Maquerelle – Betty
Auto production
2018
Frédéric Gerchambeau
Maquerelle – Betty
Il n’y a pas encore si longtemps, c’était en mai, j’avais déjà évoqué Maquerelle à l’occasion de la sortie d’Ubu, un album co-réalisé par lui-même et Andréa Spartà. De cet opus, j’avais écrit « Ubu est un album plutôt respectueux et structuré de la part de deux explorateurs du son radical. Un peu comme si expérimenter sans limite n’était pour eux vraiment intéressant que dans un cadre grandiose, mais déjà chaotique à la base. En fait, et assez étonnamment, cela donne un album aux rythmiques assez militaires et d’une allure très vieille France, quelque chose comme une sorte de Versailles grotesque. Aucune critique négative là-dedans. Au contraire, cela fonctionne parfaitement, ce qui confère à cet Ubu un cachet très particulier, pour ne pas dire unique. Cet album est une expérience à la fois musicale, théâtrale, textuelle et émotionnelle, entre noise déjanté et classicisme, éclats bruitistes et fulgurances poétiques, et tout ceci est très réussi ! »
Toujours à l’occasion de la sortie d’Ubu, j’avais posé quelques questions aux deux musiciens, et voici trois des réponses obtenues de Maquerelle. « Je suis un jeune homme (ou vieux garçon, tout dépend) de 22 ans qui occupe sa vie à gérer ce qu’on appelle un « One-Man Band ». Avec Andréa, on se connaît depuis le collège. On a un peu découvert la musique ensemble, dans des petits groupes. Le genre de groupe de heavy metal de collège/lycée. Ensuite on a fait le conservatoire il y a quelques années, et nous voilà désormais ici. » « Je suis essentiellement à la guitare et à la voix ainsi qu’aux samplers et rythmiques. Je n’utilise pas d’amplis sur scène, je forge mon son uniquement sur des préamplis, pédales d’effets et EQ. Je m’inspire aussi bien des sonorités graves à la Godflesh ou Blut Aus Nord, que des guitares poisseuses des débuts de Killing Joke et Swans. Pour ce qui est des influences plus expérimentales, il y a bien évidemment toute la vague indus 75/81, mais aussi des trucs plus classiques comme le jazz fusion, le vieux prog ou le krautrock. » « Je suis en plein dans la création d’un prochain album solo depuis la fin du mixage et mastering d’Ubu qui m’a aidé à améliorer mes techniques de production. »
Ceci vous donne quelque peu le contexte sonique de Betty, un album cette fois entièrement composé par Maquerelle, qui se définit lui-même ainsi : Le projet « Maquerelle » est un one-man band fondé en 2014 dans le but de mélanger black métal, krautrock, musique industrielle et textes français. Mélanger black metal et musique industrielle est a priori déjà ambitieux, quoique assez courant, ces deux mondes étant par essence sombres et bruyants. Mélanger krautrock et textes français est plus étrange, voire étonnant, le krautrock étant par définition allemand même si le terme est anglais. Mais pourquoi pas après tout, Kraftwerk, Tangerine Dream et Klaus Schulze étant de grands amoureux de la France, ils auraient très bien pu le faire eux-mêmes si ce concept avait croisé leur esprit. Quant à mélanger black métal, krautrock, musique industrielle et textes français, tout ceci en même temps, on peut se dire que là, Maquerelle en veut trop. Eh bien non, définitivement non.
Dans son Betty, Maquerelle fait la démonstration de son immense talent. Certes, on ne doutait guère de son savoir-faire depuis la parution d’Ubu. Mais là, mes amis, quelle claque ! Et en plus ce musicien n’a que 22 ans. Allez, peut-être 23 ans à présent, cela ne change rien. Mais quelle maturité dans la réalisation de ce Betty ! Tout y est supra-maîtrisé de A à Z alors que tout y est d’abord ultra-dégagé de toute limite et de toute contrainte. Ce gars invente son style personnel et unique à chaque seconde, le met en sons et sur pistes digitales avec une cohérence et une précision de dingue à chaque instant et se permet en plus de sortir son album avec un luxe graphique digne des plus grands, le tout sans rien révéler de sa personne, en parfait serviteur de son art épuré de tout ego. Moi je dis chapeau bas et bravo !
Comme il le dit lui-même de Betty, inspiré par un personnage du même nom créé par le chanteur et compositeur Nick Drake dans sa célèbre chanson « River Man », l’album est structuré en trois longues pistes, un format propice aux explorations et donc, peut-être, d’un accès un tantinet difficile. Que ceci ne vous effraie pas et ne vous fasse pas reculer. Le talent de Maquerelle est là, intense, immense, et dans tout son éclat !
https://maquerelle.bandcamp.com/