Anouar Brahem – Souvenance

Souvenance
Anouar Brahem
2015
ECM

Anouar Brahem Souvenance

C’était le 17 décembre 2010 : un jeune Tunisien s’immolait par le feu. La Tunisie devint alors le théâtre de révoltes sans précédent, embrasant le pays, puis se répandant dans les contrées voisines. Ce chapelet de contestations constitua le « Printemps Arabe », en référence au Printemps des Peuples qu’a connu l’Europe en 1848. Ces événements ont profondément marqué le joueur de oud Anouar Brahem, qui pendant trois ans a cherché une manière de rendre hommage à cet appel à la liberté et à la justice de ses concitoyens. Ainsi, que ce soit la connotation littéraire du titre de l’album, sa longueur, ou encore la présence d’un ensemble à cordes, rien n’est laissé au hasard dans son magnifique salut à la Révolution Tunisienne, point de départ du Printemps Arabe. Depuis ses débuts chez ECM, Anouar a nourri l’ambition de sortir le oud de son usage traditionnel, pour le placer dans un cadre plus universel. Il le fait en créant un univers élégant et intimiste proche de la musique de chambre. Ayant convié pour « Souvenance » des artistes qui l’ont accompagné à différentes étapes de sa carrière musicale, il a également voulu donné une dimension plus cinématique à son monde musical austère et feutré en invitant un ensemble à cordes. C’est ainsi qu’aux côtés du pianiste des débuts François Couturier, et du duo clarinette-basse des années plus récentes (respectivement Klaus Gesing et Björn Meyer), c’est l’Orchestre de la Suisse Italienne, sous la direction de Pietro Mianiti, qui a été sollicité sur une poignée de pièces.

Dans ce nouvel opus, les ambiances se développent progressivement et avec humilité, l’allégresse de « Deliverance » (au titre sans équivoque) faisant cependant exception à la règle. Ces introspections que notre ami tunisien a en effet laissé longuement décanter emboîtent le pas à une précipitation du moment, pour créer des atmosphères d’une beauté intemporelle. Le piano tour à tour hypnotique et léger fait souffler un vent doux sur les terres arides dominées par des dunes que la gravité et l’effroi de la clarinette rendraient presque inaccessibles, et où les notes prudentes de l’oud se déplacent lentement, tels des bédouins à dos de chameau.

Anouar Brahem

Par ailleurs, quand elle est présente, la basse assure un ronronnement discret, mais on sent néanmoins « le pas du chat noir » se faire pressant sur « January » ou « Youssef’s Song ». En outre, le mouvement de contestation est ici mis en exergue par différents moyens. Ainsi, l’utilisation de cordes lamentées donne un véritable souffle dramatique à certaines compositions. « Nouvelle Vague », une ancienne composition réarrangée pour cordes seules et au titre de circonstance, en est une parfaite illustration. C’est également la liberté soudaine que les instruments s’octroient qui convoque à la fois des images de révolte spontanée, mais également d’affranchissement de toute autorité abusive, comme dans les ponts menaçants d' »Improbable Day » ou d' »On The Road ».

Anouar Brahem continue donc à nous enchanter de ses mélodies mélancoliques. A son image, sa musique est sincère, agréable et emplie d’humilité. « Souvenance » est non seulement un bel hommage aux « événements extraordinaires [qui] sont venus soudainement ébranler le quotidien de millions d’individus » mais également une nouvelle pierre de choix à un édifice qui se construit depuis près d’un quart de siècle avec amour.

Lucas Biela (10/10)

http://www.anouarbrahem.com/fr/

Lucas & Anouar

Anouar Brahem & Lucas Biela

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