Wobbler – From Silence To Somewhere

From Silence To Somewhere
Wobbler
Karisma Records
2017

Wobbler – From Silence To Somewhere

Wobbler From Silence To Somewhere

Wobbler, je les ai découverts au festival Crescendo en 2015 – où le groupe avait d’ailleurs présenté en exclusivité le titre éponyme de From Silence To Somewhere. Eh oui, je ne connaissais alors pas grand-chose de ces illuminés venus de Norvège. En tout cas, j’avais été impressionné par la performance de ces jeunes gens, même si leur rock progressif est plutôt comme un bon whisky, longtemps vieilli en fût de chêne ! Car c’est bien là la marque de fabrique (de barrique forcément) de Wobbler : faire un rock progressif intelligent et techniquement abouti, mais qui aurait pu ou dû émerger il y a bien quarante ans… Nonobstant, sans doute engoncés dans une bulle temporelle, nos gaillards du nord n’en ont cure et poursuivent leur ouvrage sans dévier du sillon, sans péter aucun plomb (une des traductions du mot wobbler).

From Silence To Somewhere est le quatrième album d’une série initiée avec Hinterland en 2005. Depuis sa création, le groupe a vécu deux modifications importantes de personnel : d’abord, l’arrivée au chant – et à la guitare – de Andreas Wettrennen Strømman Prestmo en 2009, puis le changement de guitariste en 2011, avec le départ de Morten Andreas Eriksen et l’arrivée de Geir Marius Bergom Halleland. Mais la mutation majeure pour ce nouvel opus, c’est le caractère plus collectif de la composition des quatre pièces qui le constituent. Oui, seulement quatre morceaux, pour ne pas dire trois, tellement « Rendered In Shades Of Green » apparaît comme une courte pièce de transition (2:05).

Wobbler From Silence To Somewhere Band1

Autre changement important, Wobbler a signé pour cet album sur le label Karisma Records, ce qui, au regard du catalogue – Seven Impale, Airbag ou Magic Pie pour n’en citer que quelques-uns – est de bonne augure. Qu’allait-il advenir avec cet album après un Rites At Dawn, certes apprécié par la critique, mais très yessien dans son essence, et bien moins andersonnien – pas Jon, mais Ian, celui de Jethro Tull – que ses prédécesseurs ? La marque d’Andreas Prestmo – qu’il m’excuse de raccourcir ainsi son nom – n’était pas si prégnante, masquée derrière une identification trop flagrante à Jon Anderson. Le challenge se situait peut-être là sur cet album, à moins que ce ne soit avec l’arrivée de Geir Halleland – qu’il ne m’en veuille pas lui non plus de lui shunter le patronyme ?

Au jeu de l’explicitation causale, on aura peut-être du mal à discerner le gallinacé de sa descendance… Néanmoins, il faut bien se rendre à l’évidence : le monde de Wobbler a évolué entre Rites At Dawn et From Silence To Somewhere, et c’est tant mieux ! Le paradoxe veut que, d’un univers initial marqué par Jethro Tull et Gentle Giant et autres grands noms du progressif symphonique auxquels se mêlait l’influence notable du folklore scandinave (Hinterland, 2005 ; Afterglow, 2009), Wobbler a accentué son univers vers un monde plus (trop ?) yessien sans être véritablement à la hauteur de leurs modèles. Et c’est peut-être avec ce nouvel album que le groupe de Hønefoss parvient à faire une véritable synthèse de toutes ses influences tout en y développant un style plus personnel.

Wobbler From Silence To Somewhere Band2

From Silence To Somewhere est composé de quatre pièces, dont la très courte « Rendered In Shades Of Green » dont j’ai déjà parlé, et qui fait la part belle aux claviers dans une ambiance douce et mélancolique, comme une transition après le long titre éponyme (20:59). Car « From Silence To Somewhere » apparait bien comme le morceau essentiel de cet album, et pas seulement par sa longueur. Si on y retrouve les caractéristiques majeures de Wobbler – la basse Rickenbacker de Kristian Karl Hultgren et les claviers dominants de Lars Fredrik Frøislie –, les guitares du dernier arrivé, Geir Halleland, y prennent une dimension imposante. Mais c’est surtout le chant d’Andreas Prestmo qui surprend. Fini l’imitation trop révérencieuse de Jon Anderson. Cette fois-ci, c’est un chanteur libéré qui place des phrasés et un style tout à fait particuliers. Cette nouveauté porte véritablement Wobbler dans une cohésion et une puissance inattendues et ravissantes. De même, une connexion avec la musique de la Renaissance italienne (la flûte de Martin Nordrum Kneppen et les guitares acoustiques) modifie quelque peu le schéma habituellement scandinave de nos Norvégiens. Frøislie apporte toujours des éclairs et des développements qui font irrémédiablement penser tant à Rick Wakeman qu’à Keith Emerson. Halleland, lui, pioche tour à tour chez Robert Fripp (12:38 à 13:20) et (surtout) chez Steve Howe – celui de l’époque des Tales From Topographic Oceans (12:00 à 12:38). Il est également aidé en cela par le jeu de Prestmo qui étoffe les parties de guitares. Mais c’est bien la construction et l’interprétation qui rendent ce titre stimulant. Bien au-delà de la copie, les musiciens de Wobbler y démontrent une cohésion particulièrement démonstrative qui rend la technicité de leurs interprétations jubilatoire, sans être étouffante. On sent un plaisir évident à développer et enchevêtrer les thèmes sans que ceux-ci n’apparaissent comme de vulgaires collages. La musique est riche, foisonnante. Les percussions de Martin Nordrum Kneppen poussent les musiciens par leur force et leur subtilité. D’ailleurs, ce dernier, qui s’est également chargé de l’enregistrement, a veillé à respecter la dynamique de l’ensemble. Cela donne à entendre une musique aérée où la variété des ambiances est accompagnée de nuances de volume et d’occupation spatiale des différents instruments. Ces nuances sont parfaitement audibles sur les deux dernières parties de ce titre épique, l’une agressive et sombre à la sauce Canterbury pimentée d’orgue Hammond (j’ai également pensé aux Italiens d’Areknamés), l’autre beaucoup plus douce, agrémentée de chœurs doucereux.

Wobbler From Silence To Somewhere Band3

« Fermented Hours » revient dans le sillage de ses principales influences, notamment Yes – il y a un petit parfum de « Sound Chaser » là-dedans – et Gentle Giant, mais également de Genesis (enfin le Genesis époque Peter Gabriel). Néanmoins, le chant de Prestmo paie également son dû aux chanteurs des grands groupes progressifs italiens (Banco Del Mutuo Soccorso et Premiata Forneria Marconi par exemple). C’est d’ailleurs cette influence transalpine qui marque le plus cette composition de Wobbler (il y a d’ailleurs un passage chanté dans la langue de Malaparte). En tout cas, ce titre est impressionnant de technique, chaque musicien faisant montre de sa dextérité et de ses qualités d’instrumentiste.

C’est le très yessien « Foxlight » qui vient conclure From Silence To Somewhere. Il convient de souligner, comme tout au long de l’album, l’admirable travail du flûtiste Ketil Vestrum Einarsen. Entre les subtiles guitares acoustiques et l’utilisation par Frøislie d’un Harpsichord, on revient dans les contrées progressives des années 70, là où elles vous enveloppaient tout à la fois de douceur et d’un esprit de sarabande endiablée. Un bel hommage !

Chacun ira de son interprétation de ce nouveau Wobbler. Les « modernistes » le rejetteront de facto pour son aspect daté. Les « classicistes » y trouveront plus leur compte et pourront ranger From Silence To Somewhere au côté du dernier album en date de Kaipa, Children Of The Sounds, pour l’obtention du titre de meilleur album de progressif symphonique old-school en 2017. Dans tous les cas, il convient d’apprécier cet album comme le meilleur qu’ait pu fournir Wobbler à ce jour, ce qui le place assez haut dans la palanquée de productions récentes du genre…

Henri Vaugrand

https://www.wobblerofficial.com/

https://wobbler.bandcamp.com/

https://www.facebook.com/wobblerofficial/

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.