Live report Festival de Marne, 39ème édition, du 26 septembre au 18 octobre 2025

Live report Festival de Marne, 39ème édition, du 26 septembre au 18 octobre 2025
2025
Lucas Biela

Live report Festival de Marne, 39ème édition, du 26 septembre au 18 octobre 2025

Live report Festival de Marne 2025

Preuve de sa vitalité, le Festival de Marne, toujours tourné vers l’éclectisme et l’accompagnement de nouveaux talents, en est cette année à sa 39ème édition. Tout comme l’année dernière, ma sélection comprend des artistes aux horizons divers mais tout autant fascinants. Ainsi, Birds On A Wire reprennent avec poésie un répertoire couvrant plusieurs siècles. Avant que Piers Faccini ne présente ses esquisses aux crayons de Ballaké Sissoko, c’est Louise Charbonnel qui nous subjugue de sa voix protéiforme. Autre voix surprenante, Alma Rechtman passe par différents états pour livrer ses peines de cœur. C’est une bonne surprise en attendant que Kyle Eastwood et ses acolytes n’interprètent de façon rythmée et sensible quelques thèmes sonores qui émaillent la filmographie de Clint Eastwood. Alors que Lisa Li-Lund nous fait pénétrer dans un monde léger mais parfois teinté de mélancolie, c’est avec le feu d’Héphaïstos et l’envoûtement des sirènes que Dafné Kritharas fait ressurgir du passé des mythes. Et ce n’est qu’un aperçu d’un festival aux mille couleurs qui ne cesse d’éblouir par la qualité des artistes présentés.

Birds on A Wire au Théâtre André Malraux de Chevilly-Larue le 30 septembre 2025

Live report Festival de Marne 2025 Band 1

L’une est habillée en bleu et or, l’autre en rouge. C’est cependant la même passion dévorante pour la musique qui amènent Dom La Nena et Rosemary Standley (la voix de Moriarty) à plonger le public dans des atmosphères tantôt légères tantôt plus sombres. L’ambiance est en effet à la fête quand il est question de marelle ou d’arbres. En revanche, le ciel s’assombrit lors de la réinterprétation du « Smalltown Boy » de Bronski Beat. La noirceur n’y a alors d’équivalent que le chagrin éprouvé à la perte d’un être cher. Nos pupilles scintillent néanmoins devant les magnifiques clairs-obscurs créés par les lumières. Ces derniers feraient presque le lien avec les couleurs pastel de la chanson originale, tout en nous rappelant que Georges de la Tour est actuellement à l’honneur au musée Jacquemart-André. Baignant dans un décor sylvestre et plongée dans un minimalisme onirique, la musique est bien à l’image du nom du duo. Mais la poésie se dévoile également à travers la scénographie imaginée par le magicien Étienne Saglio. Ici des feux follets, là des papillons; plus étonnant encore l’archet qui quitte la main pour danser dans les airs. Voilà autant de manifestations d’un univers débordant de lyrisme. Sur le plan vocal, la voix douce de la violoncelliste brésilienne offre un beau contrepoint aux accents tranchants de la Franco-américaine, où se croisent entre autres cabaret et chant lyrique.

Live report Festival de Marne 2025 Band 2

Par ailleurs, des morceaux comme la reprise très libre de « People Are Strange » des Doors ou encore cette chanson sur l’innocence des enfants, présentent de beaux contrastes. C’est sous l’impulsion du violoncelle que les ambiances sont amenées à y varier. Ainsi, pour dégager le ciel des nuages que forme l’archet, il faudra l’intervention des doigts sur le manche. Mais c’est également la multi-fonctionnalité de l’instrument à cordes qui nous fascine. On frotte… les cordes pour poser les atmosphères. On frappe… la table pour rythmer l’ensemble. On tape… le manche pour créer la mélodie. Minimalisme rime alors avec richesse. Et toutes les nuances de la voix (pensez-vous, le répertoire va de la musique ancienne au rock !) donnent également des ailes au corps des airs entonnés. Le seul regret que j’ai, c’est que le duo n’ait pas retenu Iron Maiden dans ses choix. Je m’explique. Cette dernière formation figurait parmi les noms lancés par les spectateurs dans le sondage portant sur les groupes de leur jeunesse. Si vous doutez de la capacité à rendre les compositions de la bande à Bruce Dickinson minimalistes, écoutez les notes tire-larmes qui s’évadent du piano de Scott Lavender quand il reprend « Can I Play With Madness? ». Et sous les doigts de fée des Harp Twins, vous seriez surpris de la dimension aérienne que prend « The Trooper ». Mais ne faisons pas la fine bouche. En effet, avec des reprises audacieuses, un minimalisme en trompe-l’œil, et un cadre féérique, l’univers de Dom La Nena et de Rosemary Standley a tout d’un tableau dont on n’arrive pas à détacher le regard tellement il nous attire.

Ballaké Sissoko & Piers Faccini (1ère partie : Louise Charbonnel) au Théâtre Gérard Philipe de Champigny-sur-Marne le 2 octobre 2025

Live report Festival de Marne 2025 Band 3

Dans la voix de Louise Charbonnel, la surprise vient de ce mélange de tendresse et d’un emportement où l’hystérie et la douleur se disputent la vedette. Mais alors que les nombreuses modulations rendent la voix captivante, les chœurs et les vocalises embrument l’ensemble pour entretenir le mystère. Et pour encore mieux mettre en exergue le chant, l’instrumentation est la plus limitée possible. Ce minimalisme musical est porté par quelques notes de clavier, une basse, des ambiances éthérées et de rares machines. Les morceaux ont beau parler de bonheur et de ses arcanes, l’écrin est le plus souvent mélancolique. On ira même jusqu’à un obscurcissement total dans l’hommage aux mères. Même si le schéma vocal adopté par Louise peut s’apparenter à un exercice de style acrobatique, c’est néanmoins l’émotion qui traverse chaque parole. La direction prise est alors celle de territoires auparavant foulés par des personnalités telles que Kate Bush ou Tori Amos. Voici une artiste qu’il faudra suivre de près.

Live report Festival de Marne 2025 Band 4

Alors que Ballaké Sissoko fait face au soleil, Piers Faccini, lui, préfère rester à l’ombre. En effet, avec sa voix certes chaleureuse mais tout aussi confidentielle que son jeu de guitare, notre Anglais privilégie les tons ouatés. Vous entendez un chant de tête ? Ne vous y trompez pas, la route est à nouveau parcourue en toute discrétion avec cependant toujours l’émotion au bout du chemin. À ma grande surprise néanmoins, la promenade sera plus animée à l’interprétation d’un ancien morceau, « If I ». On y découvre alors un Piers davantage tourné vers le soleil du Sahara, là où un texte de son inspiration serait accompagné du blues si enivrant des Touaregs. Aux côtés de l’homme secret se tient le malien Ballaké Sissoko. Les notes qu’il égrène sur les cordes de sa kora volent frénétiquement telles des abeilles butinant dans un jardin rempli de mufliers. Le tableau présente alors de beaux clairs-obscurs. A la manière du rossignol qui établit à travers ses migrations un pont entre l’Europe et l’Afrique de l’Ouest, les mélodies créent le lien entre regard intérieur et émerveillement extérieur. Pour découvrir toutes les facettes de l’album qui a servi de support au concert, vous pouvez lire la chronique de l’ami Thierry Folcher ici.

Kyle Eastwood (1ère partie : Alma Rechtman) au Théâtre Paul Éluard de Choisy-le-Roi le 3 octobre 2025

Live report Festival de Marne 2025 Band 5

Entre sérénité et dépit, Alma Rechtman présente deux visages qui dialoguent, bien plus qu’ils ne s’affrontent. Il faut s’imaginer Astrud Gilberto donnant la réplique à Nina Hagen. Sur le thème des peines de cœur, c’est l’imprévisibilité de l’auteure-compositrice qui surprend. Ces bouleversements se manifestent aussi bien dans les changements de type de voix (récit, rap, sussurements, chant enlevé…) que dans le flot des paroles. Outre le récit et le style urbain, il faut aussi signaler ces déclarations proches des louanges ou de gospels. « Dans la maison d’Alma » ou « dans les bras de son élu », c’est un cocon rassurant que les rythmes tribaux symbolisent. Mentionnons la présence, aux côtés de la jeune femme, d’un véritable homme-orchestre. Celui-ci vient tantôt poser les rythmes, tantôt créer les ambiances. Alma Rechtman est un nom à retenir : voici une voix originale où la sensibilité se mêle au ressentiment.

Live report Festival de Marne 2025 Band 6

À travers une sélection de thèmes de films, le quintette de Kyle Eastwood fait ressortir les principales caractéristiques de leurs compositeurs respectifs. Ainsi, avec Charlie Parker, autour d’un swing à faire lever de fauteuil un paraplégique, chacun y va de son solo. À l’exubérance du saxophone de Brandon Allen répond une sobriété semée d’écarts de conduite pétillants de la trompette de Quentin Collins. Et là où le piano d’Andrew McCormack enivre, la basse de Kyle Eastwood bouillonne. Quand c’est au tour de John Williams d’être cuisiné, la tension portée par les notes angoissées du saxophone cède le pas à la légèreté. Trompette frivole et batterie effrénée composent alors avec un piano à la fraîcheur printanière. Clint Eastwood aura également droit à un hommage. Le thème serein d’Impitoyable, porté par une basse cotonneuse, des rythmes enlaçants, un piano réflectif et une trompette chaleureuse, ouvre une porte sur les grandes plaines balayées par une bise chaude. On n’oublie pas le regretté Lalo Schifrin et son jazz-funk groovy. Les cuivres y avancent avec fierté tandis que le piano se cherche, tour à tour virevoltant et troublé. Kyle étant également l’auteur de bandes-sons avec Michael Stevens, il pense à partager avec le public sa sensibilité. Ainsi, alors que le thème de Lettres d’Iwo Jima présente un groove contenu qu’égayent un saxophone élégant, un piano guilleret et une trompette folâtre, c’est en revanche une mélodie en lambeaux qui se reconstruit progressivement autour de la majesté et la malice des cuivres de Gran Torino. L’immense Ennio Morricone n’est pas laissé de côté. Chez lui, foisonnement et improvisations ornementent un thème décalé. Ce sera l’occasion pour Chris Higginbottom de livrer un solo de batterie à faire pâlir Buddy Rich. Kyle Eastwood a ainsi offert une belle leçon de jazz autant qu’un hommage vibrant aux compositeurs qui ont jalonné la carrière cinématographique de son père.

Dafné Kritharas (1ère partie : Lisa Li-Lund) au Théâtre Romain Rolland de Villejuif le 10 octobre 2024

Live report Festival de Marne 2025 Band 7

Avec sa voix fluette mais confortante, la Franco-suédoise Lisa Li-Lund nous plonge dans des univers très variés. Quand elle empoigne sa guitare, c’est bien souvent pour se lancer dans des chansons folk. Mais ce dernier courant peut présenter de nombreux visages et la jeune femme en reprend l’évolution depuis les années 60. Bien entendu le british folk a sa place. Mais c’est également l’ombre des Young Marble Giants et de leur post-punk épuré qui plane. Et le neofolk (ou dark folk) sera également de la partie. C’est donc des sentiments mêlés que la sœur des frères Herman Düne affiche. Et ces émotions tournent à l’entrain quand le duo voix-guitare se retrouve accompagné de rythmes que l’on croirait tout droit sortis des pistes de danse des années 80. Elles le resteront quand la décennie précédente est aussi mise à l’honneur. J’évoquais le post-punk dans le set folk, mais c’est également la darkwave glaçante des années 80 que l’on retrouve sur le versant rythmé. Et dans ce coup de froid, les voix de tête spectrales sont réellement remarquables. Preuve cependant que les températures ne les influencent guère, c’est également dans les moments chauds qu’elles nous saisissent. Que son univers soit intimiste ou plus enlevé, Lisa Li-Lund parvient à nous y entraîner.

Live report Festival de Marne 2025 Band 8

Chez la Franco-grecque Dafné Kritharas, dans un univers singulier où des sujets comme la vengeance, l’exil ou le pardon sont traités sous l’angle de mythes, la tradition côtoie la modernité. La voix de la trentenaire offre à travers ce voyage un très large éventail d’émotions. Dans le ton grave, ce sont les tourments enfouis au plus profond de l’âme qui se manifestent. Mais quand la conteuse exorcise ses démons, c’est alors l’extase qui prend le relai. Par ailleurs, faites-lui suivre français et grec dans une même composition et vous voilà étonnés du contraste entre la tendresse de la première langue et l’âpreté de la seconde. Le chant éploré à faire hérisser les poils est une autre des forces de la poétesse. Il est agrémenté de magnifiques vocalises aux ornements orientaux. Mais il ne s’agit pas de ne faire parler que des pierres tombales. Il faut aussi y projeter des rayons de soleil dansants. Ainsi, de-ci de-là un saz allègre, un piano enjoué ou encore des rythmes sautillants font-ils pénétrer la lumière dans la pièce sombre. Par ailleurs, autour d’une voix berçante, l’atmosphère se relâche et l’humour saisit la guitare et les synthés. Une parenthèse légère s’ouvre alors entre les pleurs et les tourments. Avec ses airs d’Esmeralda, c’est pieds nus qu’on voit la belle tour à tour recroquevillée et en proie aux passions les plus ardentes, faisant ainsi encore mieux parler les émotions qui la parcourent. En outre, à la manière de Gabriel Franco (du groupe de rock/metal gothique Unto Others) avec ses « oh wouh » mimant le cri du loup, l’auteure-compositrice-interprète lance par moments des « ah » hargneux. Même si cela ajoute une certaine mystique sauvage, il me semble que la répétition de cette onomatopée au sein d’une même pièce peut vite en déprécier la valeur. Mais ce n’est qu’une légère goutte de grief dans un océan de beauté aussi bien saisissante qu’insondable. Car en effet, le spectacle de Dafné Kritharas et de ses compagnons est tétanisant et laisse pantois.

À nouveau, le Festival de Marne a tenu ses promesses en matière d’éclectisme et de programmation audacieuse. Les grandes scènes sur lesquelles se produisent les artistes leur permettent d’exprimer leurs émotions avec davantage de liberté. Les performances sont à couper le souffle. Le son est toujours de grande qualité. Enfin, les lumières sont très travaillées mais ne détournent jamais l’attention des prestations musicales. Il n’est alors pas étonnant que la plupart des dates affichent complet.

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