Galaad – Frat3r (+interview)

Frat3r
Galaad
Autoproduction
2019
Christophe Gigon

Galaad – Frat3r

Galaad Frat3r

Que l’exercice est exigeant ! Garder la tête froide et l’esprit libre pour parler du successeur de Vae Victis (1996), meilleur disque de rock chanté en français de tous les temps. La barre fut alors placée tellement haut que discuter tranquillement de Frat3r, comme s’il s’agissait du dernier (jusqu’au prochain) album de Dream Theater, relève de l’impossible gageure. Un petit déroulement diachronique s’impose. En 1992, les Helvètes de Galaad proposent l’épidermique Premier Février, sorti chez Musea, le label des classiques du futur. Ce disque touchant et très impressionnant a marqué son époque en même temps que le microcosme progressif d’alors. On tenait, enfin, le nouvel Ange ! Suivront concerts prestigieux en bonne compagnie (Marillion, Pendragon, Peter Gabriel). Puis, en 1996, la bombe Vae Victis a explosé. Il ne s’agit pas d’évolution mais de révolution : la perfection faite disque : production magistrale, virtuosité instrumentale, textes sublimes et compositions magnifiées par la voix extraordinaire de Pierre-Yves Theurillat (Pyt). La presse francophone ne s’y est d’ailleurs pas trompée puisque la rondelle a été élue disque du mois dans plusieurs revues et magazines. S’installe alors un hiatus discographique de vingt-trois ans… Pour plus de détails sur la carrière de Galaad et les échappées en solitaire (ou avec L’Escouade) de Pyt, se référer à notre long article rétrospectif « PyT et ses chevaliers : de Galaad en quête du Graal ». Frat3r, au titre clin d’œil, ne s’appréhende donc pas à la légère.

Il aura donc fallu attendre plus de vingt ans pour que Galaad ose proposer un digne successeur à son chef-d’œuvre de 1996. Pari risqué. Premier soulagement, l’illustration de pochette, encore signée Lyne Héritier, est très réussie, sous ses faux airs de Magma ou d’E.L.P. Second apaisement : la production luxueuse des huit titres fait honneur à la musique si travaillée des Suisses. La voix de Pyt n’a pas du tout souffert des années même si les grandes envolées à l’octave ont (presque) disparu (écouter, cependant, la superbe prestation vocale sur l’introduction a capella de l’ultime titre « Frat3r »). A signaler que le line up du Galaad circa 2019 reste strictement le même qu’en 1992, fait rare qui mérite d’être signalé. L’auditeur sera donc particulièrement excité à l’idée de retrouver les sublimes soli de guitare du maestro Sébastien Froidevaux, les parties de claviers déchaînées de Gianni Giardello et la maîtrise rythmique du tandem Laurent Petermann et Gérard Zuber (qui, lui, n’avait pas participé à l’aventure Vae Victis). Sur papier, tout est réuni pour faire de ce disque une nouvelle pierre angulaire du rock d’obédience progressive chanté dans la langue de René Char.

Galaad Frat3r band1

Parcours guidé : Frat3r commence par le titre « La Machine » qui rassurera son monde : machine à remonter le temps, faux-frère de « La Loi de Brenn » (meilleure chanson du monde selon l’article consacré sur notre site). L’album s’ouvre ainsi par un titre magnifique, qui aurait pu figurer sur Vae Victis sans que personne n’y ait rien à redire. Tout y est : les ingrédients de la potion magique Galaad sont finement dosés. Attaque en règle d’un classicisme rassurant, donc non surprenant. L’instrumental « Moloch » nous ramène à « Wasicun ». « Kim » propose une déambulation funky à la ligne de basse sexy et serpentine. Très beau titre, aux refrains habilement construits, plutôt proche des productions de la carrière solo de son auteur. « Stone » s’offre encore comme du pur Galaad, très expressionniste, même si l’influence de Marillion se fait parfois sentir sur les arpèges de guitare. Le single « Justice », au clip virtuose de Guillaume Fuzz Lachat, rappellera « Seul (Influenza) ». « Mercy (puR) » avait déjà servi d’éclaireur l’année passée. Peut-être le titre le plus étonnant, finalement, de cet album-retour. « Encore », morceau le plus rock du disque, n’aurait, lui non plus, pas dépareillé sur Vae Victis, la « faute » à ces sons de claviers volontairement datés, digitalement clonés sur ceux utilisés sur son illustre prédécesseur. L’aventure se termine avec le très beau « Frat3R », titre sensible à la construction mélodique imparable. Contrat parfaitement respecté : le fan de Galaad en aura largement pour ses deniers. Pari réussi ?

Oui ou non. Si l’exercice est acquis avec brio, il est étrangement regrettable de constater que Galaad n’a pas vieilli, malgré ces vingt-trois ans de battement. Comme si l’équipe imaginait que son chef-d’œuvre passé ne pouvait être dépassé. Comme si elle ne pouvait prendre le risque d’emprunter d’autres chemins que ceux grâce auxquels leur réputation n’est plus à faire. La formation s’est donc inconsciemment contrainte de proposer un alter ego crédible à 100%, ce qui représente déjà un sommet infranchissable pour la plupart des autres musiciens, à ce stade de leur carrière. Frat3R : un album-frère, tant dans l’esprit que dans la forme, tant dans les ambiances que dans l’esthétisme général. On devrait donc être heureux de pouvoir se reposer sur ce second trésor. Galaad ne nous a pas trahis : on parle bien d’un disque aussi bon que Vae Victis, la surprise en moins. D’où ce tenace relent de joie obligée : on attendait de Galaad plus ou autre que ce qu’il sait (très bien) faire. L’œuvre est parfaite mais attendue et entendue. On imaginait une voie détournée, un pas de côté, une réinvention. Or, Frat3r se présente comme une récompense : il ne demande aucun effort. Le fan sera comblé. On en viendrait cependant presque à souhaiter la déception première… si celle-ci pouvait, au fil des écoutes successives, se muer en compréhension, après la phase naturelle de digestion/maturation. Cela dit, reproduire la perfection n’a pas dû constituer une légère mission. Louons donc Galaad pour sa divine offrande. En rêvant secrètement à un autre album, peut-être moins réussi… mais plus déroutant, plus défricheur, plus « ailleurs ».

Galaad Frat3r band3

Que l’art est difficile.
Que la critique est facile.
Que l’exercice fut éprouvant.

Reprocher sa perfection à une œuvre relève probablement de la névrose. Ou d’une véritable passion pour ce groupe absolument unique, qu’on imagine toujours plus armé qu’il ne peut l’être. Fatalement.

http://www.galaad-music.ch

QUESTIONS POUR GALAAD

Un entretien-fleuve à six voix, rien de moins. Mais c’était le moins que Clair & Obscur pouvait faire pour saluer dignement la sortie du troisième album de Galaad, Frat3r. Discussion sur le présent, le passé et l’avenir de cette formation mythique du Jura suisse. Départ.

Christophe Gigon : Proposer un successeur au mythique Vae Victis (1996) a dû vous mettre énormément sous pression. Comment avez-vous abordé cette étape de votre carrière ?

Pierre-Yves Theurillat (Pyt) : Avec sérénité. On savait que ce ne serait plus jamais pareil, on s’est permis des trucs qu’on avait certainement déjà envie de faire à l’époque, après Vae Victis. La basse aussi, tenue par un autre, l’influence de chacun était différente et ne pouvait mener qu’à un album différent. Sans doute plus fidèle à nos premières influences qu’à l’exploration mêlée à d’autres courants.
Gianni : Ça s’est fait naturellement, on est avant tout tournés vers la création plus que simplement interprétation de la musique, c’était excitant et très prenant.
Seb : Aucune pression en ce qui me concerne. Le plus important était de créer des musiques qui nous plaisent. Vae Victis fait partie de notre discographie et ne représente ni un poids, ni un défi ou un complexe… On en est fiers. Nous n’avons pas de carrière et nous ne calculons rien.
Seule la musique compte. Si elle n’avait pas atteint les qualités attendues… il n’y aurait pas eu de troisième album de Galaad. C’est là qu’était le défi.
Laurent : La pression était surtout évidente au niveau du timing afin de sortir l’album à la date fixée. Et surtout de trouver suffisamment de dates disponibles pour nous retrouver. Sinon, comme dit Pyt, on était assez sereins.

C.G : On parle de vingt-trois années séparant Frat3r de son prédécesseur. Cependant, les deux albums en solo de Pyt (auteur et chanteur de Galaad), Carnet d’un visage de pluie (2013) et Mon Grand Amer (2015) ont été composés par Sébastien Froidevaux, guitariste de Galaad. Ces trois disques possèdent naturellement de forts liens de parenté. Finalement, en quoi un disque de Galaad est-il véritablement différent d’un disque de Pyt ?

Pyt : L’écriture et la composition de la musique de Galaad se fait à cinq, en groupe, pas en duo comme pour Pyt. Et les intentions musicales entre le dernier album de Pyt et le premier disque du nouveau Galaad, si l’on veut, ne sont pas les mêmes. Les choix, la place des instruments, l’écriture en elle-même sont autres, même si, à la surface il peut y avoir cette parenté.
Seb : PyT est un duo, Galaad un quintette. C’est ce qui nous a mené ailleurs et avec des créativités différentes de celles que je peux avoir avec PyT.

C.G. : Après Vae Victis, de nombreuses maquettes ont été enregistrées par Galaad (ou ce qu’il en restait). Je pense à de superbes pistes comme « The Social King », « Un autre jour » ou « Mercy ». Comment se fait-il que ces démos n’aient pas été finalisées pour Frat3r ?

Pyt : On est partis sur une base incréée, pour voir ce qui venait et méritait d’être retenu pour devenir musique, pour devenir un nouveau morceau de Galaad. « Mercy » a été repris dans mon projet sous le nom de Pyt, tout comme « The Social King ». Mais ces titres avaient été composés avec Claude Kamber, le second batteur de Galaad, et manquaient Gérard et Gianni dans l’histoire. Donc on a voulu travailler sur une base mettant tout le monde o.k. et sur les mêmes starting-blocks…
Seb : Oui, l’envie de créer à partir de rien. De faire du neuf.

C.G. : Retournons-nous un moment sur votre passé. Comment expliquez-vous l’incroyable évolution de vos compositions et de votre son entre Premier Février (1992) et Vae Victis ? Se réinventer autant en quatre ans, seuls les Beatles ont réussi pareille progression.

Pyt : Mystère et boules de gomme… Je dirais une grosse faculté critique dans le groupe, et des bosseurs aussi…
Gianni : Pour moi, faire du rock progressif, c’est s’inscrire dans son époque, il faut écouter ce qui sort aujourd’hui pour s’en inspirer. Les compositions ainsi évoluent dans le temps, se singer, ce n’est pas vraiment intéressant.
Seb : Tout ce que nous faisons est l’expression de qui on est. En 1995, nous étions différents d’en 1991. Nous sommes aujourd’hui d’autres hommes qu’en 1995… Il est des périodes dans nos vies où l’on se développe plus vite et radicalement que d’autres. Un grand bon s’est fait entre nos vingt et vingt-cinq ans. Une première grosse mue musicale s’est opérée à ce moment-là.
Laurent : On a tout simplement bossé comme des fous !

CG : Pourquoi Gérard Zuber, bassiste de votre premier et de votre troisième album ne joue-t-il pas sur le second ?

Pyt : Gé nous avait quittés pour des raisons professionnelles, et avait dû être remplacé. Ce qui fut fait par Christophe Bée, lui-même remplacé par Vincent Berberat, bassiste principal du second album.
Gérard : J’avais quitté le groupe durant l’été 93 pour partir quatre mois à l’armée et commencer mes études à Fribourg. Comme, à l’époque, on répétait deux ou trois fois en semaine en plus du week-end, on voulait rapidement tourner la page Premier Février (« A chacun sa cible » et « La danse de la perte » étaient à l’état embryonnaire), quitter le groupe me semblait l’option la plus cohérente et la plus honnête vis-à-vis du groupe. Une décision difficile, douloureuse, mais quand j’ai vu l’apport de Christophe Bée et le travail fabuleux de Vincent Berberat sur Vae Victis, j’ai su que j’avais pris la bonne décision.

C.G : Premier Février était distribué par le célèbre label de rock progressif Musea. Vae Victis non. Pourquoi ce changement de label ? Et celui-ci n’a-t-il pas joué en votre défaveur vu le peu de rayonnement de Cod Tuxedo ? Les ventes s’en sont-elles ressenties ?

Pyt : Cod Tuxedo était une boîte sérieuse de distribution en Suisse. Ils avaient, à l’époque, en quelques mois, vendu six cents copies de Vae Victis sur le territoire helvétique, avant le split qui a conduit à l’arrêt des ventes. Musea a distribué également Vae Victis.
Gianni : Les labels sont des chimères et aujourd’hui plus que jamais. Il y a deux mondes, ceux des grandes majors et les autres, que ce soit Cod Tuxedo ou Musea, cela faisait partie des « autres » avec leurs moyens ; je ne pense pas qu’on peut imputer la faute aux labels si un groupe vend ou pas.

C.G. : Est-il encore possible de trouver dans le commerce vos deux premiers albums ou sont-ils définitivement épuisés ?

Pyt : Non, Vae Victis est toujours disponible sur notre site internet et builtbyfrance.com, mais Premier Février est épuisé. L’album va être masterisé et réédité, sous forme numérique au moins…
Gianni : Nous espérons pouvoir mettre Premier Février sur une plateforme de téléchargement à court terme.
Gérard : Premier Février va être remasterisé bientôt et sera disponible sur les différentes plateformes de téléchargement et de streaming. Et si la demande est là, on pourrait envisager de presser une petite série de CD.

C.G. : Vae Victis a marqué son époque. Galaad allait devenir grand. Pourquoi a-t-il, dès lors, implosé à ce moment-là ?

Pyt : Comme je l’ai déjà expliqué, il n’était pas vraiment jouable de continuer l’aventure, avec les soucis professionnels et personnels que j’avais. Tout cela est très relatif… Grand ? Et de quel moment de grâce particulière parle-t-on ? Quand le split a eu lieu, le souci de trouver des concerts, de se produire, de se payer un nouvel album aussi était toujours de mise. Je nous sens assez « grands » aujourd’hui, et c’est le bon moment !
Gianni : Vae Victis a marqué certainement les esprits… mais sur la durée. A la sortie de l’album, les attentes étaient (trop ?) grandes de la part de nous tous, on n’a pas su se montrer patients, la fougue de la jeunesse et un manque de bons conseils nous ont séparés.

CG : Entre Vae Victis et Frat3R, il y a eu les deux albums solos de Pyt et l’unique album du projet L’Escouade. Ces trois carrières (Galaad, Pyt, L’Escouade) vont-elles vivre en parallèle ou Galaad est-il privilégié ?

Pyt : Galaad a la priorité, mais j’aime bien développer d’autres projets, aux alentours. Je retravaille également ces temps ci avec Christian Schnyder (guitariste de L’Escouade, ndlr) sur quelques projets de chansons, avec ma compagne Emilie Casanova (piano, voix) également et avec Sébastien et d’autres musiciens.
Laurent : En fait, l’Escouade n’existe plus. Pour ma part, je ne joue plus dans le projet Pyt et je privilégie Galaad et du temps pour mes autres activités non musicales.

C.G : Pyt, tu sembles avoir cessé toute activité musicale entre la fin de Galaad et ton retour en forme avec le superbe Confidences de mouches de L’Escouade, paru en 2010. Explique-nous cette énorme parenthèse.
Pyt : On s’est toujours revus épisodiquement avec Seb pour évoquer des projets possibles et travailler un peu ensemble, avec l’objectif de recréer Galaad… Durant cette période, j’ai fait des petits jobs, travaillé pour Couleur 3 (célèbre radio nationale suisse, ndlr.), suis passé par un épisode personnel difficile côté santé, bref, j’ai suivi le cours de ma vie, beaucoup moins ponctué de musiques et de créations qu’auparavant, et que par la suite.

C.G. : La reformation de Galaad a eu lieu en 2016. Comment ce « miracle » s’est- il produit ?

Pyt : Un e-mail de Seb pour m’annoncer que la formation originelle s’était déjà retrouvée à plusieurs reprises pour jouer… des reprises ! Et qu’ils étaient favorables à ce que je les rejoigne.
Gianni : L’approche de Seb m’a convaincu, simple et sans prétention, juste se refaire plaisir ensemble.
Gérard : Suite à l’e-mail de Seb, en février 2016, on s’est retrouvés en mars pour jouer des reprises de Deep Purple, Marillion, Bashung ou Faith no More. Mais la reformation sous le nom de Galaad a été catalysée par l’invitation à se produire à la Fête de la Jeunesse jurassienne (18 mars 2017).

C.G. : Cette reformation est-elle due à la dissolution du Pyt band, peu après la sortie de Mon Grand Amer ?

Pyt : Non, je ne crois pas. Avec le Pyt Band, on comptait fêter l’anniversaire des vingt ans de Galaad par des reprises du groupe. Le concert a été annulé, deux membres du Pyt Band ayant déclaré forfait quelques mois avant.
Séb : Oui… le projet Pyt s’était arrêté et j’avais envie de continuer de jouer en groupe. J’ai contacté Laurent, Gianni puis Gérard. L’idée était de faire des reprises, juste pour s’amuser. C’est raté… rires…

CG : Tous les membres de Galaad n’ont jamais vraiment quitté le monde de la musique depuis le split de Galaad. On sait que Laurent et Sébastien ont participé à la carrière de Pyt. Mais Gérard et Gianni, qu’ont-ils fait pendant tout ce temps ?

Gianni : Je me suis marié et me suis occupé de ma petite famille, avec tous les devoirs et obligations qui vont avec. Cela m’a amené à me remettre en question professionnellement et quitter le monde de la musique quelque temps.
Gérard : J’ai vendu tout mon matériel (basses, amplis,…) en janvier 1994 pour m’acheter un super P.C., à l’époque, avec Windows 3.1. Donc j’ai quasi plus touché à un instrument entre ce moment-là et l’e-mail de Seb en février 2016. Durant ces vingt-deux ans, je suis devenu papa deux fois, fondé une famille, ai été prof- de chimie-physique, habité quatre ans aux U.S.A., joué au football américain et au baseball, bref une vie pas très musicale. (rires)

Galaad Frat3r band2

C.G : Vous attendez-vous à un revival Galaad ? Comme si l’histoire s’était arrêtée en 1996… et repartait « comme si de rien n’était » en 2019 ?

Pyt : Bien sûr, la musique a évolué, les gens, les contextes, les réalités ne sont plus les mêmes.
Mais on revit… on vit… on est une réalité. Je crois qu’il subsiste un gros fantasme relié à la période Vae Victis et 1996 de la part de gens qui y ont cru et ont peut-être été déçus de la mort de Galaad. Il s’agit bien d’une résurrection. Et possible en vingt-trois ans, d’amener un peu d’eau au moulin.
Gianni : Oui, le contexte n’est plus le même, mais si on garde la flamme, on pourra encore faire de belles choses.
Seb : On ne revit pas… on continue. La vie ne s’arrête jamais… du moins de notre vivant… Il n’y a pas de revival… juste la suite…

C.G. : Vous avez tous une activité professionnelle à côté de Galaad. Comment gèreriez-vous la situation d’un énorme succès qui vous obligerait à reprendre la route et à « repartir comme en 14 » ? Ou Galaad se positionne-t-il désormais comme un hobby luxueux, à l’instar d’autres formations reconnues comme IQ ?

Pyt : La vérité est qu’on n’est jamais partis en 14… On a eu des bons plans et d’excellents retours de la part de fans de par le monde après les concerts ou avec Vae Victis, mais on avait toutes les peines à se produire sur scène, par exemple en Suisse romande. Une partie du public déserte notre musique et y est totalement frileuse, que veux-tu ? Je crois que personne ne serait vraiment prêt à accueillir un succès soudain, tellement hypothétique… Nous avons renoncé à cet aspect ambitieux du groupe, je pense, ou l’avons mis en veilleuse, ce qui compte, c’est le fun qu’on prend à écrire et jouer ces titres, d’abord, Et puis… je ne conteste pas le terme de hobby, qui me fait penser à un prospectus de jardinage, mais luxueux ? Non, pourquoi. Oui, bien sûr, faire de la musique coûte mais on s’en donne les moyens…
Gianni : Le but est de rester sincère dans ce que l’on fait avec une application la plus professionnelle possible. Aujourd’hui, si Galaad renaît, c’est aussi grâce à nos vies professionnelles qui nous enlèvent le poids financier d’une vie de musicien, ainsi je me sens plus libre de jouer la musique qui me plaît et de dire non s’il le faut.
Seb : Il n’y aura pas d’énorme succès. Le succès tel qu’on l’imagine en musique vient à la vingtaine ou ne vient pas.

CG : Parlons à présent de votre dernier bébé, Frat3r. S’agit-il d’un concept album ?

Pyt : Non pas au sens propre. Un album conceptualisé avec un fil rouge entre les morceaux, plutôt. La relation entre deux frères et la fraternité, l’esprit fraternel en filigrane. Mais le morceau « Justice » échappe à cette histoire-là. Il y a des plans nets et des plans volontiers plus flous. Ce sont les mots, les phrases qui doivent captiver l’auditeur et pas une histoire, un concept qui viendrait se greffer dessus.
Seb : Je pense que oui…même si ce n’était pas une intention. Les choses se sont construites et imbriquées naturellement pour arriver à l’album Frat3r.

C.G : Musicalement, Frat3r reste très proche de Vae Victis, le style du groupe est parfaitement identifiable. Était-ce un choix délibéré afin de rassurer votre public ou s’est-il agi d’un processus naturel de composition ?

Pyt : Content de lire que le style est identifiable. Nous faisons donc du Galaad, tant mieux !
Pour Frat3r, nous avons souhaité, un album imaginatif, épique, fertile en mélodies et en moments intenses, avant même de prendre les instruments…
Gianni : Il a fallu trouver une voix commune, nos goûts ont changé, un des succès de Frat3r est justement ce son commun.
Seb : La combinaison de nos créativités génère naturellement l’identité de Galaad. Il n’y a pas de calcul. Nous cherchons toujours à atteindre une certaine densité émotionnelle. C’est ce qui caractérise aussi notre musique.

C.G. : La qualité d’écriture reste soutenue même si les textes sont aujourd’hui nettement moins hermétiques et plus narratifs qu’à l’époque. Est-ce l’âge, la maturité ou l’envie d’un retour à davantage de simplicité ?

Pyt : Comme je n’impose pas un texte à mettre en musique, mais écrit en parallèle de la musique, les parties chantées se créent souvent au fur et à mesure, c’est toujours une gageure de rédiger un texte qui cogne en termes de sens, qui ait de la clarté, qui soit une parole vivante… Je recherche cela en permanence en écrivant… même en passant par le surréalisme, l’hermétisme, le mysticisme, la poésie…

CG : L’ambiance dégagée par ces huit titres constitue une sorte de réalisme magique, genre très apprécié des auteurs sud-américains. En effet, avec Frat3r, on évolue (heureusement) à mille lieues des clichés heroïc fantasy, voire S.-F. adolescente dans lesquels le metal progressif se répand habituellement. Le résultat, très original, est surprenant puisque « coincé » entre le quotidien et une forme de monde onirique envoûtante. Pyt, comment expliques-tu ton travail d’auteur sur ce disque ?

Pyt : C’est exact, coincé entre le quotidien et une forme de monde onirique… Il y a une tentative d’évasion d’un quotidien agressif, surmédiatisé et n’annonçant que des mauvaises nouvelles, quelque chose qui heurte la sensibilité et dont on se protège. Le monde onirique permet de sortir du quotidien, auquel on n’échappe pas… La musique et la musique poétique jouent ce rôle de passeuses vers une nouvelle dimension. J’aime bien cette confrontation entre réalisme et fantastique. Car pour écrire pour Galaad, il faut tenir compte du nom, ce qu’il colporte avec lui, et de ce qui s’est déjà passé, en termes textuels, avant… Avec Frat3r, j’emprunte une autre route, plus explicite.

C.G : Galaad fait-il du rock progressif, du metal progressif, du rock en français ou de la « fusion progressive » (genre proposé par le journaliste Hervé Picart, à l’époque de Vae Victis) ? Que faire, finalement, de ces étiquettes encombrantes ?

Pyt : Ou même de l’eclectic rock ? Je m’en moque, je m’en moque… il faut choisir son langage, ça peut être utile à des gens qui passent par des étiquettes pour se situer…
Gianni : Galaad est un peu tout ça et tout simplement du rock.
Seb : Nous faisons de la musique et c’est l’essentiel. Les étiquettes n’ont guère d’importance. En ce qui me concerne je fais du rock.
Gérard : Pas besoin d’étiquette pour apprécier ou pas une musique, un groupe. Ces étiquettes étaient utiles chez un disquaire pour guider le client. Là, c’est devenu des frontières imaginaires, non-définies et bien souvent inutiles.
Laurent : Il n’y a rien à faire, on ne peut échapper aux étiquettes. Ce n’est pas un problème pour moi.

CG : La fraternité semble être le fil conducteur de l’album. Celle-ci est-elle encore possible dans notre monde égoïste, individualiste, digitalisé et acculturé ?

Pyt : Il y a certains silences en groupe, certains traits de visages à des moments de jeu qui sont plus explicites en termes de fraternité que le mot lui-même… Je parle là de fraternité au sein du groupe. Et puis élargie au dialogue avec Kim, la relation d’amour, de connivence entre deux frères de sang ou même symbolique peut tout à fait transcender l’état sociétal actuel et transformer les individus, en bien comme en mal… J’ai envie de dire que l’univers commence à partir de deux…
Seb : Evidemment. La fraternité fait partie de l’ADN de l’humain… comme la colère, la haine et l’amour.

CG : Finalement, pensez-vous que Frat3r fera oublier Vae Victis ? Craignez-vous une déception de la part de vos fans ?

Pyt : Il y aura de nouveaux fans et des déçus. Mais pourquoi faire oublier Vae Victis ?
Au contraire, si ça peut le promouvoir aussi… Pourquoi utiliser un album contre un autre, penser les choses si verticalement ? Je pense que Frat3r possède des valeurs que Vae Victis n’a pas…
Gianni : Frat3r ne fera pas oublier ni Vae Victis ni Premier Février, il s’inscrit dans la suite.
Seb : Frat3r n’a pas vocation à faire oublier Vae Victis ou Premier Février. Les albums ne devraient jamais être mis en rivalité. Ils sont les expressions différentes de l’histoire et des évolutions d’un groupe. J’espère de tout mon cœur que Frat3r plaira à nos amis et fans.
Laurent : Proposer une nouvelle oeuvre n’efface pas les anciennes. Comme dit Pyt, un album peut en promouvoir un autre.

C.G : Que rétorqueriez-vous à celui qui jugerait Frat3r moins bon que Vae Victis ?

Pyt : Qu’il peut se contenter de Vae Victis et passer par-dessus Frat3r, pas de problème.
Gianni : Frat3r est bien plus mature que Vae Victis. J’espère que les gens apprécieront le travail effectué car nous avons échangé, musicalement, entre nous, bien plus qu’à l’époque de Vae Victis.
Seb : « Moins bon » est une considération absurde… je peux par contre tout à fait entendre qu’il plaise moins.
Gérard : C’est intéressant d’aller jeter un coup d’œil sur différents sites comme Progarchives.com ou Rateyourmusic.com. Les chiffres sur Internet ont une valeur toute relative, mais c’est amusant de constater que les ratings pour Premier Février et Vae Victis sont relativement proches (sur vingt à quarante votants). C’est là la beauté de la musique, aucune ne fera l’unanimité, mais toutes trouveront leur public.
Laurent : D’abord, je lui dirais merci d’avoir acheté l’album et ajouterais que, comme au restaurant, le chef ne sert pas toujours le même menu.

C.G. : N’avez-vous pas peur, un jour, de regretter d’avoir « osé » donné une suite à Vae Victis et de n’avoir pas laissé la nostalgie travailler à votre place ?

Pyt : Absurde. Ce n’est pas parce que l’on recherche parfois la note impérissable que l’on doit laisser un album figé à jamais dans une postérité imaginaire… et qui ne contente que quelques connaisseurs…
Seb : Je ne regretterai jamais de faire de la musique… quand bien même fut-elle moins appréciée par certains. C’est le contraire que je regretterais… censurer le musicien que je suis aujourd’hui… et ce, en regard d’un album vendu à deux mille exemplaires ! Pure folie ! Ne jamais s’arrêter de vivre, apprécier le passé et accepter l’instant présent !
Gérard : Genesis, Yes, Pink Floyd, Marillion, King Crimson et bien d’autres auraient eu des carrières bien courtes… et je suis heureux que ces groupes n’aient pas suivi le modèle de Patrick Hernandez.
Laurent : Jamais.

CG : Une véritable tournée est-elle envisagée ou vous contenterez-vous uniquement de quelques dates par-ci, par-là, selon les contraintes de vos agendas professionnels et familiaux ?

Pyt : Le Frat3r Tour comme on l’appelle, des dates égrenées en fonction de l’offre. Très difficile d’accéder à des scènes nombreuses et variées, mais du coup, ça va avec nos possibilités. On joue le weekend de préférence, oui. Bref on n’est pas une structure professionnelle pure. Mais comme je le dis toujours, on agit comme si on était pros.
Gianni : Actuellement, on ne pourrait pas se permettre une tournée, tant professionnellement que privé, et comme personne ne nous la propose ça va bien ainsi.
Seb : Au même titre qu’il n’y aura pas d’énorme succès… il n’y aura pas de professionnalisation de Galaad. La musique la plus écoutée aujourd’hui en France est le rap. Le rock a déjà un pied dans la tombe (en dehors des pères fondateurs qui seront durablement vénérés… comme Mozart et Beethoven). A chacun son temps, à chacun son tour. Le nôtre est passé. Place à l’avenir (la jeunesse) !

C.G : Pendant ces prochains concerts, allez-vous proposer des chansons issues de vos trois albums ou allez-vous continuez d’oublier honteusement Premier Février, que pourtant beaucoup de fans (dont je fais partie) vénèrent. Pourquoi les titres de ce premier album sont-ils toujours mis à l’index ? N’en êtes-vous pas fiers ?

Pyt : Personnellement je n’aime pas cet album, mais heureusement, d’autres pensent autrement.
Gianni: Nous sommes fiers de Premier Février mais tous les contextes ne se prêtent pas aux morceaux de cet album.
Seb : On va inclure quelques extraits de Premier Février dans nos prochains concerts.
Gérard : Un ou plusieurs titres de Premier Février pourraient être joués à partir de septembre. Jusqu’à aujourd’hui, la préparation de Frat3r a occupé tout notre temps de jeu.
Laurent : Rejouer un titre de Premier Février en concert est en projet.

CG : Vous réjouissez-vous des prochains concerts ou appréhendez-vous ce comeback ?

Pyt : Pas d’appréhension pour ma part, un peu de tensions car on souhaite que tout se passe bien, et qu’on arrive à nos fins au travers de cette sortie d’album, des concerts qui vont suivre.
Gianni : Je suis toujours stressé avant un concert, c’est le trac habituel mais pas à cause du comeback !
Seb : Je suis assez convaincu que Frat3r est un gros album. Le défi pour l’heure c’est de restituer sur scène ses qualités. Ça va être chaud techniquement.
Gérard : Le comeback a eu lieu 18 mars 2017 à Moutier et niveau stress ça avait atteint des sommets. Pas d’appréhension particulière car la plupart des titres de Frat3r ont déjà été joués lors des différents concerts en 2018. Donc on devrait trouver peu de lance-pierres et œufs dans le public.
Laurent : Ce serait dommage de se mettre une pression inutile. Je crois que tous les membres du groupe se réjouissent.

Photographie de Rolf Perreten (LDD)
sauf selfie : Galaad

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