Yuka & Chronoship – Ribbon Butterfly

Ribbon Butterfly
Yuka & Chronoship
Cherry Red Records
2025
Thierry Folcher

Yuka & Chronoship – Ribbon Butterfly

Yuka & Chronoship Ribbon Butterfly

Souvent, dans le rock progressif, les parties chantées sont difficiles à décrypter et peu sujettes à débat. On les prend comme elles sont et on fait avec. On accepte surtout que l’une de leurs principales fonctions est de mettre en valeur une voix extraordinaire ou un individu hors du commun. Les exemples ne manquent pas et il serait fastidieux (et inutile) de les citer ici. C’est pourquoi j’attache une part importante au rock progressif instrumental et aux albums exempts de longs et impénétrables discours. Juste le bon dosage en paroles et une grande part laissée à la musique, seule capable d’être perçue de la même façon dans toutes les parties du monde. Ribbon Butterfly de Yuka & Chronoship fait partie de ces disques, discrets dans le verbe et dont l’attrait numéro un repose sur ses parties orchestrales, le plus souvent issues des lointaines périodes fondatrices. Par simple plaisir ou peut-être par nostalgie, je ne rechigne jamais à retrouver du mellotron sur ces compositions, certes sans surprises, mais tellement agréables à réentendre. La seule condition, c’est que ce soit bien fait et qu’il y ait, malgré tout, une petite touche d’originalité. Tout ce qui vient du Japon s’exonère naturellement d’un trop grand mimétisme avec le prog anglo-saxon des années 70. Des formations comme Yello Magic Orchestra, Ain Soph, Ars Nova ou Gerard (oui, je sais, ce nom a toujours fait rigoler) et des individus comme Kitaro, Isao Tomita ou Stomu Yamashta ont tous développé une musique prog à la marge possédant de réels pouvoirs de séduction. Plus récemment, je vous avais parlé de l’électronique rêveuse de Maya Ongaku et de son superbe Approach To Anima (2023). Si j’aborde aujourd’hui le cas Yuka & Chronoship, c’est que les émotions ressenties sont à peu près les mêmes. Un brin d’exotisme, c’est certain, mais sans que ce soit caricatural ou folklorique. Ribbon Butterfly est tout simplement une belle mécanique orchestrée de main de maîtresse par Yuka Funakoshi, claviériste émérite et compositrice de grand talent.

L’histoire du groupe est récente et commence en 2011 avec la parution de Water Reincarnation, un premier effort studio, bardé de claviers et superbement mis en scène grâce à une étonnante capacité, presque free jazz, à construire les morceaux. Déjà, à l’époque, les vocalises (plus qu’un vrai chant) étaient rares et le nom des titres suffisait à orienter l’auditeur dans son écoute. Yuka & Chronoship se présente sous la forme d’un inamovible quatuor composé de Yuka Funakoshi au chant et aux claviers, de Takashi Miyazawa à la guitare, de Shun Tagushi à la basse et d’Ikko Tanaka à la batterie. Quatre musiciens soudés qui vont enchaîner avec Dino Rocket Oxygen en 2013 (à noter le joli design signé Roger Dean), The 3rd Planetary Chronicles en 2015 et Ship en 2018. Il a donc fallu attendre sept ans pour voir Ribbon Butterfly remettre le navire Chronoship à flot et reprendre la musique là où elle s’était arrêtée. Les fans du groupe (ils existent) n’attendaient que ça et ce charmant papillon en dentelle a répondu à leurs attentes sans trahison ni déception. Yuka connaît son affaire et lance son nouvel album avec « Ribbon Butterfly », un premier titre fabriqué avec ses ingrédients habituels faits de bruitages légers, d’une solide rythmique et surtout, d’interventions de claviers et de guitares dans la plus pure tradition prog des seventies. Résumé ainsi, cela peut sentir le réchauffé et ne pas engendrer beaucoup d’enthousiasme. Erreur, bien sûr, car la musique de nos amis nippons peut s’enorgueillir d’être passionnante et très différente des productions neo-prog actuelles.

Yuka & Chronoship Ribbon Butterfly Band 1

Sur les dix titres du disque, seuls « Ribbon Butterfly » et « Mummy And Daddy » vont être accompagnés de vraies parties vocales, certes écoutables, mais sans grand intérêt. Je ne pense vexer personne en disant que la musique de Yuka & Chronoship est quasi instrumentale et que les frissons seront le fait des notes et pas des mots. À titre d’exemple, la toute première mélodie (au mellotron) de « Ribbon Butterfly » vaut à elle seule le détour et relègue les quelques paroles du début au rayon des choses dispensables. Dans l’ensemble, on pense à Saga pour la guitare rythmique et un peu à YMO pour le deuxième solo de clavier. Mais tout au long des neuf minutes du morceau, c’est l’énergie qui prédomine avec la volonté d’aller toujours plus loin et de dépasser certains schémas éculés. Juste après, le court « Aunt Claivoyance » sera plus conventionnel, comme si le groupe adressait un clin d’œil poli à la tradition britannique chère à Mike Oldfield ou Steeleye Span. Pour moi, ce second titre, un peu trop prévisible, est en décalage avec tout le reste et ne sera pas à ranger parmi mes favoris. Heureusement, dès « Children Of Yewtree » Yuka et ses potes vont relancer le turbo et rester jusqu’au bout dans un état d’esprit conquérant où la musique sera sans cesse animée par des sensations organiques mettant en vedette une claviériste hors pair. Ribbon Butterfly s’écoute sans ennui et chaque titre recèle une bonne part de trouvailles qui ne demandent qu’à accaparer nos oreilles attentives. Les atmosphères presque guerrières de « Hourglass Cove » et de « Sleeping Girl In The Stained Glass », les belles envolées cinématographiques et la grande technicité de « Chronofish » (un de mes titres préférés) ou encore le romantisme sombre de « Polar Dark » sont à relever dans une exceptionnelle galerie de sons plus aguichants les uns que les autres. Pour finir dans un esprit un peu plus critique, je dirais que « Planetary Cleansing » navigue (ou se noie) trop facilement dans un univers proche de Mike Oldfield ou d’Oliver Wakeman, que le vocoder du dispensable « Mummy And Daddy » me fatigue un peu, mais que la petite minute de « Do All Human Beings Dream The Same Dream ? » sauve la mise et se transforme en une jolie conclusion.

Yuka & Chronoship Ribbon Butterfly Band 2

Chers amateurs de rock progressif en général et de sorciers(ères) des claviers en particulier, si vous ne connaissez pas encore Yuka & Chronoship, je vous invite à écouter ce Ribbon Butterfly qui vous comblera d’aise, j’en suis presque certain. Tout n’est pas parfait sur ce disque, mais quelquefois, les petits accros finissent par rendre les œuvres encore plus attachantes. L’intelligence artificielle ne connaît pas la défaillance et paradoxalement, c’est grâce à notre vulnérabilité que l’homme aura toujours le dessus. Vous verrez, sur cet album, l’entrain est omniprésent et révèle de réelles capacités à faire vivre et à partager cette musique. Les images en concert sont édifiantes et montrent Yuka en possession d’un véritable leadership très convaincant. Une attitude de baroudeuse des planches pouvant compter sans crainte sur ce nouveau matériel pour enflammer les scènes du monde entier.

http://www.omp-company.com/chronoship/

 

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