Déluge – Ægo Templo
Metal Blade Records
2020
Jéré Mignon
Déluge – Ægo Templo
Comme pour leur premier effort, c’est d’abord la pochette qui attire l’œil, qui fait qu’inconsciemment on se livre à une analyse, décryptant des symboles, agençant des images quadripolaires et cherchant à percer un mystère. Une invitation à l’énigme avant même d’écouter les premiers sons… Les lorrains de Déluge aiment les allégories, c’est un fait. Leurs particularités et leurs significations donnent à leurs compositions et arrangements un ensemble cohérent. Autant de petits détails qu’on décide, ou pas, de scruter. Déluge, déjà, c’était le pied/bouche moldave dès sa première sortie, Æther. Un album cathartique, un bloc de pierre humide où la violence la plus crue du black-metal se mélangeait à une ambiance plus mélancolique proche du post-hardcore avec ce fil conducteur, l’eau, sous forme de sons de pluie faisant le lien entre les morceaux. Et quoi de plus émotionnel que cet élément vecteur de sentiments, à nouveau symbolique et poétique ? Mais si on revient sur la pochette de Ægo Templo, on remarque le soleil, la lune, la Terre, un astre, le salut à trois doigts, une colonne corinthienne brisée et l’instrument maritime du sextant permettant de mesurer les distances. Les dessins en eux-mêmes rappellent tout un pan de la symbolique maritime, notamment dans les tatouages old-school et/ou du tarot. On parle donc de voyage, de quête initiatique vers cet « inconnu », recherche, confrontation face aux doutes, déceptions et rancœurs mais aussi la découverte et l’hypothétique reconstruction de soi… L’entrée dans le temple de l’ego (psychologique comme physique) telle une véritable odyssée. Et Ægo Templo en a tous les ingrédients. Il prend son temps avec son introduction de field-recordings d’écume s’écrasant sur un rivage métaphorique, il fait monter doucement la sauce avec l’apparition d’un chant clair avant le déferlement rythmique de rigueur.
La violence, ça, Déluge connaît, au point que chaque embardée frénétique en devient cryptique. Ægo Templo, c‘est se plonger dans une carte maritime à la recherche de son chemin, d’une île hypothétique. c’est une confrontation face une tempête pour en ressortir victorieux. Ça laisse des blessures, marques, interrogations sans réponses, instants d’attentions entre deux saillies de violence brute. À ceci près que ce nouvel effort apparaît comme plus structuré, libre et aéré. Plus propice à l’audace aussi. « Opprobre » laisse un saxo free (fou) envahir l’espace, la voix fantomatique de Hélène Muesser joue un contrepoids habile sur trois titres quand ce n’est pas le vocaliste Tetsuya Fukagawa des japonais de Envy qui pose sa voix en spoken-word dans une apnée prolongée sur un passage très screamo/post-rock tout en montée sensitive sur « Gloire Au Silence ». Mais malgré tous ses invités, Ægo Templo respire la solitude, cette PUTAIN de solitude. Celle où on s’attarde, en plein jour, celle où on tourne la tête pendant sa vaisselle croyant qu’une personne nous parle, qu’on semble ressentir une présence à moins que ce soit un simple délirium… Ægo Templo parle à notre moi qu’on aime bien trop dissimuler. Une Ghost Story… Il en devient même plus accessible… Bizarre hein ?
Prenant un atour plus théâtral par ailleurs, comme plus groovy, les minutes s’enchaînent sans relâchement. Le voyage prime, ses échouages et pertes, ses découvertes et peut-être… quelque-part une forme de délivrance (sans métaphore religieuse quelconque mords-mes-fesses). De ces introductions à rallonge, ses embardées saillantes, son brouillage de pistes constant, entre facilité d’accès et audaces (pas si éloignées d’un Cult Of Luna ou d’un Amenra), Ægo Templo fait mouche et revient nous hanter maintes fois durant l’apéritif ou à l’instant clope à la fenêtre. Une qualité certaine après les cinq ans où le groupe a écumé les scènes pour ensuite composer et parfaire cet album (durant le premier confinement).
Construire sa propre cartographie dans ce maelstrom qu’est Ægo Templo, c’est bel et bien un voyage…
https://wearedeluge.bandcamp.com/