Live Report Arman Méliès au Point Ephémère de Paris, 6 décembre 2023
6 décembre 2023
Fred Natuzzi avec la participation de Lydie Osaki et Hélène Dumontet
Arman Méliès au Point Éphémère de Paris, 6 décembre 2023
Avec Obake, Arman Méliès a convoqué les grands esprits de l’électronique pour nous amener à voyager à travers les errances de fantômes. Un double opus riche et dense qui demande un lâcher-prise, tant dans les émotions que dans l’imprégnation de la musique. Comment traduire cela en concert, telle était la question (que je lui avais posée, voir son interview !). À l’époque, il ne savait pas encore quelle formule il allait adopter. Puis la nouvelle est tombée : une tournée solo. Sauf pour la date de Paris puisqu’on annonçait des invités. Chic ! On se souvient du concert avec invités au 104 il y a quelques années, c’était fabuleux. Joie et impatience donc. Ce mercredi 6 décembre, c’est dans un Point Éphémère plein à craquer que se déroule l’événement. Un concert de Méliès est toujours un événement, car très (trop) rare. C’est Blondino qui ouvre pour Arman, délivrant trente minutes aériennes et élégantes. Vétue de sa robe fourreau noire, la chanteuse à la voix envoûtante et sensuelle interprète quelques chansons issues de ses albums Jamais Sans La Nuit et Un Paradis Pour Moi. On reste charmés par la douceur féminine de son titre « Les Madrilènes », entre autres. Son univers poétique rappelle celui d’un Christophe. D’ailleurs, Blondino fera une reprise de Christophe tirée de son magnifique album Les Vestiges Du Chaos : « Drone ». Splendide.
Arman Méliès, après s’être penché sur son pédalier et accordé sa six cordes, prend possession de la scène pour une première partie en solo. Armé de sa guitare, de ses effets, et de ses boucles, il nous invite à reprendre là où il nous avait laissé, à Laurel Canyon. « Avalon » ouvre le bal et nous plonge immédiatement dans cette singularité musicale qui fait qu’Arman est un artiste unique. Le son est retravaillé, la voix d’Arman subtile et charismatique. Il enchaîne avec « Fort Everest » de Vertigone, et sa fin vertigineuse nous emporte toujours dans une émotion qui nous laisse pantois. Trois morceaux d’Obake sont ensuite proposés : Arman a extrait ces titres des profondeurs de cet album comme s’il s’agissait de diamants bruts. Il les offre de manière plus organique, seul à la guitare, en modulant ses tonalités avec son compère ingénieur du son Philou Barandiaran, pour leur donner une dimension électromagnétique. « Ta Peine » en est sublimée et fait des merveilles. « Le Ventre-Monde » explose de dynamisme, Arman s’amuse à emmener ce titre vers un paroxysme réjouissant. Quant à « La Chancelle », le traitement sur le son la rend plus envoûtante et mystérieuse que jamais. Puis « La Soif », comme une prière épurée, pose un peu le temps tandis que « Modesta » permet une nouvelle fois de pousser le curseur de l’émotion. Enfin, « Mon Plus Bel Incendie » de AMIV est interprétée dans une version apaisée et mélancolique. Le tout est grandement impressionnant.
Entrée en scène d’Antoine Kerninon à la batterie et de Mathieu Geghre aux claviers pour un nouveau voyage en terres Mélièssiennes. « Obake I » nous entraîne sur les traces de Morricone tout en rappelant que les instrumentaux d’Arman (pour l’occasion, il y a aussi de la voix) sont riches de rêves et de créativité. Quel délice. Par son côté cinématographique, ce morceau magistral évoque des paysages oniriques, désertiques. Une impression de solitude s’installe dans notre imaginaire. La guitare et les sifflements du début déclenchent des images floues opalescentes. L’ensemble offre des sensations qui nous extirpent du réel avant de s’accélérer dans une sorte de course qui, dans un arrêt sur image, par un silence musical, vient soudain stopper l’aventure. Alors reprennent les sifflets nous abandonnant dans un sentiment de plénitude. Sur « Météores », c’est l’ami Helmut Tellier qui vient partager le micro avec Arman. Si on l’attendait sur « La Soif », morceau autrefois partagé avec Arman, le chanteur de La Maison Tellier et d’Animal Triste y trouve sa place avec son énorme talent. Inattendue aussi, mais tant espérée, la chanteuse suédoise Fredrika Stahl interprète « Haunted », un des titres anglophones de l’album qui en résume l’essence. Dans cette chanson, la présence des absents hante l’âme. La musique électronique hachurée rythme sa voix spectrale jusqu’au final où celle d’Arman vient l’amplifier, nous appelant en écho de l’au-delà. Fredrika Stahl est aussi charismatique que son titre, une interprétation de haut vol. On sent la rigueur des musiciens pour lui rendre justice. Un grand moment de ce concert.
« Constamment Je Brûle » prend le relais dans une énergie plus rock . Cette chanson enflamme toujours le public qui entame avec Arman les paroles. Puis « Laurel Canyon », splendide et qui resplendit grâce notamment aux arrangements des claviers, complète cette riche set-list. D’abord tout en douceur, il monte ensuite en puissance, le chant prend une telle force que l’artiste donne tout et nous emmène si loin que le temps s’arrête dans ce final si hypnotique et intense. Saluons le travail précis et tellement délicat d’Antoine Kerninon tout au long des morceuax à la batterie. Puisque Blondino est présente, pourquoi ne pas jouer « Bleu », son titre qu’Arman avait repris lors de ses Échappées Belles. Belle prestation, mais il est dommage qu’Arman n’ait pas partagé le chant avec elle. Cela aurait fait un beau contraste, mais la magie de sa guitare suffit à faire le bonheur du public. En rappel, une belle surprise : une reprise d’ « Immortels » de Dominique A qui était destinée à Alain Bashung. On peut d’ailleurs trouver sa version sur l’album posthume En Amont. Pour personnifier l’esprit du chanteur, c’est Helmut Tellier qui revient partager le chant et je dois dire que ce titre est parfait pour lui. L’hommage à l’artiste qui, le premier, a cru en Arman est émouvant. Un moment suspendu, magique, unique. Sous des applaudissements tonitruants, Arman reviendra pour un dernier rappel, « Dans la mêlée » de Roden Crater. Nous sommes fous, nous dit-il ! Oui, nous le sommes surement, et nous pouvons même répondre à son interrogation : nous savons qui écrit les légendes.
Une nouvelle fois, Arman Méliès nous a comblés avec ce concert en réinventant son Obake en travaillant différents arrangements. Une soirée qui ne laissera pas un souvenir fantôme, mais restera bien ancré dans nos esprits.
Set List
Avalon
Fort Everest
Ta Peine
Le Ventre-Monde (Mange Tes Morts)
La Chancelle
La Soif
Modesta
Mon Plus Bel Incendie
Obake I
Météores (avec Helmut Tellier)
Haunted (avec Fredika Stahl)
Constamment Je Brûle
Laurel Canyon
Bleu (avec Blondino)
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Immortels (avec Helmut Tellier)
Dans La Mêlée
Photos: Mélanie Lhote
Vidéo: Sandra Benyachou