City Of Exiles – Dead In Hollywood (+ Interview)

Dead In Hollywood
City Of Exiles
Abattoir Blues / Nocturama
2023
Fred Natuzzi

City Of Exiles – Dead In Hollywood

City Of Exiles Dead In Hollywood

Retour de nos exilés préférés après un premier album très réussi il y a deux ans. City Of Exiles continue son exploration des genres musicaux avec Dead In Hollywood, avec la particularité d’aller fouiner aussi bien dans de sombres recoins dangereux que dans la clarté et l’ouverture des espaces sonores. Cela donne un album labyrinthe dans lequel on s’engouffre sans jamais savoir ce qui se cache derrière ses mouvements sinueux. Un peu comme dans un film de David Lynch, le mystère est palpable, hypnotique, ensorcelant. Les neuf titres qui composent l’album sont fascinants et toujours dans une recherche musicale étonnante. Les voix masculines et féminines se répondent, se superposent, s’interrogent, se fondent, tandis que l’espace sonore, superbement ample, travaille les atmosphères pour que chaque morceau s’approche d’une vignette cinématographique. Le thème du cinéma, on ne peut que l’avoir en tête avec cet opus. Déjà, la pochette de Léonard Titus est hallucinante. Les couleurs sont magnifiques, le décor l’est tout autant. Il se dégage de cette photo une fascinante pulsation d’isolement et de mystère qui questionne. Ensuite, certains titres ravivent des souvenirs de cinéma qui seront subjectifs à chacun. Personnellement, c’est Tarantino, Winding Refn ou Lynch qui me sont venus à l’esprit, mais chacun sera libre de ses évocations. Enfin, parler de Hollywood quand on s’appelle City Of Exiles invite à s’interroger sur cette ville où les gens partent s’exiler et où les rêves sont cristallisés par un style de vie qui peut mener à une fin tragique.

Autour du noyau dur composé de Guillaume Lebouis (chant, guitare), David Fontaine (claviers), Mathieu Pigné (batterie, piano) et Matthieu Forest (guitare, claviers, chœurs) se sont greffés beaucoup d’invités amis. Citons en premier les voix féminines d’Amandine Fontaine-Rebière (Aña), Louise D et Pauline Denize (officiant également aux magnifiques violons) qui chacune apporte sensualité et mystère avec élégance et style, puis les amis d’Animal Triste Yannick Marais (chant et chœurs), Sébastien Miel (guitare), Darko (basse, guitare, chœurs), Fabien Senay (guitare) venus prêter main forte à l’ensemble. Invité prestigieux s’il en est, Peter Hayes de Black Rebel Motorcycle Club a joué sur quelques morceaux et a produit l’album, rien de moins. Enfin, cerise sur le gâteau, c’est Michael Patterson qui s’est occupé du mastering. Vu le CV du gars (Kanye West, Nine Inch Nails, Beck …) et additionné à la qualité des titres, Dead In Hollywood est paré pour faire le tour du monde.

City Of Exiles Dead In Hollywood Band 1

« Cannibal Song » nous enlève de notre réalité et la voix grave de Guillaume possède ce charisme particulier propre aux ténèbres dont elle s’arrache. Portée par une musique venimeuse aux teintes psyché, on navigue en eaux troubles et sombres. La guitare acoustique contrebalance l’atmosphère précédente sur « Keep Out (Or Be Shot) », alors plus lumineux, emmené par les étoiles filantes des guitares et du violon qui parsèment le ciel de ce titre. Une merveille. « You Can Dance » est un exemple de fausse chanson rassurante. Le contexte semble doux mais il s’évapore sous les coups de guitares et les envolées parfaitement ciblées de violon, l’histoire est racontée dans la douceur mais elle est toxique. Une violence sourde du quotidien plus apparente sur le morceau suivant, « Underneath The Sun », avec une sacrée montée en puissance grâce aux guitares qui s’entremêlent et à une batterie implacable. Un grand moment qui aurait aussi convenu à Animal Triste. « Drive Stranger » semble sorti tout droit d’un film d’errance. Atmosphérique à souhait, ce morceau sur le fil du rasoir, électrise et saisit l’instant avec gravité. Un titre emblématique de Madonna, une icône comme Marilyn Monroe sur le premier album, est reprise ici, c’est « Frozen ». Autant dire que c’est une surprise et le résultat est impressionnant. Les voix se confondent et se mêlent comme pour hanter cette chanson dont le traitement au début très froid se dégèle à coups de guitares et de textures plus organiques, notamment grâce à la rythmique. Une autre réussite. « Tumbleweed » repart sur les routes des grands espaces rock et l’on se perd dans les guitares qui envahissent le paysage telles les tumbleweeds. Sur « Ghost Rider », Guillaume Lebouis délivre une performance remarquable dans une narration à la Johnny Cash, mais qui rappelle aussi le fantôme d’Elvis. Une sensibilité bienvenue et inattendue ! Enfin, « Dead In Hollywood » marque la fin du voyage avec un orage de sons menaçant soutenant les voix parfaites de nos protagonistes.

City Of Exiles Dead In Hollywood Band 2

City Of Exiles a passé le cap du second album avec brio, poussant (beaucoup) plus loin leur exploration des territoires musicaux. Dead in Hollywood est un trip cinématographique qui développe une toile complexe sur laquelle se matérialisent les fantasmes et fantômes de ce rock guitaristique à haute tenue atmosphérique, emporté par les violons déchirant le ciel et les voix chamaniques. Magnifique.

Coup-de-Coeur

https://www.facebook.com/cityofexilesband/

 

Interview de Guillaume Lebouis

L’évolution du groupe et de sa musique, le cinéma et la liberté sont les thèmes au cœur de cette interview avec Guillaume Lebouis, le fondateur de City Of Exiles.

City Of Exiles Dead In Hollywood Band 3

Frédéric Natuzzi: A la fin de notre précédente interview, tu disais que le groupe avait encore beaucoup de territoires à explorer. Effectivement, avec ce second album, les styles musicaux ont évolué. Était-ce prémédité ou est-ce que ce sont les morceaux qui ont dicté cette nouvelle direction ?

Guillaume Lebouis: City Of Exiles est notre élixir contre l’ennui. Le danger aurait été de reproduire les ambiances du premier album, alors que l’envie d’exploration est intrinsèque au projet du groupe. Le fait de revendiquer une totale liberté nécessite une grande vigilance, un lâcher prise total, afin de ne pas se laisser enfermer dans une routine et prendre le risque d’accumuler les clichés.
Aussi, j’aimerais pouvoir te répondre que tout était programmé. La vérité est que je suis arrivé avec des démos peu abouties pour la première session. Je les enregistrais encore avec un simple zoom à cette époque et cela aboutissait plus à des esquisses de morceaux qu’à de véritables compositions. Des mélodies archaïques en équilibre sur des grilles d’accords simplistes. Tout était à construire. Cet album est né du chaos.

FN: City Of Exiles est un groupe composé d’amis. Pour cet album, il y a énormément de monde ! Comment as-tu géré les interventions des uns et des autres ? Ont-ils tous participé à l’écriture ?

GL: Ce qui me touche le plus est que tous les musiciens qui participent s’impliquent totalement dans notre musique. Aussi, ce qui aurait pu aboutir à une gentille récréation entre amis est au contraire pris très au sérieux par tous les protagonistes.
Durant les sessions de Dead In Hollywood, un noyau dur s’est constitué autour de Mathieu Pigné à la batterie, Matthieu Forest aux chœurs, aux claviers et à la guitare et de David Fontaine aux claviers et aux prises de sons. Ils ont participé à l’ensemble des sessions, aux edits, à l’écriture des textes, aux choix des intervenants…
Mais l’implication de chaque musicien a été déterminante. Les lignes de basse de Darko, les guitares de Fabien Senay et de Sébastien Miel ou encore les chœurs de Louise D et de Moonya ou de Yannick Marais ont forgé le son de ce nouvel album. Sans compter les chants, les chœurs et les cordes de Pauline Denize qui apportent mystère et sensualité.

FN: Après avoir participé à Night Of The Loving Dead des Animal Triste, Peter Hayes des Black Rebel Motorcycle Club a accepté non seulement de produire et de mixer l’album mais aussi de jouer sur deux morceaux. Comment s’est passée cette collaboration ? Qu’a-t-il apporté aux morceaux ?

Tout le mérite de cette collaboration revient à Mathieu Pigné, notre batteur. C’est lui qui a eu l’idée de demander à Peter Hayes de mixer l’album. De mon côté je trouvais cela aussi saugrenu que d’inviter pour un duo Adam, le vampire misanthrope, dépressif et mélomane du film Only Lovers Left Alive. Les BRMC sont quand même des putains de génies. Je suis d’ailleurs certain que Peter a inspiré Tom Hiddleston, l’acteur principal du magnifique film de Jim Jarmusch. D’ailleurs on entend « Red Eyes And Tears » de BRMC durant la scène de la boîte de nuit.
Peter a apporté cette magie là, quelque chose de tribal, de vénéneux et de dangereux. Les ténèbres et les personnages crépusculaires que l’on retrouve dans les westerns de John Ford ou de Sam Peckinpah, le charme vaudou de « I Put A Spell On You » sans les os en plastique, la folie et la générosité du rock des pionniers, sans les embrouilles du Colonel Parker ou le carton-pâte des SMAC.
Le mixage de Peter a littéralement sublimé notre album. Sans compter que c’est Peter Hayes qui nous a mis en relation pour le mastering avec Michael Patterson qui a bossé pour Beck, NIN ou encore Kanye West et qui a fait un boulot de dingue sur Dead In Hollywood. Nous avons eu la chance de confier nos morceaux à de très grands musiciens.

FN: L’album s’appelle Dead In Hollywood. Hollywood est souvent un exil pour beaucoup d’acteurs américains qui, comme dans Mulholland Drive de Lynch, n’en reviennent jamais. Une machine à broyer… Avais-tu envie cette fois-ci d’évoquer le thème de l’exil dans un contexte plein de danger ? Les climats sur cet album sont souvent menaçants ou vénéneux.

GL: Tout cela n’était pas vraiment programmé. C’est surtout à Hollywood que Elvis, le roi du rock, est mort une première fois. Une fois ressuscité, il s’est définitivement enterré sous le sable de Las Vegas.
Pour répondre à ta question, un morceau comme « Dirty Lovers » qui clos notre premier album avait déjà un côté menaçant. Ce goût prononcé pour l’étrange et le glauque est peut-être ce qui au sein du groupe nous relie le plus. Une chanson comme « You Can Dance » par exemple joue sur plusieurs climats. Le caractère pleutre du narrateur qui s’imagine en meurtrier menaçant qui distille ses citations rocks comme unique éloquence est contrebalancé par l’atmosphère presque enjouée et entraînante du refrain.

FN: L’album donne l’impression d’un grand huit très cinématographique. On pense à Lynch, Tarantino, Winding Refn, … L’auditeur passe par de multiples émotions, secoué par une violence sourde (« Cannibal Song », « Dead In Hollywood ») ou réconforté par des sonorités plus claires (« Keep Out (Or Be Shot ) »,  « Ghost Rider »). Comment as-tu élaboré ce trip ? Peut-on dire que Dead In Hollywood est un concept album ?

Je me méfie de l’appellation de concept album. Je ne sais pas pourquoi, mais j’associe cela à quelque chose d’artificiel, comme les comédies musicales ou les tremplins rock. Je préfère dire que Dead In Hollywood a une identité forte. Mais il est vrai que l’on retrouve l’univers du cinéma dans presque tous les morceaux de l’album.
J’ai écrit « Tumbleweed » après avoir revu L’Épouvantail de Jerry Schatzberg. On y voit beaucoup de ces buissons virevoltants (tumbleweed) importés de Russie qui permettent aux spectateurs de ressentir les bourrasques de vent et qui ont malheureusement un caractère envahissant pour les cultivateurs. « Cannibal Song » et « Dead In Hollywood » ont été enregistrés durant la même session. Je venais de voir Once Upon A Time… In Hollywood qui m’a réconcilié avec Tarantino, mais c’est encore Mathieu Pigné qui a trouvé les titres des deux morceaux. La chanson « Ghost Rider » m’est venue après avoir vu le film allemand Phoenix de Christian Petzold. On y entend notamment une magnifique version de « Speak Low » popularisée par Peggy Lee. La mélodie de « Ghost Rider » m’est venue en repensant à la scène de fin de ce film.

FN: Sur le premier album, il y avait une reprise de Marilyn Monroe. Pour cet opus, c’est une reprise d’une autre icône : Madonna. Pourquoi elle et pourquoi « Frozen » ? Les chants multiples et la rythmique lui confèrent une dimension chamanique qui porte la chanson réellement ailleurs.

J’adore Marilyn. J’ai rarement vu un film aussi glauque que Blonde. Ana de Armas qui joue Marylin, est une actrice incroyable. Madonna n’a jamais été une référence musicale pour moi, mais j’avoue avoir toujours eu un faible pour « Frozen » qui est une grande chanson mal produite. Et puis Madonna était magnifique dans ce clip un peu cheap. On doit le côté chamanique grâce aux chœurs de Yannick Marais, à la direction artistique de Mathieu Pigné et au mixage de Peter Hayes. Je n’ai pas grand chose à voir dans cette réussite.

City Of Exiles Dead In Hollywood Band 4

FN: As-tu abordé le chant d’une autre manière suite à l’expérience du premier album ? Sur « Ghost Rider », tu délivres une performance sans filet !

GL: J’ai fait peu de prises voix sur cet album. Je m’étais fixé un maximum de trois à quatre prises. On a beaucoup travaillé sur l’intention. Mathieu Pigné qui avait une vision sur l’interprétation du morceau. m’a dirigé sur ce titre. D’ailleurs on l’entend crier « solo » à un moment donné. J’aime bien ce passage, cette joie, cette excitation gravée dans la cire et mise à nue par le mixage de Peter Hayes.

FN:  Tout un univers se dégage de la pochette : quand je la regarde, je m’y perds tellement elle est fascinante. Peux-tu nous en dire plus sur celle-ci ?

C’est l’oeuvre de Leonard Titus. Je ne sais pas comment il a fait pour prendre cette photo. Les couleurs sont naturelles et on a l’impression que tout est artificiel. Un peu comme les studios d’Hollywood. On a trouvé la pochette avant d’entrer en studio. S’il y a un concept dans cet album, on le doit à Leonard.

FN: Y aura-t-il des lives pour promouvoir l’album ?

GL: On prépare un set en duo avec Matthieu Forest. Un truc léger pour pouvoir jouer partout.

FN: . Pas de sortie vinyle prévue contrairement au premier opus ?

Une sortie en vinyle est prévue pour avril 2023. La difficulté est que le coût du pressage vinyle a flambé et que les délais sont extrêmement longs (de 4 à 8 mois). A tout cela s’ajoute le coût d’un mastering spécifique au support. Ce qui pour des petites structures comme nous est très contraignant et économiquement non viable. On a voulu faire un vinyle pour aller au bout de ce projet et à la demande de nos disquaires partenaires (Atmosphère Music du Havre, The Rev de Tulle, La Démothèque de Périgueux, Les Volcans de Clermont Ferrand, Atmosphère vinyle & Café de Villefranche-de-Rouergue, La librairie Vivre d’Art de Meymac…). D’ailleurs on cherche d’autres disquaires pour diffuser nos albums directement.

FN: Un troisième album est en cours paraît-il ?

Le troisième album est bientôt terminé. On espère trouver des partenaires pour le sortir l’année prochaine.

Propos recueillis par Fred Natuzzi (Janvier 2023)

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