Lunear – Curve. Axis. Symmetry.
Auto Production
2020
Christophe Gigon
Lunear – Curve. Axis. Symmetry.
Il y deux ans, le premier album de ce trio français, Lunear, avait été présenté sur Clair & Obscur par votre serviteur. Un petit coup d’œil sur le compte rendu de l’époque suffira à vous replonger dans le contexte de la genèse de Many Miles Away. La recette proposée sur leur essai inaugural demeure inchangée : il s’agit de pop classieuse, mâtinée de rock progressif. Pour faire simple, on évoquera Marillion (période Hogarth), Gazpacho ou Pineapple Thief. Il s’agit de rock mélodique avant tout, de compositions ayant pour ambition de creuser un profond sillon dans la tête des auditeurs, une fois le vinyle rangé dans sa pochette. Si l’illustration de couverture pourrait faire penser aux albums de Porcupine Tree (Deadwing, 2005), reconnaissons que le propos reste tout de même plus doux, plus apaisé, plus « pop », quoi. On sent l’envie qui anime la formation : rester simple et accessible, tenter le crossover entre Marillion et Coldplay, Muse et Anathema. Le pari est risqué tant les amateurs de rock progressif crient au loup à chaque échappée hors des sentiers escarpés de leurs idoles. Souvenons-nous de la réception pour le moins glaciale qui avait accueilli, en son temps, les pourtant sublimes Nomzamo (1987) de IQ ou Holidays In Eden (1991) de Marillion. Même si Lunear n’atteint jamais la perfection des groupes cités, reconnaissons qu’ils sont plutôt bons dans ce qu’ils font. Ils ont le sens de la mélodie, des ambiances et des arrangements même si l’influence de Steven Wilson reste indéniable.
Curve. Axis. Symmetry se présente comme un concept album. Rien que ça ! Dès le second disque, l’équipe se risque à l’étalon par lequel toute formation progressive qui se respecte doit se mesurer. Le pitch est simple : l’histoire d’un être qui ne peut pas mourir. Ce qui est d’abord vu comme une bénédiction peut vite muer en malédiction, surtout si tout le reste disparaît. Tous les textes de l’album auraient été écrits en quatre heures selon Sébastien Bournier, auteur et batteur de la formation (un percussionniste auteur de science-fiction, ça ne vous rappelle rien ?). Si The Wall (Pink Floyd), Brave (Marillion) ou Operation Mindcrime (Queensrÿche) représentent des ambitions accomplies quand il s’agit de maîtriser le propos narratif étendu à tout un album, parfois le prétexte reste ténu et seule la volonté de montrer que l’on peut subsiste. Avec Curve. Axis. Symmetry., on peut affirmer que l’objectif est atteint même si les paroles ne seront sans doute jamais analysées en classes de philosophie de troisième cycle. L’histoire se tient et se voit développée tout au long du disque après avoir été préalablement scindée en deux entités : « Before The Fall » et « After The Fall ».
Le claviériste-chanteur tire son épingle du jeu grâce à un organe vocal très agréable mais peu affirmé. N’est pas Fish (Marillion) ou Pyt (Galaad) qui veut. On pensera plutôt à ces voix maîtrisées mais mesurées, un peu interchangeables, qui permettent à des claviéristes de s’exprimer, comme l’a fait souvent Tony Banks de Genesis avec l’aide de vocalistes de session. Les parties de guitare, irréprochables, manquent peut-être un peu de style propre pour sortir du lot. Il est vrai que dans ce milieu-là, la concurrence est rude et que pour briser le plafond de verre, il faut vraiment avoir développé une patte reconnaissable entre mille. Ce qu’ont réussi des icônes comme David Gilmour (Pink Floyd), Mark Knopfler (Dire Straits), Steve Hackett (Genesis) ou Andy Latimer (Camel). Cela dit, les arrangements sont subtils et certaines idées mélodiques font mouche (les harmoniques sur le superbe titre « Nothing Left To Do », la progression d’accords parfaite sur « Adrift » ou encore le final de « Forever »). Néanmoins, il faudrait que Lunear prenne encore davantage confiance en lui et cesse de se mesurer à papa (Porcupine Tree) et maman (Marillion) pour montrer ce dont il est capable car il en a forcément sous le coude. Et sous le coude se cache peut-être l’audace, l’aventure et, par-dessus tout, l’huile dont on allume les mèches créatives. La suite au troisième album ?