Live report Festival Jazz’n’Klezmer, 23ème édition, du 8 au 23 novembre 2025

Live report Festival Jazz’n’Klezmer, 23ème édition, du 8 au 23 novembre 2025
Lucas Biela

Live report Festival Jazz’n’Klezmer, 23ème édition, du 8 au 23 novembre 2025

Live report Festival Jazz’n’Klezmer

Le festival Jazz’n’Klezmer est né à l’aube du vingt-et-unième siècle de la volonté de donner un tremplin aux artistes qui immergent le folklore juif dans des milieux comme le jazz, le rock ou les musiques du monde. Sa fondatrice, Laurence Haziza, travaille d’arrache-pied pour en proposer chaque année une programmation à la fois éclectique et toujours plus ouverte sur la province. Cette série d’événements était en effet initialement localisée sur la région parisienne, mais permet désormais d’en goûter l’essence ailleurs en France. Après le jeune festival Sacré Sound, la curiosité m’a tout naturellement poussé à ouvrir les portes de cet autre festival de l’organisatrice mélomane. Les aléas des emplois du temps m’ont cependant obligé à sélectionner quelques concerts parmi ceux nombreux programmés sur la quinzaine du 8 au 23 novembre. Ce choix permet néanmoins d’avoir une idée de l’esprit que souhaite insuffler ce festival. Ainsi, dans un monde à la fois féérique et poétique, Lucien Zerrad, Mohanad Aljaramani et Gabrielle Weisbuch abattent les frontières entre tradition et modernité. Les fidèles du festival, AutorYno font trembler les murs au son de leur rock instrumental puissant et tortueux. Enfin, Frank London fait résonner les échos à la fois troublés et solaires de sa trompette magique avec un quatuor dynamique. A eux seuls, ces trois événements vous donnent une idée de la diversité proposée et de la qualité des prestations.

Lucien Zerrad, Mohanad Aljaramani et Gabrielle Weisbuch à l’Espace Rachi le 8 novembre 2025

Live report Festival Jazz’n’Klezmer Band 1

Le 8 novembre est présenté à l’Espace Rachi la première d’une création s’appuyant sur une œuvre de l’écrivain libanais Khalil Gibran. Perchée sur son cube tel le chat de Cheshire sur sa branche, Gabrielle Weisbuch suit attentivement le récit que Mohanad Aljaramani conte sur les notes chaleureuses de la guitare de Lucien Zerrad. Il s’agit en effet de ne pas perturber l’attention du public dans cet instant où nous est présentée l’histoire du « Fou ». C’est seulement une fois le dialogue noué entre les instruments de ses compères, qu’avec la souplesse d’un serpent, notre acrobate se déplace autour de l’armature de son habitat ouvert sur le monde. Elle esquisse alors des figures sinueuses et gracieuses qui apparaissent alors comme une extension des arabesques de l’oud. Et ce dernier instrument n’hésite pas à faire montre de sa vigueur, tranchant ainsi avec la douceur de la guitare. Celle-ci, quand elle n’est pas plongée dans ses rêves, échange des vibrations galopantes avec son amie. C’est alors une symbiose qui se met en place et nous voilà partis dans une belle leçon de camaraderie. Et l’entente va jusqu’à apparier deux ouds, qui se réconfortent dans les moments difficiles tout comme ils profitent des instants de bonheur. Autour des accents chauds de la voix, se relaient en effet doutes et fierté. La complicité entre nos deux instrumentistes ne s’érode pas au cours du spectacle. Ainsi, tel le jour se levant dans la rosée du matin, c’est une aubade qui nous émerveille quand les notes arrivent lentement mais avec des échos glaçants qui inciteraient à la prudence. Notre chorégraphe se tortille alors sur scène comme si elle cherchait l’issue qui lui apporterait une tranquillité d’esprit. Et justement, elle retrouve la paix en son for intérieur en se lovant dans son cerceau. La guitare et l’oud embrassent alors une mélodie nostalgique à la sensibilité à fleur de peau. Ailleurs, c’est également l’énergie qui anime nos artistes. Avec vigueur, l’oud peut accompagner une voix portant aussi bien les cicatrices du passé que les pansements du futur. C’est ainsi un motif élaboré que l’instrument brode avec sa compagne la guitare. Dans l’histoire de « fous » qui nous est présentée, ce moment expérimental où les voix se confondent a de quoi surprendre. Sur fond d’électro et de chants polyphoniques, qui nous ramèneraient presque à l’avant-gardisme du duo suisse Yello, diversité des expressions et faux-semblants se suivent à travers un défilé de masques. On voit alors la danseuse tenter de chasser les démons qui tournent autour d’elle dans le fracas de bendirs et de tambourins. Plus tard, dans une danse aux gestes amples, la recherche de la délivrance porte ses fruits quand le visage de la belle se trouve à découvert. Le vol des masques l’avait en effet conduite à se précipiter dans la rue en pleurs pour être alors traitée de folle, avant qu’elle ne finisse par apprécier le contact du soleil sur la peau de son visage. Dansant autour d’elle-même dans un bain de voix inquiètes et endolories, de nappes électro/ambient et d’ouds affolés, ne dira-t-elle pas « Dans ma folie, j’ai retrouvé ma liberté et ma foi ». Les masques sont tombés : ce larcin l’a finalement délivrée, et ses sentiments peuvent être mis à nu. Autour de textes poétiques, d’une scénographie tout autant féerique que troublante, de moments de tendresse, d’énergie, ainsi que d’un mélange de tradition et de modernité, le trio de Gabrielle Weisbuch, Mohanad Aljaramani et Lucien Zerrad a badigeonné nos façades d’une « folie » libératrice.

AutorYno au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme le 13 novembre 2025

Live report Festival Jazz’n’Klezmer Band 2

« Ça dépote » me confie Laurence Haziza après le concert d’AutorYno. En effet, que de rythmes endiablés et de guitares virevoltantes dans le rock klezmer de ce trio ! Mais le canevas est bien plus large, comme vous pourrez le lire plus loin. En définitive, entre les histoires d’anges de John Zorn et des compositions personnelles, Autoryno donnent autant le vertige qu’ils fascinent. Ainsi, bien que la confusion règne chez l’ange nommé « Carcas » (non, ce n’est pas Jeff Walker !), c’est néanmoins une musique assez posée qui s’établit autour de tourbillonnements ondulés. Avec cet autre ange, « Adoyahel », alors que la prudence est de mise, c’est bien la confusion cette fois-ci qui règne dans l’esprit de David Konopnicki (il le confiera lui-même). Le guitariste cherche sa voie et crie son désespoir dans un brouillard troublant. Les arabesques ornementales le sortent néanmoins de la torpeur. Quand la brume se dissipe, les notes restent sur leurs gardes. Le tableau qui s’offre à nous présente de beaux effets d’écho et de distorsion. Ceux-ci suggèrent une terreur convoquant à la fois des images du « Cri » d’Edvard Munch et du « Cauchemar » de Johann Heinrich Füssli. Entre les notes vaporeuses, celles qui se distillent lentement tel l’alcool dans un alambic, d’autres qui courent affolées, les appels à l’aide ou encore les effets de pédale pour créer des ambiances hostiles, c’est toute la versatilité du leader qui nous est livrée sur un même plateau. Et ses deux compères adaptent leur jeu, entre questionnement et assurance. D’un côté on coud à tout-va un tissu épais, de l’autre on prend le temps de broder des motifs complexes sur de la dentelle fine. Et c’est ce qui fait le sel du trio : des lignes qui bougent tout le long de la grande échelle des émotions. Quand l’invité Guillaume « Guiton » Grosso rejoint le trio au saxophone, c’est à nouveau une terre de contrastes qui est foulée. Ainsi, le pas lourd d’un pachyderme bien repu est traversé d’une brise printanière légère. Autour de belles embardées lumineuses de la guitare, la pièce s’oriente cependant vers un dub éthéré et spatial. Et cette excursion correspond à un autre élément qui retient notre attention. L’horizon dub est à nouveau atteint après une navigation conquérante sur des eaux présentant des reflets éblouissants. Le saxophone prend alors des accents plus rêches, pour s’aventurer dans des espaces mélancoliques de toute beauté. De leur côté, les rythmiciens Cyril Grimaud et Bertrand Delorme aiment se prêter à un dialogue attachant où se relaient tendresse et questionnement. Ces deux-là nous touchent également quand, entre la solennité et les mouvements libres de Guiton, les pas du premier esquissent une valse tout en sautant au-dessus des cordes du second, comme un boxeur dans le cadre de son entraînement. Mais qu’une explosion de polyrythmies affecte les cordes, comme chez cet ange agité, « Saelel », et c’est une autre histoire qui nous est narrée. Autour des notes effarées de David, c’est alors un bouillonnement cathartique, porté par des rythmes angoissés, qui grouille dans des morceaux qui ne peuvent plus cacher leur excitation. Cette fureur finit néanmoins par être canalisée par les arabesques enivrantes. Et les vapeurs, quant à elles, floutent les images, tout en apportant réconfort là où les distorsions effrayent. Le volcan inquiète ainsi autant qu’il captive. Je vous parlais plus haut des échappées en terre dub, mais il ne faut pas oublier le funk quand notre trio, alors un quatuor, visite « Bratislava ». Un passage dans la musique chère à James Brown est alors marqué par un tour d’horizon des influences de Guiton. Depuis le hard bop d’Horace Silver jusqu’au space rock d’Hawkwind, sans oublier les souffles alarmés de John Zorn, c’est une belle rétrospective d’une partie de l’histoire du saxophone qui est passée en revue. Ainsi, entre chien et loup, et autour d’un répertoire assez éclectique mêlant patrimoine juif, rock épileptique, et black music, AutorYno parviennent à susciter de nombreuses émotions chez le public.

Frank London à l’Espace Rachi le 15 novembre 2025

Live report Festival Jazz’n’Klezmer Band 3

Avec le trompettiste américain Frank London, sous des auspices mêlés, c’est à un véritable concentré d’énergie et de sensibilité que nous sommes invités. D’emblée, nous voilà secoués par des rythmes nonchalants. Autour d’un piano qui vogue sur des mers aux reflets éblouissants et d’une trompette qui se pare des couleurs d’été, les vacillements nonchalants aux doux échos afro-cubains convoquent des images de polars des années 60. L’enthousiasme s’emballe et ne décroche pas du dialogue enlevé entre les rythmes en technicolor et les airs en noir et blanc. Quand le maestro laisse le champ libre à ses compères pour s’exprimer, c’est la fougue qui les emporte. Quelle énergie dans leurs improvisations ! Au piano virevoltant répondent les boucles étourdissantes de la contrebasse et les résonances vigoureuses des fûts et cymbales. Les interventions troublées de Frank viennent néanmoins freiner les ardeurs quand elles ne déploient pas des trésors d’inventivité où liberté et humour s’entremêlent. En revanche, là où la sauce prend et le point d’ébullition est atteint, voit-on aussi notre chef relever le goût avec un peu de piment. Quand l’âme triomphe de la chair (« Spirit Stronger Than Blood »), c’est une série de tableaux aux clairs-obscurs saisissants qui défile. Piano sombre, trompette réflective aux échos effarés, et mesures en pleine déroute donnent froid dans le dos. Mais l’ambiance se réchauffe quand Frank brosse des notes soyeuses sur un canevas plus étoffé. Sous les doigts de Julian Caetano, les airs finissent par s’envoler tels des papillons, tandis que la cadence portée par Zacharie Abraham et Philippe Maniez gagne en assurance. Entre force et fragilité, l’émotion se dégage alors des longues notes captivantes du membre des Klezmatics. Par ailleurs, sur le thème de la résistance, comment résister justement à la mélodie qui diffuse lentement son parfum après quelques notes lugubres que Frank qualifie de « love music ». Et quand le quatuor appelle de tous ses vœux à la paix, c’est une brise automnale qui met sens dessus dessous le ciel couvert. Mais que le soleil brille à travers les rythmes pétillants et l’instrument cuivré se retrouve excité comme une puce. On est alors loin des aspérités touchantes qu’il déployait pour fracturer la mélodie et qui nous amènent à la suite de notre parcours. Sensibilité et tendresse sont en effet indissociables de l’univers du trompettiste. Ainsi, sur le seul morceau de la soirée dont il n’est pas l’auteur, Frank livre ses tourments à travers des mélodies qui s’évanouissent dans des échos glaçants. L’entourage semble alors affecté et dans un tourbillon de notes, les compères clament leur douleur avec énergie. Ailleurs, autour d’une rythmique qui avance à pas feutrés, les pièces faisant référence à Salomé joignent la délicatesse du regretté Kenny Wheeler au chatoiement de feu Chick Corea. Enfin, balais caressant les fûts, cordes de contrebasse et clavier effleurés, trompette douce et soyeuse mais avec un petit côté malicieux, tout contribue à faire de la ballade « Poem For A Blue Voice » un rêve éveillé. Avec énergie, tendresse et contrastes, la performance de Frank London et de son quatuor a su envoûter un public attentif.

Tout comme sa petite sœur Sacré Sound, le Festival Jazz’n’Klezmer, le seul de ce type en France, mêle éclectisme, passion et tolérance à travers des compositions sans frontières et des prestations de qualité. Déjà la 23ème édition, ce festival mérite un vrai coup de pouce, aussi bien de la part des amateurs de klezmer que de ceux qui cultivent un esprit curieux.

https://jazznklezmer.fr/

 https://www.facebook.com/FestivalJazzNKlezmer

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