Walter Astral – Éclipse
Abbess Records
2025
Palabras De Oro
Walter Astral – Éclipse
Je me plains souvent d’être spammé à mort de mails promotionnels au risque de ne plus les ouvrir et de ne pas écouter les artistes tant vantés. Aussi, vous pourriez penser que cette saturation ne me permet pas de dénicher parfois l’oiseau rare. Mais voilà, quand des notes électroniques délicates sur une rythmique hypnotique de banjo apparaissent dans mon casque pour introduire « Aube », mon attention s’éveille. Pendant que le back-ground musical s’enrichit inlassablement de sonorités électro sacrément bien foutues, je me replonge dans le mail de l’Agence Shaker qui m’a gratifié du lien d’écoute pour découvrir qu’il s’agit d’Éclipse, le premier album du duo Walter Astral. Ce coup d’oeil me prend deux minutes, juste le temps d’arriver au break qui lance la véritable rythmique de ce morceau instrumental de plus de neuf minutes ! C’est un rythme à la fois soutenu et indolent, ponctué de claquements de doigts, qui pullule de sonorités électroniques épatantes : un vrai florilège du genre. Cette « Aube » est magique. Elle détient en son cœur un étonnant passage de violon très classique, prélude à une jolie seconde partie à tendance orientale qui donne un côté art rock à cette déferlante d’electro. Il n’en fallait pas plus pour que je décide de poser une oreille très attentive sur cette galette pas seulement prolifique en electro, mais aussi en temps, car d’une durée de plus d’une heure.
Les créateurs de cet OVNI sont Berrichons. Tristan Thomas aka Zaspéro (Ovhal44) et Tino Gelli (Polycool) ont formé Walter Astral pour mettre en musique leurs rêves délirants et mystiques. Après l’EP Hyperdruide présentant l’humain face à la nature qui l’entoure et ses questionnements métaphysiques : l’Amour, l’Inspiration, la Naissance, la Mort, ils franchissent un palier avec cette Éclipse qui intègre et catalyse les EP Jour et Nuit sortis l’année dernière.
Pour notre duo gémellaire (bien que sans parenté, ils cultivent le même look druidique), « Walter Astral est un druide, un explorateur de multivers. Il rencontre des hommes-bougies, des sorcières et des druides, une étoile qui vit dans un arbre, qui l’accompagneront au cours de sa quête mystique. La musique parle des Éléments qui l’entoure et de la magie qu’ils incarnent. Son premier album raconte l’histoire de la Lumière, son trajet au cours d’une journée et la catalyse dans l’Éclipse, instant suspendu où l’espace et le temps s’arrêtent pour contempler l’univers. » Alors, je ne vous dirai pas à quoi carburent nos deux Panoramix, mais ils ont dû tomber dedans quand ils étaient petits ! Pas évident de s’y retrouver dans ce mysticisme. De fait, leur musique est une sorte de mix pop electro, acid et techno psychédélique avec une tendance progressive sur certains titres épiques comme le précité « Aube » qui en est la principale incarnation. Ils y incorporent très régulièrement des accents acoustiques de leur fidèle Banjy (leur banjo totem), et de guitare sèche qui lui donne un côté folk comme sur les instrumentaux « Pleine Lune » et « Chasseur D’Éclipse ». Ils habillent la majorité des titres avec un chant éthéré en solo, en duo et sous la forme de chœurs très aériens. Le côté drum bass donne des rythmiques très métronomiques et souvent dansantes, techno oblige, qui apparaissent un peu trop simplistes, même si l’épileptique « Nadir » se montre plus varié en la matière. J’ai parlé de dansant et pourtant, très souvent, c’est plutôt à une transe mystique méditative à laquelle on est convié. Nos « Daft Punk paganistes » savent remarquablement jouer sur les changements d’ambiance sans jamais s’éloigner à outrance de leurs machines, un mariage de raison entre analogie et digital, une allégorie de la présence de l’humanité dans le cosmos infini. C’est à une véritable transmutation alchimique musicale permanente que l’on est convié. Les sonorités électro sont régulièrement torturées et tordues dans tous les sens sur des rythmiques de basse très graves. Par exemple, sur « Turbolutin », on dirait du Frost* à la mode techno. « Zenith », le single, joue pleinement sur ce côté alternatif en opposant un rythme dansant à un chant planant tout en y incorporant des tonalités orientales, comme sur « Aube », « Lune » et « Éclipse ». Son refrain, fait de strophes toutes introduites par le même « Ohhhh » mélancolique, est instantanément mémorisable tout comme celui de « Serpent Mental » et ses « Laisse le temps passer » susurés à l’infini. « Lune » parait être chanté par Alain Chamfort tout comme « C’est Exquis » dont le clip a été tourné dans des grottes de Roumanie. Ce dernier comporte un épatant solo de banjo. Mais, le morceau qui m’a vraiment fait dresser les poils de plaisir, c’est « Turbofée ». Son intro très mystérieuse fait place à une rythmique groovy et processionnelle dont le refrain aux vocaux multicouches génèrent d’incroyables frissons. Nos druides reçoivent aussi le renfort de la chanteuse LEÏ sur un « Crépuscule » caméléon dont le pont est d’une délicatesse insoupçonnée.
Walter Astral n’est pas qu’un groupe de studio comme on pourrait le croire. Ils ont accumulé l’expérience de la scène dans plusieurs festivals, à commencer par leur régional Printemps de Bourges, mais aussi aux Francos de Montreal et autres. D’ailleurs, ils sont programmés le Samedi 01 mars 2025 au Festival Aucard d’Hiver de Tours et le Samedi 15 mars 2025 à La Cigale (Paris), preuve d’une notoriété grandissante, devenant interplanétaire. Décidément, cette rencontre entre le soleil et la lune a toutes les qualités pour ne pas passer inaperçue, tellement Éclipse réussit avec brio la fusion d’autant de genres différents. Cette capacité à mélanger des styles si divers et la richesse des harmonies vocales vaporeuses lui confèrent une magie transcendantale et cosmographique pouvant vous aisément transporter dans le monde fantasmagorique de Walter Astral. Ces druides m’auraient-il converti à la techno ? Certes, il y a loin de la coupe de Cervoise aux lèvres. C’est plutôt leur éclectisme qui m’a envouté.
https://www.facebook.com/walterastral
https://alias-production.fr/artistes/walter-astral/
ITW Walter Astral 01/03/2025 Festival Aucard d’Hiver
Invité à leur show au festival Aucard d’Hiver à Tours et captivé par leur univers musical, j’ai souhaité aller à la rencontre de Tristan et Tino (ainsi qu’Enzo, leur ingé-son) des deux druides de Walter Astral afin d’en savoir un peu plus sur leur parcours et leur macrocosme créatif. Je dois avouer que celui-ci est à la fois onirique et farfelu, comme vous pourrez en juger ci-dessous. À noter que cette interview a eu lieu juste avant leur show.
PDO : Salut les gars. Je sais que vous n’êtes pas frères, mais c’est impressionnant ce mimétisme que vous cultivez dans votre look pour coller à votre représentation druidique. Tout d’abord, d’où vient ce nom « Walter Astral » ?
WA : Nous avons fait un rêve en commun que nous avons partagé à notre réveil. Un matin, nous étions attablés au petit déjeuner devant notre bol de céréales quand un mini-druide à chapeau pointu est apparu à bord d’un petit bateau naviguant sur cette mer improvisée. Il nous adressa la parole en nous intimant l’ordre de nous retrousser les manches pour se mettre au travail et créer une musique onirique. Il s’appelait Walter Astral (Enzo se marre discrètement devant ma tête incrédule. À noter que nous aurons droit à une autre version dans leur show : en intro du morceau « Le Feu », Tristan affirmera que Walter Astral est apparu sur le poêle qu’ils venaient d’allumer pour une soirée au coin du feu).
PDO : Wow ! Dans ma chronique, je m’interrogeais sur ce à quoi vous carburiez et là, vous n’avez pas du tout l’air allumés pourtant, je sens que je vais devoir m’accrocher pour retranscrire correctement vos rêves dans mon interview (rires). Votre univers est-il absurde ou onirique ?
WA : En fait, c’est les deux. Nous aimons inventer et raconter des histoires absurdes dans des univers oniriques. Nous ne nous mettons aucune barrière. Nous aimons les rêves et aimons les partager.
PDO : À ce sujet, Éclipse suit un fil conducteur, car il repose sur la compilation de vos deux EP précédents « Jour » et « Nuit ».
WA : C’était une vraie volonté de faire un album concept. C’était prémédité de notre part de sortir un LP qui raconte une progression et repose sur des oppositions entre les astres solaires et lunaires comme le montrent les titres de nos chansons « Aube »/« Crépuscule, « Zénith »/« Nadir », etc.
PDO : Quel est votre parcours en tant que musiciens ?
Tristan : J’ai commencé par faire de la house en solo sous le nom de Zaspéro. Ensuite, ce fut la techno (ou plutôt de l’acid sci-fi comme je l’appelle) dans un premier duo nommé Ovhal 44 dont les prestations live mettaient en scène un voyage spatial dans la grande tradition des Star Trek.
Tino : J’ai œuvré aux guitares et au chant dans le groupe de rock psyché pop nommé Polycool.
WA : À vrai dire, nous ne nous considérons pas vraiment comme étant des musiciens. Tristan se sent incapable d’animer avec une guitare une soirée feu de camp et Tino n’a que six mois d’école de musique, autrement dit presque rien. Par contre, nous avons le sens de la mélodie et nous sommes branchés électroniquement et électriquement. On pourrait dire que nous sommes des musiciens EDF (rires). Tristan ressent un besoin viscéral d’utiliser ses machines et Tino, bien qu’avec une fibre folk qui l’amène à se charger de tous les instruments à cordes, a besoin aussi d’évoluer parmi ces sonorités synthétiques.
PDO : On peut donc en conclure que vous êtes en quelque sorte des self-made musiciens (ils acquiescent en chœur). J’ai été bluffé par la richesse des sonorités électroniques dont vous truffez tous vos morceaux et aussi par cette géniale association avec des instruments acoustiques. À la fois, c’est de la techno et ça n’en est pas. Dans la plupart de vos titres, il y a des ponts inattendus et des changements de rythme qui confinent au prog. Certaines sonorités m’ont même rappelé des schémas employés par Frost*. L’assumez-vous ?
WA : Tout à fait. Nous ne connaissons pas bien le prog et encore moins les groupes phares de ce style de musique, mais nous en avons les notions dont tu fais état. La techno est notre base, mais nous avons tellement d’idées auxquelles nous ne voulons pas renoncer, que nos chansons peuvent s’étirer et muter totalement. Nous avons sans cesse dû canaliser ce flux créatif et donc notre fibre prog pour que notre album ne ressemble pas à un foutoir.
PDO : Justement, le premier titre d’Éclipse est le fabuleux « Aube » qui m’a littéralement envoûté. Plus de neuf minutes de musique instrumentale avec un pont de violon fabuleux en son sein puis une seconde partie orientale ahurissante, tout ça dès le début de l’album, c’était un sacré pari, d’autant plus que la suite de l’opus est bien différente.
WA : « Aube » est paradoxalement un résumé de tout l’album, un peu comme si, dès le début, on voulait planter le décor et montrer notre savoir-faire dans ce qui sera développé par la suite. Elle permet de créer cet univers magique et cinématographique dans lequel nous voulons plonger l’auditeur. C’est l’exemple même du titre où il nous a été très difficile de restreindre toutes nos idées, d’où sa durée de neuf minutes.
On va te décevoir, on ne la jouera pas ce soir, par contre elle sera sur la setlist du concert de La Cigale à Paris avec des vrais violons au lieu des samplers de l’album.
PDO : Je fais mine de me lever, fâché par ce renoncement pour le show de Tours, en leur disant « Vous venez de trop me décevoir, je me casse », ce qui les fait bien marrer. Plus sérieusement, qu’est-ce que c’est que cette idée incongrue d’associer du banjo à de l’electro ?
Tino : Je l’ai trouvé dans un grenier. Je lui ai redonné vie en l’appelant affectueusement Banjy. Je ne l’utilise pas façon US (genre bluegrass), mais plutôt pour ses sonorités en demi-tons limite désaccordées qu’on peut trouver dans la musique orientale ou hongroise dont nous truffons notre production. Ainsi, il nous procure une certaine originalité. J’aurais bien voulu utiliser aussi un serpent, cet instrument de la Rome antique dont tu peux voir une imitation sur certaines de nos photos, mais c’est très rare et hors de prix.
PDO : Seulement la moitié de vos titres sont chantés et vous avez fait appel au duo féminin LEÏ sur « Crépuscule ». Pourquoi ?
WA : Encore une fois, la musique est au cœur de notre production, d’où certains titres instrumentaux. Nous avons rencontré les filles de LEÏ lors d’un show à Marseille. Elles nous ont abordés en insistant pour figurer sur une de nos chansons. Nous nous sommes dit que faire apparaître des fées sur notre album était une super idée. Nous avons associé ça à une partie de folk éthéré pour créer une opposition avec nos rythmes techno.
PDO : Encore une réussite, par contre le moment est venu de passer aux bémols… à mon sens bien sûr, sachant que je ne suis pas fan de techno à la base. Je dois dire que j’aurais aimé plus de richesse dans les parties de percussion, un peu comme sur « Nadir ». Même l’utilisation de machines peut permettre une certaine richesse dans les rythmiques de batterie, alors que votre production est très basique dans ce domaine.
WA : Nous comprenons ce que tu veux dire, mais cela aussi est assumé. Nous sommes attachés à un pattern rythmique simpliste, car c’est l’âme de la techno. L’entrecouper de charleston nous ferait perdre l’esprit techno. Et il n’y a rien de mieux comme rythmique si tu veux faire durer une idée et susciter la danse. La richesse, on peut la trouver dans certains bruitages séquencés comme du vent ou autres. L’opposition electro complexe avec des percussions simplistes nous convient tout à fait.
PDO : Mon autre bémol réside dans la fin de l’album qui semble un peu tirer en longueur. Il fait plus d’une heure. Certes, c’est la compilation de deux EP, mais il ne m’apparaît pas que ça soit sa durée qui engendre la lassitude. Les derniers morceaux sont moins accrocheurs. On dirait aussi que vous avez placé les titres de l’album dans le même ordre qu’ils ont été conçus.
WA : Si tu veux parler du titre « Éclipse », tu as dû noter qu’il était plus violent que les précédents (PDO : je confirme). En fait, tu viens de nous faire prendre conscience qu’effectivement, nous avons conçu les titres pratiquement dans l’ordre où ils apparaissent dans la tracklist, probablement parce que nous souhaitions raconter une histoire de bout en bout. « Éclipse » a été conçue en fin d’enregistrement. Nous étions fatigués et un peu sous pression de la deadline fixée pour sortir l’album, donc sur les nerfs. Nous nous sommes un peu lâchés en durcissant le ton et l’avons prolongé, car il est le miroir de nos émotions à ce moment précis. Il faut dire aussi, qu’à l’instar de l’agent du FBI Dale Cooper dans la série Twin Peaks, nous enregistrons systématiquement toutes nos idées quand elles surviennent et les passons en revue pour les intégrer à l’album. Parfois, ça peut faire beaucoup.
PDO : Outre « Aube », mes morceaux préférés sont « Zenith », « Serpent Mental », « Lune » et surtout « Turbofée » avec son groove monstrueux (on en aura droit à une version très épique pendant le concert, à mon plus grand plaisir). Mais qu’est-ce que l’homme-bougie dont vous parlez dans votre bio ?
Tino : Attends, je vais t’en dessiner un (PDO : et il s’exécute à ma grande surprise). Les hommes-bougies transportent les émotions dans le corps humain. Ils sont voués à totalement disparaître à chaque voyage, comme la bougie qui fond. Nous aimons cette notion d’éternel recommencement.
PDO : Vous avez pas mal roulé votre bosse en jouant au Québec, en Allemagne, en Belgique, au Portugal, en Roumanie. Comment deux Berrichons n’ayant pas encore sorti un LP peuvent décrocher des dates dans des pays pareils.
WA : Nous devons surtout remercier l’Office Français de la Culture qui nous a déniché ces dates à l’étranger. Elles nous ont permis de partager notre univers onirique et, en échange, de vivre des expériences qui nous enrichissent.
PDO : Quels sont vos projets pour le futur ?
WA : Nous voulons passer à autre chose. Nous aimerions nous équiper d’un système de machines et d’enregistrement portatif pour parcourir le monde à la recherche d’autres druides et shamans pour élargir le champ de nos influences et créer de nouvelles histoires inspirées de ces expériences. Nous voudrions aller jusqu’au bout de nos idées avec les machines utilisables directement sur place là où elles émergent avant de revenir chez nous pour les finaliser sur l’ordi.
PDO : Merci pour votre disponibilité et bon show. Faites-nous vibrer.
Effectivement, le concert fut génial. Sur un son énorme concocté par Enzo, Walter Astral partagea son univers alternant les moments planants et dansants, provoquant même une gigue géante dans le pit. Notre couple druidique saupoudra son show d’interventions orales faussement naïves et pleines d’humour devant un public conquis, réchauffant leurs « petits cœurs de druides » (dixit Tino) pour les amener vers une ovation finale sincère.