Happiness Project – Big Cities
BOREDOMproduct
2018
Happiness Project – Big Cities
J’avais déjà, en 2015, vanté les qualités particulières, mais très réelles, d’Happiness Project, un groupe électropop du cœur du Limousin mêlant deux voix : celle d’un garçon, Fred, et celle d’une fille, Christelle. C’était à propos de leur premier album, 9th Heaven, sorti en 2012 sur le plus qu’excellent label marseillais BOREDOMproduct. J’écrivais alors : « Ce projet d’être heureux d’Happiness Projet est plus que jamais actuel, essentiel. C’est pourtant la mélancolie que chante ce groupe. Et même une certaine forme de bonheur au travers de la mélancolie, malgré toute la noirceur de cette mélancolie. Car être heureux, vraiment heureux, à temps complet, ne peut rester qu’un projet dans ce monde où le bonheur est de plus en plus difficile à atteindre, et même à concevoir. » 9th Heaven débutait par « Desillusion », un titre pétri d’une mélancolie sinueuse et vénéneuse qui nous envoûte sur un fond de séquences impératives et de rythmiques redoutablement efficaces.
Suivait un « Heights » encore meilleur, où la voix de Christelle, voltigeant au-dessus de celle de Fred, se mêle parfois aux sonorités acides d’un vocodeur. J’avoue cependant que c’est « Poupée Mécanique », le sixième titre de l’album, qui m’a le plus envoûté. La mélodie sur lit de mellotron vous hantera longtemps. Elle me hante encore, doux ressac d’un refrain solidement charpenté aux saveurs douces-amères. 9th Heaven se terminait avec « Balloons And Zeppelins », Cyrille, le troisième comparse, à la basse, clôturant en beauté cet album en forme de chronique rétro futuriste consacrée à l’impact des technologies sur la condition humaine, superbe morceau, probablement le meilleur de l’album. Ce 9th Heaven d’Happiness Project était donc une sacrée bonne nouvelle, confirmant sans déni possible que la synthpop peut encore surprendre et raconter quelque chose de nouveau pour peu qu’on se retrousse les manches et qu’on y mette les formes.
Après 6 années de silence, Happiness Project est de retour un nouvel album au format EP intitulé Big Cities constitué de cinq titres inédits et d’un remix. Big Cities est une étape intermédiaire vers leur nouvel album Mutation composé de dix morceaux à paraître cet automne. Aidé à la production par JB Lacassagne de Dekad, Happiness Project effectue sa mutation vers un son plus solide et plus électronique sous l’égide permanente et si experte de Member U-0176 de Celluloide, Laurent Cristofol restant le maître à la console lors du mixage final. Autant dire qu’avec ce trio de super héros du beau son épaulant notre passionnant trio limousin de l’électropop élégante, la qualité musicale maximale est au rendez-vous. De toute façon, il n’y a pas de secret, car comme l’affirmaient déjà les généraux romains, « Amat Victoria Curam », littéralement la victoire aime qu’on en prenne soin, Entendez par là que la réussite n’arrive jamais par hasard, elle se prépare. Cependant, le groupe reste fidèle à son style si spécifique qui fait tout son sel et son originalité, La basse caractéristique est donc toujours bien présente, de même que leur unique mélange d’harmonies vocales masculines et féminines. Big Cities se présente ainsi comme un avant-goût franchement consistant du prochain album Mutation et le témoignage d’une période actuelle extrêmement productive pour le trio, ce qui est vraiment une excellente nouvelle pour la synthpop à la française. De fait, sans forcément présager dans le détail de ce que sera Mutation, des surprises restant évidemment possibles, Big Cities constitue une nouvelle preuve de l’art consommé du label BOREDOMproduct de transformer ce qui ne pourrait être qu’un banal EP de quelques titres en un véritable mini-album dense, riche et plein de méandres, de pépites et de subtilités.
Big Cities débute directement par le titre éponyme, enfin par une première version de ce titre, celle-ci étant plus soft, pour le dire ainsi, que le remix « Bigger Cities » à la fois plus ample et plus charnu. Quand je disais plus soft, c’est quand même très relatif, car le titre est foncièrement rock dans son essence. Le beat carré, pressé et obstiné de la grosse caisse est là, pas loin de la basse au son saturé de Cyrille. C’est du rock dans des habits synthétiques, et le mélange fait tout à fait mouche, d’autant plus qu’il est parfait dans sa forme et dans sa réalisation. C’est par ailleurs un titre dichotomique, où les couplets sont dominés par la voix grave et profonde de Frédéric et les refrains illuminés par le timbre vocal haut-perché de Christelle. Mais les deux chantent le spleen des grandes villes, la déshumanisation à bas bruit, le retour à des villes plus petites et plus respectueuses de l’homme. Le « Darkside Baby Doll » qui suit est également d’inspiration rock, mais c’est plus diffus, plus élaboré. Même les paroles sont plus raffinées, plus ancrées dans un imaginaire éthéré, comme si nous suivions en musique une séquence d’un film irréel centré sur une femme inconnue et sacralisée.
Suit encore un titre qu’on jugerait tout droit sorti d’un album de Dead Can Dance tellement son atmosphère est proche des chansons de la grande époque de ce groupe, et tellement aussi la voix de Fred est proche, d’une manière saisissante même, de celle de Brendan Perry. Cela va jusqu’au thème et à l’écriture des paroles, qui font vraiment penser à la manière de faire du groupe où s’est illustrée l’extraordinaire Lisa Gerrard, Et pourtant « Our Wish For More » est bien un titre pur jus d’Happiness Project, ce qui démontre encore s’il en était besoin le très haut degré d’excellence de ce trio. Suit encore « Mutation », qui est certainement le titre le plus emblématique de ce mini-album et qui sera, ceci confirmant cela, le nom du futur album dix titres d’Happiness Project. Là, pour le coup, on nage dans l’électronique pure, totalement assumée et mieux, transcendée, avec une intro au vocoder d’anthologie, tout le reste étant de la même très belle eau. Absolument superbe ! Le cinquième et dernier titre original est « Tell Me », une chanson à nouveau d’inspiration rock dédiée à la voix de Christelle, qui me fait ici immanquablement penser à celle de Cristina Corti, chanteuse d’un groupe italien que j’adore, Electrogenic. Il en est de même, en fait, concernant le style savamment saccadé du titre. Tout ceci se termine donc par un « Bigger Cities » qui nous ramène, comme dans un cycle, au « Big Cities » du départ. Mais que de styles et d’atmosphères traversés ! Vraiment, je le dis comme je le pense, ce nouvel EP d’Happiness Project, Big Cities, est un grand et magnifique album tel qu’en lui-même. Cela promet un Mutation étourdissant !
Frédéric Gerchambeau