Wobbler – Dwellers Of The Deep

Dwellers Of The Deep
Wobbler
Karisma Records
2020
Thierry Folcher

Wobbler – Dwellers Of The Deep

Wobbler Dwellers Of The Deep

Les norvégiens de Wobbler pratiquent le clair-obscur. D’ailleurs, le dernier titre de Hinterland (2005) porte ce nom et ce n’est pas par hasard. Chez eux, le voyage musical nous amène aussi bien vers la lumière la plus brillante que dans l’obscurité la plus sombre. Plus concrètement, pour ceux qui ne connaîtraient pas encore cet étonnant combo, il faut savoir que leur musique est partagée entre fortes tensions et douces atmosphères, ce qui va bien au rock progressif en général. Comme référence, on peut difficilement échapper au parallèle avec Änglagård, Anekdoten, Landberk ou Morte Macabre, toute cette scène suédoise qui fit irruption dans le néant des années 90 avec le succès que l’on connaît. Mais bon, Wobbler reste Wobbler et malgré ces belles comparaisons, il affiche aujourd’hui une identité qui lui est propre. Le cultissime Hybris d’Änglagård et Dwellers Of The Deep ont presque 30 ans d’écart, il s’est passé beaucoup de choses entre-temps et la musique, même si elle possède le même ADN, ne peut sonner à l’identique. La question fondamentale est de savoir pourquoi ce groupe est devenu aujourd’hui une telle référence en matière de rock progressif toutes catégories confondues. Il faut bien admettre qu’il fait l’unanimité, que ce soit auprès des inconditionnels de l’ancienne école qu’auprès des franges plus attirées par la modernité et l’innovation. La réponse est toute simple, c’est que Wobbler rassemble un peu tout cela et que Dwellers Of The Deep va encore plus loin dans cette combinaison et plus loin dans la recherche musicale tout court. Je ne peux m’empêcher aussi de retrouver chez eux un tout jeune King Crimson (pour le mellotron) qui aurait réussi un mariage à trois avec un ultra-nerveux Caravan (pour l’orgue Hammond) et un Yes au meilleur de sa forme (pour la basse Rickenbacker et le chant).

C’est donc en héritiers de l’âge d’or du rock progressif qui va de 1969 à 1975 et en dignes représentants de la scène scandinave que nos cinq amis nous présentent le successeur au magnifique From Silence To Somewhere paru en 2017. Un album puissant qui avait consacré le groupe après trois précédents ouvrages déjà prometteurs. Tout d’abord, je tiens à rassurer les nombreux adeptes du son Wobbler, Dwellers Of The Deep va continuer à creuser le même sillon avec en plus quelques trouvailles intéressantes et une plus grande maturité. Les similitudes avec From Silence To Somewhere ne manquent pas, presque la même durée pour quatre morceaux dont un, particulièrement calme, utilisé comme une respiration au milieu du tumulte. Seul « Merry Macabre », annoncé comme un voyage dans l’inconnu, sera une véritable avancée musicale. Alors, autant commencer par cet étonnant enchevêtrement de notes qui termine l’album du haut de ses vingt minutes de folie. Êtes-vous prêt à entrer dans cet univers tout en sachant que vous ne vous ferez pas que des amis ? Vous allez vous retrouver bien seul, mais qu’importe c’est votre choix et vous l’assumez. Il fallait une bonne dose de courage en 1969 pour écouter « L’Homme Schizoïde » de King Crimson et pourtant on le perçoit aujourd’hui dans une publicité de parfum, qui l’eût cru ? Alors, « Merry Macabre » va-t-il se hisser au niveau du fameux uppercut du Roi Cramoisi ? Non, bien sûr que non, il ne va pas si loin. Le voyage dans l’inconnu est bien réel mais il se trouve souvent balisé par quelques îlots familiers rassurants. La première partie notamment, ne va pas trop nous dépayser. Dès l’ouverture, après un passage plutôt accueillant, nos cinq amis vont déployer une intense musique aux multiples climats bien maîtrisés et sans danger pour nos oreilles. Mention spéciale pour la basse de Kristian Karl Hultgren et pour les claviers de Lars Fredrik Frøislie. Martin Nordrum Kneppen aux percussions, Andreas Wettergreen Strømman Prestmo au chant et Marius Halleland à la guitare assurent, quant à eux, la nécessaire cohésion à ce genre d’épopée progressive.

Wobbler Dwellers Of The Deep Band 1

Il faudra attendre le coup de gong, vers la moitié du titre, pour faire pencher « Merry Macabre » dans un monde moins commun. C’est à pas feutrés et sur un rythme de jazz que la machine nous amène faire un tour vers la part glauque de Wobbler. Et vous savez quoi ? C’est de toute beauté, hallucinatoire et finalement pas si ténébreux que ça. Tout cela s’écoute avec attention et plaisir, jusqu’à la fin qui s’échange entre atmosphère calme au piano et redémarrage sur les chapeaux de roue. Voilà du rock progressif comme je l’aime, sans compromis et plein d’inspiration. « Merry Macabre » termine Dweelers Of The Deep de façon majestueuse mais ce qui précède n’est pas mal non plus. Retour donc à la case départ avec « By The Banks », le pétulant morceau qui ouvre l’album. Au début il y a du Deep Purple, du Kansas dans les notes de l’orgue, grand gagnant de cette introduction. Puis le chant va se partager entre un Yes bien frappé et une tradition scandinave plus incantatoire prouvant ainsi ce métissage musical si original. « Five Rooms » sera dans la continuité avec toujours ce son de basse rappelant les belles années de Chris Squire. C’est encore le Yes des débuts qui revient à l’esprit mais sans être pesant et en laissant la porte ouverte à d’autres influences comme par exemple, ce petit solo de clavier très « canterburien » qui s’incruste pile poil au beau milieu du morceau. Enfin « Naiad Dreams », la petite bulle de savon qui précède le choc « Merry Macabre » est pour sa part le témoignage d’un moment de douce tranquillité réalisé autour d’une phrase mélodique toute simple. Le chant et la guitare acoustique d’Andreas Wettergreen Strømman Prestmo, volontairement dépouillés, vont attendre sagement que de belles parures musicales viennent habiller ce passage détendu. Tout se met en place par petites touches et nous fait admirer l’autre facette de Wobbler, celle qui se réalise avec douceur et tendresse.

Wobbler Dwellers Of The Deep Band 2

En lisant ma chronique, n’allez pas croire que Dweelers Of The Deep n’est autre qu’une relecture scandinave des géants du rock progressif des seventies. Non, surtout pas. Et c’est là que le miracle Wobbler fonctionne si bien en nous offrant un son et des compositions originales avec des ingrédients pourtant bien connus. Ce cinquième album est un petit chef-d’œuvre que je mets sans hésiter au-dessus de From Silence To Somewhere, c’est dire le potentiel de cette superbe équipe norvégienne. La grande frustration des eighties semble bien loin maintenant et tous ces « petits jeunes » bourrés de talent nous gratifient aujourd’hui d’une belle revanche.

https://www.wobblerofficial.com/

 

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