Kalevi Uibo – Prophétie Imaginaire
Auto-Production
2022
Jéré Mignon
Kalevi Uibo – Prophétie Imaginaire
Et si on se permettait d’ouvrir les portes de l’imaginaire ? Ce geste d’huiler une serrure fictive, de pousser un battant métaphorique, de rester en suspension à l’orée de cette ouverture géographique, architecturale et symbolique… Possible ? Et qu’est-ce qu’on y trouvera, d’ailleurs ? Le vide ? Son inverse ?
« L’imagination trouve plus de réalité à ce qui se cache qu’à ce qui se montre. »
Passée cette digression de Gaston Bachelard, Kalevi Uibo, guitariste (entre autres) et musicien protéiforme (surtout), recherche le caché dans la lumière, l’abri dans l’obscurité, le conceptuel dans la descente. Le temps est une arme, peut-être même le plus grand complot à la vue de tous. La restriction, concept dont nous sommes maintenant coutumier et soumis, n’est cependant pas une fatalité. Place au mental, au mouvement, à l’expérimentation, au questionnement de la réalité qui nous entoure. Je retrouve dans la démarche de Kalevi les effluves de son défunt (et plus extrême projet) Chaos Echoes (dont j’ai SOUVENT loué les qualités) : le saut dans l’inconnu, le principe de création, artistique et mental, le dialogue par strates entre la chimère, l’illusion et la folie. Prophétie Imaginaire est, au départ, un live enregistré lors des nuits de la Pleine Lune organisées (et coproduit) par les Dominicains de Haute Alsace (https://www.les-dominicains.com/), retravaillé ensuite pour une écoute physique.
Ce qui frappe et touche, c’est le cheminement clair et limpide, la dilution alchimique des éléments qui mutent en une matière qui va finir par recouvrir, mur, toile ou espace. Et Kalevi d’y créer une fresque tachiste et impressionniste entre Van Gogh, Jodorowski et Monet. Après tout, imaginer c’est hausser le réel d’un ton… Des notes hypnotiques et délayées de kannel (instrument estonien pas si éloigné du dulcimer persan) à ce métissage de guitares, synthés, drones, voix et instruments divers, Prophétie Imaginaire propose dès lors une cartographie spatiale comme aimait le faire un certain Klaus Schulze… En soi, une image. Et que fait une image ? Elle ouvre un monde, un monde changeant. Car l’univers que crée Kalevi est mouvant, nomade, jamais figé mais en pleine évolution. Par instants plus sombre, minimaliste ou lumineux, l’expérience requiert attention, certes, mais aussi ce lâcher-prise, parfois intimidant, souvent nécessaire. Ressentir la montée, l’immersion au niveau cellulaire et de s’y laisser dissoudre dans un grand bain de mots, lettres, syntaxes poétiques et picturales. Car Kalevi manie la poésie des sons, l’assemblage, la concordance, le rythme, les couleurs, les rimes et les aplats. Prophétie Imaginaire prend la forme d’une bibliothèque d’art fictive. Le paradis, à n’en pas douter, est une immense bibliothèque disait un certain philosophe…
Ce sont ces ouvrages dont on tourne les pages en passant sa langue sur le pouce, avide, tels ces passages entre titres, se liant et se répondant dans un montage quasi cinématographique jouant des silences et détails instables.
La poésie apparaît, dès lors, comme un espace de liberté…