Gleb Kolyadin – Mobula

Mobula
Gleb Kolyadin
Kscope
2025
Thierry Folcher

Gleb Kolyadin – Mobula

Gleb Kolyadin Mobula

Pourquoi j’aime bien Mobula de Gleb Kolyadin ? Je n’en sais fichtre rien. Quelquefois, les choses ne demandent pas d’explications, c’est comme ça et ça reste personnel. Ce que je peux dire, c’est que je ne rechigne pas à passer du temps avec les séquences répétitives du jeune pianiste venu de Russie. Les pistes sont peut-être à rechercher du côté de la Berliner Schule des années 70 et de leurs longues divagations qui ont façonné les cerveaux de toute une génération d’affamés d’électroniques naissantes (j’en faisais partie). Les interminables épopées planantes agrémentées ici et là de boucles séquentielles ne m’ont jamais fait peur et m’ont toujours fait frissonner. Mais attention, faut pas se tromper, la musique de Mobula n’est pas à ranger dans la même catégorie que les œuvres de Klaus Schulze ou de Tangerine Dream. La filiation se situe uniquement dans la volonté de faire pénétrer avec force un mantra musical bien obsédant. À moins que ce ne soit du côté des impros jazz, que j’affectionne aussi, qu’il faille aller chercher les bons arguments. Honnêtement, je me suis fait violence pour trouver toutes ces raisons, mais ce ne fut pas simple, car les habituelles justifications d’une accroche ne sont pas flagrantes ici. Je veux juste rajouter que plus vous passerez de temps avec ce disque, plus il deviendra important à vos yeux (ou plutôt, à vos oreilles).

Avant de continuer, il faut que vous sachiez que Mobula sera la dernière livraison de Gleb pour Kscope. Ceci explique peut-être cela. Mobula, un disque au rabais ? Possible, mais quelquefois les surprises sont là où on ne les attend pas. Gleb Kolyadin est la moitié de Iamthemorning, groupe néoclassique qu’il partage avec la chanteuse Marjana Semkina. Une formation étonnante qui a su briser la tradition prog anglo-saxonne pour imposer sa propre vision slave du monde progressif. Une approche un tantinet rétro qui n’a pas forcément plu à tout le monde, mais qui a su rallier un public curieux autour d’elle. Ce même public qui risque d’être, comme moi, très attentif à l’écoute des quatorze séquences instrumentales de Mobula. Des morceaux relativement courts, mais qui se fondent sans problème dans un ensemble homogène bien construit. Par rapport à son premier album éponyme, je remarque que Gleb a mis de côté l’aspect un peu démonstratif de sa pratique instrumentale. Pour ce disque de fin de cycle, j’ai le sentiment qu’il est passé à autre chose et qu’il n’attend pas qu’on lui dise qu’il est un as du piano. Et c’est très bien ainsi. Les compositions, pourtant alambiquées, visent un tout autre objectif, celui de rendre la musique addictive au fil des écoutes. D’entrée, « Parallax » pose les bases d’un travail bien fait où le piano, la basse (Zoltan Renaldi), les percussions (Evan Carson) et la guitare électrique (Vlad Avy) seront les artisans d’une première réussite. Un petit coup de violoncelle (Ilya Izmaylov) et le tour est joué, nous voici avec un excellent début. Les sceptiques diront qu’au bout de ces quatre petites minutes, il y avait encore des choses à dire. Ce n’est pas faux et je reconnais que la fin du morceau est un peu brutale.

Gleb Kolyadin Mobula Band 1

On le sait désormais, Mobula est fabriqué à partir de matériels anciens – les fameux poloniumcubes que Gleb empile inlassablement à la manière d’un journal intime –, des fragments de compositions retravaillés pour l’occasion et profitant ici d’une excellente production. Les claviers sont bien sûr en première ligne et ne manquent pas de variations, autant dans le jeu que dans le son. Avec « Afterglow », « Glimmer » ou « Observer » ce sont des sonorités piano très classiques qui déroulent allègrement leurs gammes, alors que les synthés de « Parallax », « Transient » ou « Fractured » nous offrent des boucles beaucoup plus aventureuses. L’alternance entre musiques acoustique et électronique est un fait acquis et sera l’une des particularités de cet album aux ambiances très changeantes. À l’image du low whistle sur « Radiant » et de la bombarde sur « Shimmer » (Ford Collier) qui sont de belles trouvailles celtes inaugurant peut-être l’installation de Gleb sur les terres britanniques. Après une première partie de vie passée dans son pays natal, cette présence sous d’autres cieux est sans doute une expérience qui va impacter sa musique et pourquoi pas celle des futurs albums d’Iamthemorning. Sur Mobula, le nom des titres est court, mais donne à chaque fois une indication très précise sur la nature de la musique. « Tempest » parle de lui-même et les courtes minutes passées en sa compagnie évoquent des rafales de pluie et de vent. De son côté, « Nebular » déploiera le balancement cher à Erik Satie pour envelopper de brume un joli moment de flottaison. La fin est particulièrement réussie avec tout d’abord « Starfall » et sa cascade de piano ambiant bien ornementée par l’E-Bow de Vlad Avy. Puis c’est au tour de « Gaia » de terminer de façon méditative ce drôle de voyage au pays de l’étrange et du rêve.

Gleb Kolyadin Mobula Band 2

Il y a de grandes chances pour que Mobula ne fasse pas l’unanimité. Les formats courts, presque inachevés, sont la plupart du temps sources de frilosité, voire de rejet. Je pense aussi aux fans de Gleb ou de Iamthemorning qui risquent de ne pas retrouver ici les habituelles envolées progressives, riches en épopées ébouriffantes. C’est autre chose, un petit pas de côté qui ne manque pas de charme et qui ne livrera son potentiel qu’au prix d’écoutes répétées. Dans son ensemble, Gleb s’est dit très satisfait de son travail et des émotions qu’il dégage. Je suis assez d’accord, car le terrible passage du temps plaide en sa faveur. C’est une musique que j’aime retrouver et qui ne semble pas devoir me lasser. Pour finir, je dirais que la meilleure porte d’entrée pour cet album est peut-être celle du clip de « Glimmer » réalisé par Natalia Ryss (voir ci-dessous). Une vidéo de toute beauté, fabriquée à l’ancienne et qui devrait pousser les curieux à aller plus loin dans l’univers fantasmagorique de Mobula.

https://glebkolyadin.bandcamp.com/album/mobula

 

 

 

 

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.