John Lönnmyr – Aftonland

Aftonland
John Lönnmyr
Red Round Records
2023
Thierry Folcher

John Lönnmyr – Aftonland

John Lönnmyr Aftonland

Nouveau-venu sur la scène progressive suédoise, John Lönnmyr étonne. Sa capacité naturelle à créer des mélodies qui font mouche à tous les coups n’est pas spécialement commune et mérite qu’on s’y attarde. Nouveau-venu ? Pas vraiment. Tous ceux qui ont exploré le monde progressif scandinave se souviennent peut-être de Valinor’s Tree, cette formation heavy prog chez qui John avait posé ses claviers au tout début des années 2000. Par la suite, il vivra quelques expériences musicales très diverses, avant de rejoindre en 2019 ses compatriotes de The Night Flight Orchestra et leur hard pop pétillant. Un pedigree, dont la modestie ne doit pas effacer l’extraordinaire polyvalence de ses implications. Maintenant, revenons à l’actualité. Aftonland est son deuxième album solo et fait suite à Ristor, un premier effort daté de 2020, dévoilant la face sombre et dépouillée de son répertoire. A contrario, Aftonland impressionne par sa richesse et sa luminosité. Des nombrilistes recherches soniques de Ristor, nous sommes passés à une véritable galette progressive, grand format et grand orchestre. Fini le travail souterrain un peu âpre des débuts pour une débauche de sons offerte par un vrai groupe soudé autour de ce magicien des claviers qu’il va bien falloir suivre de très près. La grande spécialité de John Lönnmyr est la répétition des phrases mélodiques. Un procédé courant dans le monde progressif qui n’hésite pas à s’inspirer des improvisations jazz où la mélodie apparaît, se transforme, disparaît pour finalement, réapparaître et terminer le morceau. John a tâté du jazz et cela se ressent. Sa musique, entièrement instrumentale, s’en inspire tout en restant profondément influencée par le rock puissant de Änglagård ou de Anekdoten. C’est dire l’importance des parties rythmiques que cela implique. Sur Aftonland, ce ne sont pas moins de trois batteurs qui vont se succéder pour épauler les basses d’Anders Brisman et de John Lönnmyr, lui-même.

Commençons par « Ekipaget », le titre qui ouvre l’album. Pour moi, c’est l’exemple type du morceau qui fait la transition entre l’ancien et le nouveau répertoire. Ici, la musique reste en noir et blanc, mais la texture est beaucoup plus riche et l’instrumentation plus étoffée. La basse se régale et donne du fil à retordre aux percussions de Johan Björklund, pourtant bien présentes. Les claviers de John ne sont pas encore très chaleureux, mais laissent entrevoir de belles possibilités et une réelle progression. Comme le suggère le titre, il s’agit bien d’un équipage qui se met en mouvement avec tout un attirail de sonorités progressives, de rythmes lourds et d’intentions dévastatrices. C’est à partir de « Aftonland », le morceau titre qui suit juste après, que la lumière s’installe enfin pour éclairer une partition où la mélodie chatoyante et entêtante survivra au milieu d’un déchaînement maîtrisé. Car, il faut bien le dire, l’intensité et la marche en avant n’ont pas faibli. Les intentions restent les mêmes, mais la réalisation est plus étincelante, ne serait-ce que par l’irruption du saxo de Per Laang, aussi inattendue qu’explosive. Avec cette belle entame, tout semble clair, John Lönnmyr a décidé de passer à autre chose, de nous en mettre plein la vue et de jeter aux orties son ancien costume étriqué. Le passage chez The Night Flight Orchestra n’est certainement pas étranger à cette évolution. Leur pop sautillante, proche de Toto, a forcément laissé des traces dans le jeu de notre ami de Göteborg. Dans la foulée, la jolie mélodie cinématographique de « Borck » confirme le parti pris accrocheur, immédiat et lumineux de Aftonland. Et la suite sera exactement du même acabit avec certains passages encore plus marquants. C’est le cas du superbe « Traktatet » que l’on peut définir comme la rencontre du prog suédois des années 90 avec l’école de Canterbury des seventies. Un mariage heureux, presque évident et diablement fructueux. Les belles phrases mélodiques s’enchaînent sur des rythmes où le jazz se bagarre avec le rock dans une guerre sans merci, mais sans vainqueur ni perdant. Une éclatante réussite que tout amateur de rock progressif se doit d’écouter un jour. Mais alors, que dire de « Spjutet » qui continue sur la même voie avec un magnifique mellotron que je n’avais plus entendu sonner comme ça, depuis fort longtemps !

John Lönnmyr Aftonland Band 1

A ce stade de l’écoute, le disque vient de franchir un palier supplémentaire. Il est parvenu à ce fameux niveau où les choses deviennent brillantes et se doivent d’être partagées. À noter que sur « Spjutet », la guitare inspirée d’Elof Hanson Svensson se paie un joli duel avec les claviers virevoltants de John. De toute évidence, on tient là un des sommets d’une œuvre qui, par la suite, ne va pas se reposer sur ses lauriers et se contenter de faire du remplissage. « Vargtimmen », par exemple, met l’accent sur l’aspect ciné-jazz de la musique avec en vedette la trompette soyeuse et mélancolique de Kristin Lidell. Une douce parenthèse qui fait du bien, mais dont le côté glamour n’enlève en rien à la puissance du disque. Ensuite, la basse ultra vigoureuse de « Gycklaren » remet du carburant dans un moteur qui s’emballe à nouveau et repart de plus belle sur des lignes mélodiques d’une simplicité confondante. Il n’y a pas forcément de nouveauté, ni même de recherche sur Aftonland, on assiste juste à une incroyable résurgence de plein de souvenirs que l’on voit réapparaitre avec beaucoup de plaisir. Pour terminer, je dirai que l’expression « finir en beauté » n’a jamais été aussi bien employée que pour cet album. En effet, le bien nommé « Nostalghia » va nous faire regretter de quitter le monde merveilleux d’Aftonland, ça je peux vous le dire. Tout à l’heure, lorsque je parlais de palier supplémentaire, je ne pensais pas, qu’avec ce dernier titre, on allait monter encore plus haut. « Nostalghia », c’est cinq minutes de pur bonheur où la voix de Maria Palmqvist s’invite pour accompagner une mélodie à tomber par terre, le genre de truc qui vous rentre dans le crâne pour ne plus en sortir. Le fait d’intégrer des vocalises est une super trouvaille qui, à mon sens, peut être vue comme une indication pour l’avenir. Si John Lönnmyr persiste dans cette voie, sa musique, déjà charnelle, risque de s’humaniser encore plus et je serai vraiment heureux (et impatient) de reprendre le fil de sa musique, là où « Nostalghia » l’a laissé.

John Lönnmyr Aftonland Band 2

Avec Aftonland, John Lönnmyr a tout simplement créé une œuvre majeure qui fera date. S’il est bien relayé, son rock progressif devrait parcourir le monde et s’incruster dans pas mal de foyers, un peu privés des échos d’une formidable musique d’antan. Sans tomber dans une nostalgie réductrice, il faut bien reconnaître que nous manquons parfois de jolies ritournelles et de moments de franche extase. Les belles compositions de ce disque arrivent à point nommé pour y remédier et pour gagner sa place dans le grand réservoir des musiques progressives actuelles. Et puis, les huit titres d’Aftonland, même s’ils ne sont pas révolutionnaires, vont en faire jubiler pas mal d’entre nous, ça j’en suis intimement persuadé.

https://johnlonnmyr.com/

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