Envy – The Fallen Crimson
Pelagic Records
2020
Jéré Mignon
Envy – The Fallen Crimson
Si je décide maintenant de pianoter quelques mots sur mon clavier à propos du groupe japonais Envy, ce n’est pas vraiment pour suivre une quelconque actualité de sortie mais parce que l’écoute, distraite à la base, de The Fallen Crimson a réveillé en moi des sentiments que je pensais enfouis avec le temps. Fer de lance et groupe culte pour qui s’intéresse à la scène post-hardcore, screamo et émo (jamais compris ces termes comme je n’ai jamais eu envie de creuser le style…), Envy fait partie de ces groupes qui ont emmené leurs auditeurs aux territoires de l’imaginaire. Plus de vingt-cinq ans de carrière au compteur, entre remise en question et possible cessation d’activité, les japonais reviennent avec un nouvel album. Et si je cochais dans le petit agenda dans ma tête un moment d’écoute, je n’aurais jamais pensé que The Fallen Crimson me fasse ressurgir émotions aussi prégnantes et addictives, rappelant un passé aussi révolu que son actualisation plus ou moins fictive. Envy, c’est une sorte d’apogée du post-hardcore, celui qui sait allier et croiser fureur et émotion, calme, douceur et colère en un seul mouvement sur des titres efficaces et aux multiples embranchements.
Le groupe a connu un hiatus entre 2015 (après la sortie de Atheist’s Cornea) et 2020 au grand désarroi de certains et à l’indifférence polie pour d’autres. C’est que le Japon c’est le terre des mangas, jeux-vidéos et films barrés. C’est loin, malgré internet. La différence culturelle parle d’elle-même. Autant se rendre se rendre à la Japan Expo et autres défilés de Cosplay. Ha ha… Pourtant, Envy ce n’est pas ça… Des premières écoutes où je sortais de l’adolescence jusqu’à aujourd’hui, ce groupe m’a accompagné, que ce soit lors de mes promenades nocturnes, casque sur les oreilles, que dans les rémanences de sentiments peut-être pas assez juvéniles ou trop adultes. Et ce dernier effort, après remaniement de line-up, de me conforter avec surprise. Oui, le groupe se montre toujours aussi incisif et frontal dans ces parties hardcore, hargneuses, se permettant même des blast-beats paradoxalement aussi aériens que massifs qu’il est capable de tisser des entrelacs mélodiques proches d’un Mogwai, qui n’aurait pas oublier, au passage, sa hargne. Tout est affaire de tension, de lâcher prise, de contenu et pour tout dire, de ressenti personnel.
Loin d’un Godspeed You ! Black Emperor qui peut se complaire dans un pathos bio-équitable, Envy n’oublie jamais cette rage primaire des sentiments, reptilienne, celle qui ne cherche pas à expliquer ou à trouver une résonance politique ou psychanalytique mais simplement à lâcher un cri de détresse, d’inquiétude comme d’espoir. L’infini tristesse avec la colère étendue, la contradiction comme seul point d’accroche et de se laisser bercer par cette mélancolie, cette claustration qui arrive à trouver son point d’acmé dans une sorte d’acharnement de constructions de rythmes, complaintes et textures au milieu d’immeubles en construction. Car oui, Envy respire l’environnement urbain, ces concentrations exagérées d’habitants comme ces ressacs de non-lieu ou de boulevards sans vie où la solitude devient seule compagne au milieu d’un cliché photographique obsédant et vaguement esthétique. Et bizarrement, je me retrouve à la même place que les géniteurs de ce projet. L’impression d’avoir grandi et mûri en même temps qu’eux (comme une partie de leur public) outre la barrière culturelle et du langage. Étrange affection d’entendre du chant, ou hurlement, japonais et de se sentir en même temps aussi proche de ces acteurs. D’autant plus étonnant que j’arrive à peine à écouter leurs précédents albums. Impossible… L’âge peut-être… La question serait peut-être là. Pourquoi cet album ? Pourquoi The Fallen Crimson ? L’âge peut-être… Mais cet album fait mouche. Sorte de condensé de la carrière des tokyoïtes sur presque trois décennies, il regorge d’instants forts, de son introduction implacable (« Statement Of Freedom »), de ces mélodies immersives (« Swaying Leaves And Scattering Breath »), de ces accès de brutalité ou de ce titre au chant féminin (« Rhythm ») de toute beauté apparaissant aussi délicatement que de manière abrupte dans la configuration de l’album. Il y plane une fraîcheur autant que le poids du passé.
Évidemment que la force de The Fallen Crimson est de savoir jouer de cet héritage, de ne jamais s’embourber dans une stase misérabiliste et d’aller de l’avant outre les obstacles donnant du sel à l’affaire. Alors que dorénavant le groupe évolue avec trois guitares offrant d’avantage de textures, de caractères et d’atmosphères à ces nouveaux titres, il me rend difficile la simple entente des précédents albums (sérieusement c’est dur…). Envy, l’entité, cette bulle de souvenirs, revient d’autant plus fort à mon esprit. Entre désillusions passées ou actuelles, prises de bec vénères et moments d’accalmie réparatrices, Envy m’a autant fait replonger dans des strates de mémoires perturbantes qu’il m’a laissé sur une route vierge prête à être foulée. Et c’est là toute la force de ce dialogue de sourds qui n’en est pas un. The Fallen Crimson interroge le vécu comme le présent. D’un côté je suis infoutu de me replonger dans les précédents efforts du groupe (par peur ?) que ce nouvel album me donne cette envie incontrôlable d’en décortiquer chaque aspect (par plaisir ?). Envy a tout d’une dichotomie et c’est peut-être pas pour rien que je me décide à pianoter sur mon clavier maintenant…
https://envy.bandcamp.com/music