui une fois de plus nous enchante, entre autres, avec ses flutes de la cordillère qu’il maitrise parfaitement, avec un feeling bien à lui. Côté surprises, on retrouvera le célèbre guitariste Terje Rypdal, artiste bien connu des amateurs de l’écurie ECM, crédité sur un titre très planant, un peu à l’image de l’album d’ailleurs, dominé par les climats sereins et dépaysant dans lesquels il fait bon s’immerger pleinement. Sur ce fameux « Geasuha », le musicien norvégien vient poser délicatement de magnifiques textures atmosphériques dont il a le secret, et les faire dialoguer avec la voix de Mari, sublime de bout en bout. Incontestablement, celle ci s’est inventé une forme de langage qui lui est propre, en modifiant à volonté l’inflexion de son incroyable voix tout en nuances. Entre chant et narration, entre murmures, douceur mélancolique, et déchainement de puissance, la voix de Mari Boine est un instrument à part entière, mis avec brio au service de sa poésie, de son univers musical passionnant, unique, et de son engagement sans faille. Car cris de guerre et critiques sociales sont toujours au programme de cet album magnifiquement inspiré et on ne peut plus émotionnel, peut-être même le tout meilleur de Mari Boine. Indispensable !

Philippe Vallin (9/10) 

 http://www.mariboine.no/

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