Steven Wilson – The Future Bites
Caroline
2021
Fred Natuzzi
Steven Wilson – The Future Bites
La volonté de Steven Wilson en solo a toujours été de ne pas se répéter d’un album à l’autre afin d’éviter l’ennui et de se challenger en permanence. Chaque album solo est différent et va donc toucher la corde sensible de chacun suivant ses goûts. Même si les fans le savent, ils ne peuvent s’empêcher de critiquer le résultat car ce n’est pas ce qu’ils attendent. Et oui, Steven Wilson vient de la famille du rock progressif et lorsque l’on s’en éloigne, l’on crie à la trahison et à la faute de goût ultra prononcée que seule l’écoute en boucle des pires albums de prog brésiliens pourra absoudre. C’est oublier que Wilson ne vient pas de là à l’origine, il n’y a qu’à écouter les premiers No-Man ou Porcupine Tree qui se rapprochaient plus de l’électro et du psychédélisme que du rock progressif, même celui de l’époque de ces sorties à la fin des années 80, début 90. C’est sans doute le son planant du bonhomme qui l’a rapproché d’une certaine école Pink Floyd, voire Ozric Tentacles et qui l’a « classé » progressif, chose que Wilson a toujours rejeté… sauf quand cela l’arrangeait, mais ça c’est une autre histoire. Le seul album réellement progressif pourrait être The Raven That Refused To Sing, les autres touchant à d’autres registres plus éclectiques. Le précédent, To The Bone, était d’ailleurs beaucoup plus pop que… tous les autres efforts du bonhomme. Pour ce nouvel opus, The Future Bites, dont la sortie avait été repoussée pour cause de Covid, il s’est attiré les foudres des fans de feu Porcupine Tree et d’autres joyeusetés progressives, beaucoup plus encore que pour To The Bone, c’est dire ! Il n’empêche, ses concerts sont toujours bien remplis… Et pourquoi ce déchainement de « haine » sur les réseaux sociaux ? Tout simplement parce que The Future Bites est un album électro, court (40 minutes) et que les morceaux sortis progressivement sur le net les ont déçus, sans bien sûr les écouter dans un ensemble qu’on appelle « album ». On a le droit de ne pas aimer, de ne pas accrocher, mais l’insulte est facile, la vulgarité aussi.
The Future Bites est effectivement un ensemble assez difficile à digérer pour celui qui aura des attentes par rapport aux précédents opus. Pour l’auditeur ouvert, il sera intéressant et le vecteur utilisé, l’électro, est raccord avec le thème abordé, la consommation de masse virant à l’obsession. Wilson ose prendre le contrepied et c’est un choix que peu d’artistes s’offrent de nos jours. Sa liberté à lui, c’est cela, pouvoir aller où il le souhaite musicalement, qu’on le suive ou pas. Ceci établi, que dire de cet album. Il a été construit puis remodelé pendant la covid et aurait pu ne pas ressembler à ce résultat final. La pandémie a permis à Wilson de composer d’autres chansons qui font partie maintenant d’une édition deluxe. Le morceau final a été retiré car Wilson a réalisé qu’il terminait toujours ses albums de la même manière… Il reste donc neuf titres au son relativement inédit et qui se tiennent plutôt bien. On pense à Hand Cannot Erase sur « Man Of The People », un titre apaisé et mélodieux, plaisant et qui se détache du lot, peut-être parce qu’il est plus classique, qu’il appartient un peu plus à son auteur. « 12 Things I Forgot » lui aussi est de cette catégorie-là, c’est un peu le « Permanating » de cet album, pop, efficace, et lumineux. « King Ghost » ne s’éloigne pas trop de l’univers « récent » de Wilson, pourtant le titre va plus loin et délivre une atmosphère à la fois aérienne et inquiétante. Wilson chante comme jamais dans les aigus et c’est très surprenant. « Follower » est le titre rock de l’ensemble, bizarrement la mélodie me rappelle « Video Game » de Sufjan Stevens tandis que son solo de guitare aurait pu figurer dans un Bowie avant que le reste de la chanson ne sonne assez 80’s. Une curiosité.
Parlons maintenant des choses plus fâcheuses dans ce disque. « Unself » qui ouvre l’album cotonneusement est une réussite (une version longue existe dans l’édition collector), par contre « Self » qui le suit surprend par l’apparition de chanteuses que l’on retrouvera plus tard dans d’autres morceaux. On ne sait sur quel pied danser et le titre est peu convaincant. Le clip, proposé en dessous de cette chronique, est plus intéressant ! « Eminent Sleaze » possède une belle basse ronde mais l’instrumentation m’interroge. Et que dire de ce plagiat de « Have A Cigar » des Pink Floyd ? On retrouve nos chanteuses, je ne les aime vraiment pas… Et sur « Personal Shopper » encore moins ! Cette plage de quasiment dix minutes est pourtant intéressante avec son atmosphère oppressante et le falsetto de Wilson est travaillé. Mais la tendance disco pop avec les chanteuses tue le morceau. Heureusement, l’apparition d’Elton John au milieu de celui-ci, en guise de respiration, est très inattendu et rattrape l’intérêt du titre. « Count Of Unease » qui clôt l’album prend son temps, développe une atmosphère un peu éloignée de l’ensemble quand même, et l’on se demande si l’on n’aurait pas préféré qu’il finisse à la manière des précédents albums. Pas désagréable, mais presque hors sujet.
Steven Wilson, avec The Future Bites, avait une belle ambition, il l’a d’ailleurs illustrée brillamment sur son site web, les objets collectors qu’il vendait, certains véritables, d’autres fakes et les clips accompagnant les morceaux. Musicalement, c’est malheureusement inabouti et il reste un sentiment de déception pour cet artiste. Rien que l’écoute des six morceaux inédits de l’édition deluxe fait regretter que The Future Bites ne tienne pas ses promesses.
« Musicalement, c’est malheureusement inabouti » … voilà, tout est résumé ici, foin des polémiques sur prog ou pas prog.
Certains titres de cet album sont très faibles, d’autres sont excellents, et il est amusant de noter que d’une chronique à l’autre, ce ne sont pas forcément les mêmes que chacun range dans une catégorie ou l’autre.
Pour ma part, j’accorde crédit à Personal Shopper et Follower, ainsi qu’au single très pop mais bien réussi proposé par 12 Thiings I Forgot.
En revanche, le duo Unself/Self qui ouvre l’album m’interpelle. Quant à Eminent Sleaze, c’est tout bonnement insupportable.
Finalement, on peut dire que Steven Wilson a réussi son coup quoi qu’il advienne : faire parler de lui (en bien et en mal) … et vendre ses albums !