Andréa Spartà & Maquerelle – Ubu
Not On Label
2018
Andréa Spartà & Maquerelle – Ubu
Mes chroniques, souvent vagabondes, ont déjà eu la chance de croiser la route d’Andréa Spartà. C’était en juillet 2016, à propos de son Simulacra. Et j’avais écrit ceci : « Autant le dire d’emblée, le Simulacra d’Andréa Spartà m’a carrément bluffé. Cependant, bon, ok, il est clair que cet album ne sera pas la tasse de thé de tout le monde, loin de là même. Il faut vraiment avoir un goût très affirmé de la musique expérimentale ou électro-acoustique pour y trouver son compte. Mais si tel est votre cas, alors vous allez être hypnotisé par ce Simulacra, à la fois lent et dense, suspendu et rugueux, mystérieux et beau. »
En ce mois de mars 2018, je ne retire évidemment pas un mot de ce que j’écrivais il y a maintenant près de deux ans. D’autant moins qu’Andréa Spartà revient avec un nouvel et excellent album, Ubu, et qu’il est même accompagné d’un autre spécialiste en démolition créative du son, Maquerelle. Mais cela va, en vérité, plus loin qu’un simple album. Le travail d’Andréa Spartà est essentiellement orienté vers la performance audiovisuelle, ayant déjà imposé son style aussi remarquable que maîtrisé dans des projets tels que Land en 2013, Entre Chien Et Loup en 2014 et Seven Tones Of Spheres en 2015, tous basés sur la recherche d’un entre-deux, d’un espace entre réel et irréel.
Bien sûr, Andréa Spartà et Maquerelle ne sont pas les premiers à reprendre à leur compte le personnage d’Ubu, l’anti-héros shakespearien d’Alfred Jarry. Mais cela reste toujours un défi et cela prouve que nos deux compères n’ont pas peur des icônes sacrées. Le « Père Ubu » , lâche, traître, naïf, avare, bête, gros, goinfre et méchant, incarnant tous les vices les plus primaires avec une cruauté enfantine, mais aussi symbole de la cupidité des hiérarchies politiques, de l’absurdité de vouloir toujours tout. Voilà un thème rêvé pour nos deux aventuriers du son hors-piste. Les mots y sont importants aussi…
« Lui, le sacre, le sac, la main.
Ouvre ! Bois ! Enlasse-moi !
Commande-leur la raison et parle !
Moi, je te crois…
Mon homme, ma loi, ma soif… ma foi.
Mon homme, moi je te crois…
Ubu, mon ange.
Il avance, en cadence, en constance, en carence…
Reviens ! Reviens !
C’est chiant ici…
Viens…
Vive le roy ! »
En vérité, Ubu est un album plutôt respectueux et structuré de la part de deux explorateurs du son radical. Un peu comme si expérimenter sans limite n’était pour eux vraiment intéressant que dans un cadre grandiose, mais déjà chaotique à la base. En fait, et assez étonnamment, cela donne un album aux rythmiques assez militaires et d’une allure très vieille France, quelque chose comme une sorte de Versailles grotesque. Aucune critique négative là-dedans. Au contraire, cela fonctionne parfaitement, ce qui confère à cet Ubu un cachet très particulier, pour ne pas dire unique. Cet album est une expérience à la fois musicale, théâtrale, textuelle et émotionnelle, entre noise déjanté et classicisme, éclats bruitistes et fulgurances poétiques, et tout ceci est très réussi !
5 questions à Andréa Spartà et Maquerelle…
Clair & Obscur : Andréa, pourriez-vous vous présenter ?
Andréa Spartà : Je suis un jeune artiste indécis. J’ai eu une formation de musicien au conservatoire où j’ai appris la musique acousmatique et les musiques amplifiées. J’ai été très tôt en contact avec l’art contemporain et ancien, les chemins se sont croisés à la fin de mon cursus musical, quand j’ai voulu apporter une dimension picturale à ma musique. Je suis entré aux Beaux Arts et mon travail s’est alors ouvert aux pratiques théâtrales, scénographiques, et sculpturales. Je m’occupe à osciller dans tout ça.
C&O : Et vous, Mr Maquerelle, qui êtes-vous ? Vous connaissez Andréa depuis longtemps ?
Maquerelle : Je suis un jeune homme (ou vieux garçon, tout dépend) de 22 ans qui occupe sa vie à gérer ce qu’on appelle un « One-Man Band ». Avec Andréa, on se connaît depuis le collège. On a un peu découvert la musique ensemble, dans des petits groupes. Le genre de groupe de heavy metal de collège/lycée. Ensuite on a fait le conservatoire il y a quelques années, et nous voilà désormais ici.
C&O : Pourriez-vous nous présenter ce nouvel album consacré au « Père Ubu » d’Alfred Jarry ?
M : Ubu, c’est un album qui est venu comme une sorte de réponse à des frustrations et remises en question artistiques qu’on a eu il y a un peu plus d’un an. On en était tous les deux à un point où on trouvait notre approche de la musique trop stérile. On a voulu repenser au live, à la spontanéité, chose finalement peu abordable dans nos travaux en solo. On a décidé de composer tout ça sur le vif, que ça soit chez nous ou même lors des concerts, qui ont servi de terrain de jeu pour nos essais de son et d’imagerie. Tout ce qui s’ajoutait, que ça soit au niveau des instruments, des paroles, du concept, etc…, devait être naturel, au moins pour le début de l’idée en question. Le concept de cérémonie d’hommage au « Père Ubu » a été proposé par Andréa et m’a très vite plu. Cela change de la sempiternelle « messe noire », proposée un peu trop souvent dans le milieu à mon goût.
A : On est bourguignons, le vin, la bouffe, c’est peut-être essentiel pour nous. À la fin de notre première résidence ensemble, un ami caviste est décédé. C’était la perte d’un grand bon vivant, refaiseur de monde déjanté. Il fallait arrêter le côté noir de ce genre de musique et être plutôt du coté de la vie, de l’abondance, de l’ivresse. Ubu faisait un bon écho à tout ça et nous permettait de rire gras.
C&O : Pourriez-vous nous parler de vos influences, des techniques et des instruments que vous utilisez ?
M : Pour ma part, je suis essentiellement à la guitare et à la voix ainsi qu’aux samplers et rythmiques. Je n’utilise pas d’amplis sur scène, je forge mon son uniquement sur des préamplis, pédales d’effets et EQ. Je m’inspire aussi bien des sonorités graves à la Godflesh ou Blut Aus Nord, que des guitares poisseuses des débuts de Killing Joke et Swans. Pour ce qui est des influences plus expérimentales, il y a bien évidemment toute la vague indus 75/81, mais aussi des trucs plus classiques comme le jazz fusion, le vieux prog ou le krautrock.
A : Je travaillais exclusivement par ordinateur avant et le ras-le-bol s’est aussi fait là-dessus pour ma part. Je me suis tourné vers la musique et pas une musique, c’est à dire que j’ai commencé à chercher ce qu’il y avait ailleurs, toute époque et style confondu. Ubu a été l’occasion d’expérimenter tout ça. Sur scène, j’utilise principalement un combo instruments-fait-maison / instruments traditionnels comme le hichiriki, une sorte de hautbois japonais de plus de mille ans. J’utilise aussi des cors de chasse et des trompettes aïda, qui participent autant au son qu’à l’imagerie du projet. Un peu de guitare, un peu de voix, un peu de banjo aussi, ainsi qu’une hurgy toy, une sorte de vielle à roue expérimentale créée par le génial Léo Maurel. En fait, par le choix de mes instruments, j’essaye de mêler toutes les musiques qui m’animent, de la musique traditionnelle japonaise au harsh noise en passant par la musique contemporaine du XXe et le free jazz.
C&O : D’autres projets en cours ou en tête ?
A : Oui, maintenant que l’album est sorti, nous travaillons sur un nouveau projet nommé Facéties, plus minimaliste, moins narratif. Je le vois un peu comme une suite logique d’Ubu. Après cette ode grandiloquente, impériale, gargantuesque, on arrive dans un projet beaucoup plus intimiste, quelque chose plus de l’ordre de la transe traditionnelle, comme une incantation intérieure. Une sorte de « Père Ubu » qui regarde avec du recul son délire, comme si tout était mental. Des facéties. En parallèle, l’influence de cette dimension plus improvisée, plus vivante qu’a apporté Ubu me fait travailler sur un nouvel album solo, comme Maquerelle.
M: Oui, je suis en plein dans la création d’un prochain album solo depuis la fin du mixage et mastering d’Ubu qui m’a aidé à améliorer mes techniques de production. Et sinon, j’ai récemment aidé un jeune collectif, BPM Commity, en tant que graphiste. Leurs programmations sont essentiellement typées Electro, mais ça fait plaisir de voir des mecs de notre âge se bouger dans l’événementiel.
Frédéric Gerchambeau
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