André Drage – Journeyman

Journeyman
André Drage
Drage Records
2025
Thierry Folcher

André Drage – Journeyman

André Drage Journeyman

André Drage, ce nom vous dira peut-être quelque chose si vous avez l’habitude de fréquenter l’underground du metal européen et d’y avoir croisé les Norvégiens de Draken. Un groupe au sein duquel André martyrise sa batterie avec une puissance et une précision qui forcent le respect. À présent, pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, il est impératif que vous sachiez que Journeyman n’a rien à voir (mais vraiment, rien à voir) avec la déferlante sonore de Book Of Black (2023), le dernier album en date de Draken. En effet, cette première aventure en solo d’André Drage est plutôt à situer du côté du prog expérimental à forte connotation jazz. Je constate qu’un certain public est en train de nous quitter, mais qu’un autre semble rappliquer avec une attention qui fait plaisir à voir. Et pour ceux qui restent, je peux vous assurer qu’ils ne seront pas déçus. C’est en parcourant les découvertes de la semaine du magazine britannique PROG que le nom de Drage (calé entre les news de Karmakanic et de Earthside) m’est apparu pour la première fois. Un entrefilet élogieux à propos du single « In Between Is Always Forward » et il n’en fallait pas plus pour titiller ma curiosité. Dans la foulée, les huit titres de Journeyman sont passés comme une lettre à la poste et impossible pour moi de ne pas les partager. Alors, bien sûr, tout ça est lié à ma propre sensibilité et à mon penchant avéré pour le jazz fusion. Mais en écoutant les compositions alambiquées de cet étrange album, j’ai vraiment le sentiment qu’on est passé à autre chose, dans une sphère unique où les liens avec le passé, sans être complètement rompus, ne sont plus d’actualité. C’est frais, nouveau, très accessible et parfaitement produit par un artiste qui fourmille d’idées et qui ressent un indicible besoin d’aller de l’avant.

André Drage (désolé, je ne connais pas la bonne prononciation, mais sans trop m’avancer, je pense qu’il faut dire Draj) est un sacré personnage. En plus de ses nombreuses et diverses implications (Draken, André Drage Group, Ildfjell, Aquafaba …) ce jeune touche-à-tout vient de créer Drage Records, son propre label inauguré cette année avec Journeyman puis avec Wolves du André Drage Group dont la sortie est attendue d’ici quelques mois. Un label consacré en priorité au rock progressif et au jazz fusion en passant par la musique du monde et la musique électronique à forte couleur ambient. Ce qu’il y a d’extraordinaire, c’est que tous ces courants musicaux sont présents sur Journeyman, un peu comme si André Drage avait voulu en faire une sorte de carte de visite. Il n’y a qu’à écouter les dix minutes de « Lake Malawi » pour s’en convaincre. Ce premier morceau est une franche réussite qui commence par un world jazz très percussif, s’enrichissant par la suite de sonorités, pour le moins inattendues et toujours très chatoyantes. À la fête, le vibraphone (j’adore cet instrument) de Petter Haukaas, le saxo de Sigrid Aftret ou encore le violoncelle de Wei Ting Zeng. Mais, ce qu’il y a de passionnant, c’est la construction très progressive qui ne se contente pas d’une seule ligne directrice. Les cassures sont nombreuses et les surprises, un peu partout. J’en veux pour preuve le mellotron d’Audun Kjelldal qui surgit au détour d’une séquence atmosphérique pour nous faire remonter d’intenses souvenirs enfouis. Les liens avec le passé ne sont effectivement pas rompus et agissent comme des rappels respectueux vers toutes ces années fondatrices.

André Drage Journeyman Band 1

Journeyman a été écrit par un batteur et cela se ressent. « Interlude », le titre suivant, se présente à pas feutrés en suivant doucement la cadence de la basse de Christo Stangnes. Puis, grâce au violoncelle, les notes vont s’étirer comme un chat au soleil avant de nous amener vers une fin des plus spectaculaires. Un grand moment pendant lequel André Drage va réussir l’exploit de nous restituer la respiration de Dark Vador, uniquement avec ses percussions. Une prouesse technique qui dénote aussi une belle dose d’humour. Jusqu’à présent, Journeyman se complaisait dans des atmosphères plutôt calmes et le fait que « Purple Vision » accélère le mouvement n’est pas pour déplaire à des auditeurs de plus en plus éberlués par la qualité technique des musiciens. J’ai pu lire qu’André Drage se réclamait de Frank Zappa, de Gong et de Soft Machine pour son inspiration et le moins que l’on puisse dire, c’est que cela s’entend. J’ajouterai même une once de Yes avec les nappes de claviers de « A Soldier’s March Part I » et une certaine noirceur propre à King Crimson sur « A Soldier’s March Part II ». Le rock progressif est à la fête, c’est certain, mais toujours avec un jazz sous-jacent pouvant surgir à tous moments. Superbe titre, envoûtant à l’extrême et dénotant une belle capacité à venir s’installer au plus profond de nos carapaces malmenées. L’enchaînement avec le court et bucolique « A Soldier’s Part III » permet de refermer doucement ce triptyque qui peut venir s’installer sans peine aux côtés des grandes œuvres progressives fragmentées. Et comme si cela n’était pas suffisant, « In Between Is Always Forward » va enfoncer le clou avec une classe impressionnante. Sur ce titre, le saxo de Sigrid Aftret est à l’honneur et rappelle le grand Jan Garbarek (lui aussi norvégien) dans son jazz nordique apte à faire fondre la banquise. Le leitmotiv est particulièrement entêtant et ne doit son interruption qu’à une fin sacrifiée. Dommage, car c’était bien parti pour durer un peu plus longtemps. Notre voyage en compagnie de Journeyman s’achève mélancoliquement avec les notes finales de « Taste A Bitter Fruit », plus graves, mais très belles aussi.

André Drage Journeyman Band 2

Ça vaut le coup de fouiller. De remuer ciel et terre pour trouver la chose qui fera la différence et procurera ces fameuses sensations aussi incontrôlables qu’avidement recherchées. Je ne suis pas sûr que beaucoup de médias vont relayer la sortie de Journeyman, mais pour Clair & Obscur, cela fait partie de son ADN et de son devoir envers ses lecteurs. Le monde d’André Drage est passionnant et pourra convenir à beaucoup de mélomanes soucieux du travail bien fait et avides de découvertes sortant des sentiers battus. Une fois encore, la Norvège s’est distinguée en nous proposant un talent hors du commun qui, si tout va bien, devrait connaître un joli succès auprès du public. La suite de sa carrière va dépendre de beaucoup de paramètres, mais une chose est sûre, c’est qu’André Drage fait désormais partie des candidats à suivre.

https://andredrage.com/#home

 

 

 

 

 

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