City Of Exiles – Sleeper Hunter (+ Interview)

Sleeper Hunter
City Of Exiles
Abattoir Blues / Nocturama
2024
Fred Natuzzi

City Of Exiles – Sleeper Hunter

City Of Exiles Sleeper Hunter

Chose promise, chose due, City Of Exiles sort (déjà) un troisième opus. Après la fabuleuse réussite Dead In Hollywood l’année dernière, on pouvait se demander si le groupe, qui avait déjà poussé les curseurs très haut dans la qualité, pouvait au moins réitérer l’exploit. En vrai, ce genre de considération n’a pas lieu d’être. Ce qui guide City Of Exiles, c’est la liberté. Un écrin dans lequel ces musiciens se glissent et laissent aller leur inspiration, en se souvenant d’où ils viennent et ce qu’ils veulent créer. Ils ne le font pas en dilettante, mais avec la plus grande attention. Chaque morceau est travaillé avec finesse, tissé avec les fils noirs d’un rock où peu se risquent, car chaque glissade peut être fatale. Ce sont des chercheurs, de ceux qui fouillent pour découvrir une paille d’or. Et paille après paille, montrer au monde la pépite. Comme un symbole. Le rock n’est pas mort, il suffit de chercher. Un appel à tous les « Sleeper Hunter » de la musique. En onze pailles d’or, City Of Exiles nous invite à partager leurs découvertes et à se regrouper autour de celles-ci, comme une communauté unie autour de ce geste ancien, mais tellement signifiant aujourd’hui : partager avec les autres un certain genre de musique, cette pépite qui devient de plus en plus rare.

Sur chaque album, des amis de la formation sont invités à tamiser et affiner les trouvailles. Pour Sleeper Hunter, en plus du noyau dur constitué de Guillaume Lebouis (chant, guitares), Matthieu Forest (guitares, claviers, chœurs), Mathieu Pigné (batteries) et David Fontaine (claviers), sont invités Darko à la basse et Fabien Senay à la guitare, tous deux d’Animal Triste, Louise D aux chœurs et Raphaël Campana à la guitare et au chant sur deux titres. Sur Dead In Hollywoord, Peter Hayes (de Black Rebel Motorcycle Club) s’était chargé de produire le disque, ici c’est Brett Orrison qui prête ses talents. Un gars au CV impressionnant puisqu’il collabore avec Alex Maas, Jack White ou encore The Black Angels ! Chez City Of Exiles, on sait s’entourer ! L’artwork si coloré de Dead In Hollywood laisse la place pour Sleeper Hunter à un détail d’une photo d’Arman Méliès, en noir et blanc : une église fantomatique dans un ciel gris et menaçant.

City Of Exiles Sleeper Hunter band 1

Et justement, « The Days Of Youth » ouvre l’album avec une atmosphère triste comme un jour gris au ciel lourd et pesant. Le texte d’Emily Brontë résonne comme celui d’un groupe de death, perdu dans une mélancolie folkeuse à grand renfort d’églises brûlées. Les voix de Guillaume et de Louise s’unissent dans une mélancolie profonde qui rendrait Nick Cave fier. Magistral. « Two Faced Woman », c’est une urgence zébrée de guitares incandescentes sur batterie tronçonneuse dézinguant tout comme dans une scène musicale d’un Lynch sous coke. « Dearie » est à la base un texte du poète américain E.E. Cummings. Il est conduit sur une triple voie / voix, vers une beauté reposante et aérienne. Les voix de Guillaume et Raphaël se complètent merveilleusement avant l’arrivée de celle de Louise qui fait tourbillonner le tout, avec un final porté par les percus, dans un ciel cowboy tissé d’étoiles filantes. City Of Exiles aime les reprises. Après Marilyn et Madonna, c’est Leonard Cohen et « Innermost Door ». La chanson s’inscrit parfaitement dans l’univers du groupe, lévitation instantanée, instant figé, esprit errant dans les guitares post rock aériennes, en contraste avec les percussions qui retiennent la chanson au sol. Un entre-deux où l’on erre avec bonheur. C’est la batterie qui guide « Eleven Light Love ». Un titre qui se développe dans une intensité orageuse du plus bel effet. Place à la ballade « Dandelion », plus apaisée, servie encore par les envolées vocales de Louise. Le texte d’Emily Dickinson resplendit dans un écrin à la fois libéré et solennel, résolument tourné vers la clarté.

C’est avec une énergie punk que « Divine » prend son envol, la voix de Guillaume cherche les recoins les plus Joy Division de son organe vocal tandis que les esprits d’Iggy Pop et The Birthday Party planent au-dessus. Surprenant. « Sullen Girl » retrouve une narration douce sous fond de guitares et de claviers évocateurs. « Dying Is Ecstasy » propose une chanson plus classique, avec un son de claviers qui apporte une autre texture, quasi pop, à City Of Exiles. Étonnant. Pour « Lonely Road », c’est crépusculaire, comme si Johnny Cash rencontrait Leonard Cohen. Une guitare qui gronde ses riffs, une batterie qui marque l’urgence, une envolée post de guitares, une voix caverneuse sur une autre aérienne et cette fin laissant exsangue. Pour finir en beauté, « Night Fields » dans une atmosphère qui aurait pu convenir à Animal Triste, exhorte à ne pas être timide la nuit venue. Une psalmodie mélodique résumant à elle toute seule la philosophie du rock.

City Of Exiles Sleeper Hunter Band 3

Sleeper Hunter constitue une troisième tentative d’exhumation des restes du rock sur la place publique. Chacun en fera ce qu’il voudra, mais si vous êtes là, parmi nous, c’est parce que vous-mêmes vous êtes un chercheur de ces trésors. Assurément, les trouvailles offertes ici vous combleront et iront titiller chez vous l’envie de continuer à fouiller et à donner à entendre à vos oreilles la musique qui vous parle, qui vous guide. Sleeper Hunter est un de ces trésors.

https://cityofexiles.bandcamp.com/

Interview de Guillaume Lebouis

Il est temps de poser quelques questions à Guillaume Lebouis, chanteur et initiateur du groupe City Of Exiles, pour nous éclairer sur ce troisième effort.

Frédéric Natuzzi: Comment as-tu abordé les compositions pour cet album ? De la même façon que pour Dead In Hollywood?

Guillaume Lebouis: Pour Sleeper Hunter, j’ai eu envie de proposer au groupe des titres aux structures abouties et aux textes déjà écrits. A la fois dans un souci d’efficacité car nous avions moins de jours de studio que pour Dead In Hollywood, et nous ne pouvions pas nous permettre de partir de l’arrangement pour construire les chansons, mais aussi parce que j’étais en pleine période de réécoute de l’œuvre de Dylan et que j’aspirais à pouvoir interpréter les morceaux seul sur scène avec une guitare. C’était un peu le fantasme du baladin folk. Avec Bob Dylan on part de très très haut et le voir sur scène récemment a été une grande leçon, une expérience unique et j’ai d’ailleurs trouvé son groupe de scène fantastique. Si je veux être honnête, je pense qu’en proposant les meilleurs morceaux possibles avant d’entrer en studio, je souhaitais surtout que les nouveaux titres intéressent et plaisent à mes amis musiciens pour qu’ils me suivent et m’accompagnent une nouvelle fois sur ce disque.

Pour Dead In Hollywood, tu avais une inspiration cinématographique. Pour Sleeper Hunter, elle semble plus issue de la littérature. Tu as utilisé trois textes de poètes pour « The Days Of Youth », « Dandelion » et « Dearie » (Bronté, Dickinson et Cummings). Pourquoi ces textes en particulier ?

Les mélodies de ces trois chansons ont été écrites de façon spontanée à la façon d’un jeu. Pour renouveler mon écriture, je me suis fixé une sorte de challenge qui consistait à ouvrir une page d’un livre de poésie au hasard afin de coller une mélodie sur le premier texte qui se présentait à mes yeux. Quand on lit ces textes à voix haute on s’aperçoit qu’ils sonnent naturellement et ne demandent qu’à être chantés. Bien sûr, j’aime ces trois auteurs sinon, je n’aurais pas eu certains de leurs livres dans ma bibliothèque. Je dois ajouter que pour « Dearie », mon ami Raphaël Campana (aka Sheraf) a largement contribué à l’arrangement final.

Que représente Brett Orrison  pour le groupe ? A-t-il été facile de le convaincre ? Quel œil a-t-il eu sur l’album ?

Après l’aventure Peter Hayes qui a mixé DIH, on souhaitait prolonger notre rêve américain. On a sollicité plusieurs producteurs comme Mark Lawson (Arcade Fire, Timber Timbre) ou David James Goodwin qui a bossé avec You Said Strange, un super groupe Normand. Grâce à la qualité des prises de David Fontaine, l’ensemble des producteurs que nous avons contacté jusque-là ont toujours répondu favorablement à nos sollicitations. C’est finalement Mathieu Pigné, notre batteur, qui a eu l’idée de chercher « le mec derrière le premier album solo de Alex Maas ». J’ai fait quelques recherches et je suis rapidement venu à échanger par mail avec Brett Orrison, le fameux mec derrière l’album Luca. En plus d’être talentueux, Brett est quelqu’un de très charmant. Naïvement, je ne connaissais rien de sa carrière. Heureusement car son portrait sur Discogs a de quoi donner le vertige. J’adore ce qu’il a fait sur Sleeper Hunter. Il a réussi à trouver le truc très vite, notamment sur les voix, je trouve qu’il magnifie la voix de Louise D qui a fait de superbes chœurs. C’est la magie de la musique, on écoute tranquillement chez soi l’album merveilleux de Alex Maas, et quelques mois plus tard on confie ses propres chansons à l’homme qui a produit les sons qui nous ont émerveillés.

Parle-moi de ces claviers qui apportent un autre son à l’univers de City Of Exiles.

La plupart des sons de claviers de l’album proviennent d’un Arp Omni mk 1, un synthétiseur des années 70 qui possède des sons de basse exceptionnels. On le retrouve dans les premiers albums de Prince mais surtout chez Joy Division et le Bowie de la fin des années 70. C’est Matthieu Forest qui maîtrise le mieux cet engin au sein du groupe. On a passé les premiers jours de la session à trouver les parties de claviers et à sélectionner les sons. J’adore cet instrument et j’adore encore plus la manière qu’a Matthieu de le dompter. D’autres sons qui donnent quelques couleurs supplémentaires proviennent directement des démos que j’ai confectionnées sur Garage Band, ou de rajouts faits par David Fontaine en post prod.

City Of Exiles Sleeper Hunter band 2

Pourquoi cette pochette grise qui contraste avec celle très colorée de Dead In Hollywood ?

La photographie de l’église est l’œuvre de Arman Méliès qui a eu la gentillesse de nous l’offrir. Arman a posté cette photo sur les réseaux sociaux il y a quelques mois et je l’ai tout de suite adorée. Je trouve que cela colle très bien à la musique qui a un côté plus austère mais aussi plus lumineux que sur Dead In Hollywood qui était plus dense et plus torturé. Sleeper Hunter est notre album « janséniste ».

Après Marylin et Madonna, c’est un texte de Leonard Cohen (« Innermost Door ») que tu reprends ! Pourquoi cette chanson-là particulièrement ?

« Innermost Door » fait partie des chansons écrites de manière spontanée. J’ai ouvert un livre de poésie de Leonard Cohen, pensant qu’il s’agissait d’un recueil de textes inédits et j’ai composé la chanson en quelques minutes. Ce n’est que quelques mois plus tard que j’ai découvert que le texte avait été utilisé à l’origine pour une chanson co-écrite avec Anja Thomas. Heureusement que je n’avais jamais écouté l’originale qui est une sorte de mélodie jazz pour ascenseur. Je préfère notre « Innermost Door » qui a toute sa place dans l’album, et c’est une chanson que je chante souvent avec mon fils de quatre ans.

« Divine » a une énergie assez punk ! Ce courant fait-il partie de ton langage rock ? Comment est né ce morceau ?

« Divine » est née un jour de grand agacement. Je l’ai d’abord enregistré avec ma guitare De Armond. La démo était très bancale mais elle a plu au reste du groupe qui a insisté pour l’enregistrer. Il est possible qu’on ait dû garder la voix de la démo pour le titre final, mais je suis incapable de m’en rappeler. Sur la version finale, les guitares de Fabien Senay donnent tout le mordant au morceau. D’ailleurs, c’est un peu le cas pour l’ensemble de l’album. Sleeper Hunter est un peu le disque « guitares du désert », « riffs abrasifs » et « poignées mandolines » de Fabien, aka « Monsieur beau son ».

Je pense que mes titres préférés sur cet album sont « Two-Faced Woman » et « Lonely Road ». J’adore l’urgence du premier et le développement du second. Comment ces morceaux ont-ils été construits ?

« Two Faced Woman » reprend en grande partie la démo confectionnée sur Garage band. En studio, on s’est beaucoup amusé sur ce morceau. J’ai guidé Fabien Senay sur les parties de guitare car j’étais incapable de les reproduire. La rythmique est assurée par Mathieu Pigné à la batterie et David Faisques à la basse qui ont fait un boulot incroyable. Je revois encore le grand sourire de David quand il a posé sa ligne de basse sur ce titre. Pour « Lonely Road », l’idée de l’accélération de tempo vient de Mathieu Pigné, ce qui donne tout l’intérêt du morceau qui se développe lentement. C’est le premier titre que nous avons enregistré pour l’album.

Dans le dossier de presse, il y a cette citation de Didier Balducci : « Le rock ‘n’ roll est mort mais son cadavre encombre le monde ». Tu es d’accord avec cela ?

Plus qu’une citation, c’est le titre d’un livre que Didier Balducci a sorti l’année dernière. Didier Balducci est l’un des musiciens des Dum Dum Boys, mais il est aussi écrivain et éditeur. C’est une sorte de stakhanoviste « à l’horizontale » du mediator et de la plume, qui passe beaucoup de temps et d’énergie à donner l’illusion qu’il ne fait rien de ses journées. Or c’est un hyperactif qui en plus de ses écrits et de sa musique s’occupe de Mono-tone, son label-maison d’édition. Je l’ai découvert grâce à mes amis Marc Roumagne et Alain Feydri de l’association Some Produkt de Périgueux qui propose une des seule programmation rock digne de ce nom en France. J’ai un profond respect pour tous ces gens. Pour en revenir à la « mort du rock », bien sûr qu’il existe encore des groupes formidables comme Animal Triste, Idles ou les Bobby Lees, mais ils ont extrêmement de mal à exister, car le rock est devenu depuis plusieurs décennies maintenant une musique de niche, au public grisonnant et dégarni qui garde pour l’essentiel les yeux tournés vers le rétroviseur. Et tout ce qui est a été fait pour le réanimer – comme les classes « CHAM », les SMAC, les ateliers des studios des variétés – n’a fait que le précipiter d’autant plus dans la tombe. Les choses sont ainsi et Didier Balducci le développe très bien dans son livre. A mon petit niveau, je peux juste confirmer que sortir des albums aujourd’hui est une gageure, presque un non-sens, car cela n’intéresse que très peu de monde et surtout pas les médias nationaux qui n’ont plus de place pour les chroniques musicales en général et encore moins pour le rock. Avec COE, cela nous oblige à faire les meilleurs albums possibles, avec de bons titres, de belles pochettes et de bons producteurs. Un objet qui sera peut-être recherché par les diggers dans 20 ans – les sleeper hunters du rock – qui autrefois s’intéressaient à la musique et écoutaient les disques mais qui dorénavant les disposent dans des cadres ou dans des vitrines en espérant que leurs côtes explosent, dans l’espoir de pouvoir spéculer sur Discogs ou E-bay.

Où peut-on se procurer Sleeper Hunter ? Sous quelle forme ? Penses-tu pouvoir faire des lives ?

Sleeper Hunter est disponible sur toutes les plateformes numériques. Il existe aussi en vinyle (avec CD inclus) ultra limité à 100 exemplaires pour la modique somme de 20 euros, soit le 1/3 du prix d’une réédition d’un album de Neil Young ou de Rihanna. On peut le commander sur notre bandcamp ou l’acheter chez un disquaire comme La Démothèque à Périgueux, Les Volcans à Clermont-Ferrand, The Rev’ à Tulle ou Atmosphère Music au Havre. On fera quelques concerts à l’automne en trio avec Matthieu Forest et Sébastien Miel. On jouera notamment le jeudi 28 novembre à Meymac avec notre ami Arman Méliès. Cela nous permettra de présenter les titres de notre quatrième album qui sortira en 2025 et qui est presque terminé.

Propos recueillis par Fred Natuzzi (Avril 2024)

 

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