Other Lives – Volume V
[PIAS]
2025
Fred Natuzzi
Other Lives – Volume V

Other Lives fait partie de ces groupes qui ont su réinventer la folk, comme Bon Iver, Fleet Foxes, Lord Huron ou Mumford And Sons, mais avec un truc en plus : un souffle hors du commun dans des pièces qui rivalisent de beauté. Cependant, leur précédent opus, For Their Love, m’avait paru moins riche et intense que les autres. En effet, je n’y avais pas retrouvé un certain élan épique dans les arrangements de cet album, et c’est vraiment en écoutant morceau par morceau que j’ai pu déceler leurs subtilités. Les Américains façonnent et peaufinent longuement leurs joyaux pour offrir la quintessence de leur musique. Quatre ans séparent For Their Love de ce Volume V, un titre un peu feignasse pour ce groupe si créatif. Il ne faut donc pas se fier à cet intitulé et se jeter dans leur musique, les oreilles bien ouvertes. Dès les premières secondes, on retrouve ce fameux son si spécifique à leur production : cinématographique, ample, avec des arrangements à couper le souffle. Volume V est court : trente et une minutes seulement, mais chacune a un but, une portée qui touche l’âme et qui renvoie For Their Love à ce que finalement je pressentais : un album mineur. Ici, on touche au sublime. De l’acabit d’un Tamer Animals, c’est dire la qualité de l’opus ! Celui-ci a été enregistré dans une église désaffectée en Oklahoma, la folk orchestrale du groupe est une nouvelle fois une cathédrale de son au milieu de notre chaos ambiant. Pourtant, Jesse Tabish, le leader de la formation, dit avoir simplifié sa musique. Et en effet, même si les compositions sont toujours sophistiquées, il ressort une approche plus directe, moins « noyée » sous des arrangements à multiples couches, comme pouvait l’être Rituals. Un son repensé, qui ne perd aucunement sa force. Volume V est une bulle hors du temps, quasi mystique. Cela tombe bien, le premier morceau s’appelle « Mystic » !

Première baffe, des cordes enchantées, une clarinette virevoltante et un état de grâce qu’adorerait obtenir plus souvent un Father John Misty ! Cette envolée très propice à la rêverie nous propulse très haut, accompagnée par la voix traînante et familière de Jesse Tabish. « Versailles » nous emporte dans un tourbillon d’émotions que l’on ne comprend pas toujours. Lévitation et lâcher-prise musical assurés. Cette manière quasi miraculeuse de construire des chansons et de nous cueillir à chaque note est unique. Brillant. Amplitude americana sur « What’s It Gonna Take », on est en plein film (peut-être un reliquat de l’album solo de Jesse Tabish, Cowboy Ballads Part 1 ?), porté par les chœurs célestes de Kim Tabish et une trompette majestueuse. « Heading West » lui répond, un instrumental à cordes évocatrices et aux chœurs angéliques. Un petit côté Ennio Morricone finit de lui conférer un aspect western singulier. « One For The Kids », éthéré et solennel, aurait pu être trop emphatique. Il n’en est rien et là encore, le titre est touchant, à la fois joyeux et mélancolique. Dépourvu de ses riches arrangements, un Sufjan Stevens aurait pu s’y attarder. Le jeu des cordes et du piano dans « Show Us Some Love » est réjouissant dans ce morceau plus dynamique et accrocheur avec une mélodie magnifique et simple. Du grand art. Autre instrumental, « Outro » et sa petite minute n’oublie pas la grandeur des arrangements de ce disque et enchaîne sur « Cisa Cisa », au tempo étonnamment rapide qui tranche avec les atmosphères des autres titres. « Read My Mind » calme le jeu et retrouve une ampleur émotionnelle fabuleuse. Quelle beauté, quelle puissance ! « The Wake » clôture ce recueil avec un titre plus classique dans le folk, une sorte d’ode à la liberté.

Volume V est un album essentiel à la discographie de Other Lives. Il revient à ce que ce groupe a de plus singulier : une folk orchestrale à tendance cinématographique, ample et aérienne. Il semble que Jesse Tabish souhaite moins espacer les sorties d’album, il aurait 250 chansons sous le coude à travailler. Le sixième et le septième opus seraient déjà dans les starting blocks. Espérons que Other Lives garde ce cap et continue à nous procurer de la beauté contemplative à cette échelle-ci.
