Steve Hogarth : « The Invisible Man Diaries 1991-1997 » (MIWK 2014)
MIWK
2014
Bertrand Pourcheron
Steve Hogarth : « The Invisible Man Diaries 1991-1997 » (MIWK 2014)
Chanteur emblématique de Marillion depuis 1989, Steve Hogarth a aujourd’hui décidé de publier ses « carnets intimes » en deux volumes : la première partie (1991-1997) venant tout juste de sortir et la seconde (1998-2013) étant prévue pour la fin de l’année. C’est en août 1991, au lendemain d’un inoubliable séjour en Islande destiné au tournage de la magnifique vidéo de « Dry Land », que Steve confie à son père de nombreuses anecdotes sur sa vie d’artiste au sein du gang d’Aylesbury (et notamment sur son périlleux voyage en hélicoptère au dessus des volcans encerclant Reykjavik). Fasciné par la destinée de son fils, Ron Hogarth lui conseille alors de tenir au quotidien un journal de bord afin de coucher sur le papier les multiples aventures émaillant une carrière hors-normes. h (à cette époque encore surnommé « Hoggy » par de nombreux fans) se met, dès lors, à raconter son parcours musical et humain quasiment au quotidien, mêlant intelligemment les temps forts liés à son existence avec Marillion et de savoureuses anecdotes concernant sa vie de famille.
Sincère et passionné, il nous fait partager ses voyages aux quatre coins du monde (de Gdansk jusqu’à Québec, en passant par Stockholm et Buenos Aires) et ses rencontres fusionnelles avec des anonymes pour lesquels il représente le messie (je sais de quoi je parle) ! L’année 1993 est particulièrement riche avec l’enregistrement du colossal « Brave » dans le cadre bucolique du château Marouatte en France. Steve retranscrit à merveille la genèse de cet opus phare, enfanté par un groupe décidé à s’éloigner le plus possible du son jugé trop commercial de « Holidays In Eden« . Il narre les frasques de Mark Kelly (qui n’est pas surnommé « Mad Jack » pour rien) et l’atmosphère irréelle de cette bâtisse quasiment coupée du monde où les musiciens ont pris l’habitude, avec leur nouveau producteur Dave Meegan, de bosser en continu depuis onze heures du matin jusqu’à minuit, ne s’interrompant que pour prendre leurs repas (le titre éponyme a ainsi été ébauché tout au bout de la nuit, à la sortie d’un dîner fortement arrosé).
L’année 1994 est dédiée, pour sa part, à la gigantesque tournée promotionnelle de cet album majeur. Steve Hogarth décrit avec passion la plupart des dates de ce tour du monde (le combo se produit même au Japon, pour vous dire !) et narre, par le détail, des anecdotes qui feront le bonheur des aficionados du club des cinq (citons, à titre d’exemple, les chapitres dédiés aux deux shows d’anthologie donnés par la formation au Paradiso d’Amsterdam les 28 et 29 mars et les trois extraordinaires soirées à La Cigale de Paris, les 28, 29 et 30 avril).
Puis vient 1995 et « Afraid Of Sunlight« , disque accouché très rapidement à la demande expresse d’EMI mais qui contient quelques unes des plus belles pièces enfantées à ce jour par le combo (« Afraid Of Sunlight », « Out Of This World », « Beyond You », « King »). Steve entame les sessions d’enregistrement littéralement épuisé tant il s’est investi physiquement et psychologiquement lors de chacun des shows du « Brave Tour ». La tournée AOS débute le 19 juin à Rome, avec un accueil délirant de la part du public. La suite sera du même acabit avec, en particulier, des sets américains et canadiens d’anthologie dans le courant du mois d’août (Hogarth est fasciné par l’atmosphère régnant à Montréal et avoue avoir rarement connu pareille osmose entre le groupe et son public). Les concerts anglais et français auxquels votre serviteur a eu la chance d’assister au début de l’automne (Cambridge, Leeds, Paris et son formidable Zénith) sont à marquer d’une pierre blanche dans le carnet de bord qui nous intéresse.
1996 marque un tournant important pour Marillion et son charismatique vocaliste. Le groupe quitte en effet EMI, lassé par l’incurie de ses dirigeants (des fils à papas issus d’écoles de management de seconde zone y ont remplacé les vrais amoureux de musique) pour signer chez Castle Communication (choix qui s’est révélé catastrophique par la suite). Steve n’évoque pas cet épisode dans son « The Invisible Man Diaries 1991-1997 » mais il est essentiel d’en faire part.
Dans la foulée, le groupe sort un double live intitulé « Made Again » et donne, en guise de promotion, seulement quatre dates européennes auxquelles j’ai eu l’immense bonheur d’assister (Utrecht, Muziekcentrum – Cologne, E-Werk – Paris, La Cigale et Londres, The Forum). Que de souvenirs gravés à jamais dans ma mémoire….
Dans la foulée, chacun des musiciens du gang décide de prendre un peu de temps libre et, là où Steve Rothery s’illustre avec la plantureuse Hannah Stobart au sein des Wishing Tree, son alter ego Hogarth monte de toutes pièces le projet h band en compagnie d’excellents musiciens qui sont tout à la fois des amis et des idoles (citons, entre autres, Richard Barbieri aux claviers ou encore Dave Gregory à la guitare). L’opus « Ice Cream Genius » voit ainsi le jour en février 1997 et illustre à merveille la personnalité ambivalente et tourmentée de h. Petit regret : Steve ne nous dévoile rien sur la genèse de cette escapade en solitaire et se contente de décrire quelques uns des meilleurs concerts qui suivront (avec une mention spéciale pour la formidable prestation du combo au Divan Du Monde le 10 février 1997).
Peu après, Marillion met sur le marché l’excellent et éclectique « This Strange Engine » et s’engage dans une tournée sud-américaine que Steve nous narre dans le détail (on retiendra, entre autres, qu’il a failli s’électrocuter en prenant sa douche au Teatro Opera de Sao Paulo). Suivent des dates nord américaines financées en grande partie par les fans de la formation.
Plus largement, toute l’ambiguïté (et la difficulté) de la vie de Steve sont résumées dans son emploi du temps du vendredi 3 octobre 1997 : lever à 8h30 afin d’aider Sue à préparer leurs enfants Sofie et Nial pour l’école et adieux déchirants avant de partir sur Munich pour y donner un énième concert allemand le lendemain. Putain d’existence de dingue…
Concernant cette modeste chronique (dans laquelle j’ai occulté à escient de savoureuses anecdotes – dont la première rencontre entre Fish et un h totalement tétanisé – afin de vous laisser le plaisir de les découvrir quand vous tiendrez ce livre entre vos mains), je retiendrai trois moments phares, incroyablement chargés en émotion : la naissance sur le fil du rasoir de Nial le mercredi 23 octobre 1991 (Sue ne l’a pas réalisé mais son fils a vu le jour par miracle), le tournage du clip de « Sympathy » le 18 avril 1992 dans la banlieue de Mexico, lors duquel h a été révolté par la misère ambiante, et les déboires de notre chanteur favori (qui ont failli très mal tourner) avec la douane polonaise, le 18 novembre 1993, pour cause de passeport arrivé avant lui à Poznan (les militaires locaux ont, pour l’occasion, sorti le grand jeu pour le terroriser). Quelle bande de cons….
In fine, cette succession d’anecdotes passionnantes vaut largement le détour et on attend avec une impatience décuplée sa suite à la toute fin de l’année.
Photo : Christophe Demagny (Lyon 2013)