Threshold – Dividing Lines
Nuclear Blast records
2022
Palabras De Oro
Threshold – Dividing Lines
En route vers sa troisième décennie d’existence, Threshold a surmonté bien des vicissitudes avant de nous livrer Dividing Lines, son douzième opus, faisant ainsi preuve d’une fort belle constance qualitative dans le milieu du metal prog. Traité à ses débuts comme un des innombrables clones mésestimés de Dream Theater, un peu comme Marillion l’a été comparativement à Genesis, on a pu mesurer tout au long de leur discographie que cette vision réductrice était une grave erreur (idem pour Marillion bien sûr). Indéniablement, Threshold s’est créé son propre son et son propre style sous l’égide de son remarquable leader/guitariste et producteur Karl Groom. Ainsi, dès ses premières mesures, chacun de ses titres est immédiatement reconnu comme lui appartenant totalement, et ce, indépendamment des trois chanteurs, pourtant aux voix très différentes, qui y ont officié.
Dividing Lines n’échappe pas à ce constat et je m’en veux un peu de l’avoir laissé de côté lors de sa sortie il y a un an, submergé que j’étais par les propositions de chroniques. Il perpétue le credo du groupe : un metal prog mâtiné de schémas confinant au hard rock et même au power metal. C’est certainement cette alliance de genres qui lui a conféré ce style si unique et facilement identifiable. Ajoutez à cela les textes alarmistes, tellement réalistes et actuels du claviériste Richard West sur un fond de tristesse mélodique, des accords rythmiques avec une exceptionnelle maîtrise, des refrains qui vous prennent aux tripes, et vous aurez réuni les ingrédients qui font la spécificité de Threshold sans aucun clonage possible à leur décharge.
Si l’on excepte Clone, Threshold ne donne pas dans le concept album. Pourtant, ses thèmes sont récurrents avec une vision délétère et catastrophiste de l’évolution humaine ainsi que de son impact sur notre chère planète bleue de plus en plus teintée de rouge. Cette fois-ci, Richard West met l’accent sur la propagande, la corruption et la censure qui brouillent les esprits, favorisant les montées populistes actuelles. Des thèmes qu’il avait déjà explorés sur Subsurface (2004), un des meilleurs albums du groupe (les paroles du titre « Mission Profile » sont d’une pertinence glaciale). Son message est beaucoup plus ciblé envers les murs que chacun se construit vis-à-vis de ceux qui sont différents, privilégiant le combat au travail en commun pour construire un monde meilleur, ce qu’il appelle la culture du « Us and them » (eux et nous). Il apporte même une solution : croire en nous-même et non en ceux qui cherchent à nous influencer pour leurs propres intérêts. Quand on prend toute la mesure de ces textes, on se dit qu’ils vont comme un gant à ces rythmiques musicales à la fois enlevées et graves, ainsi qu’à ces soli toujours construits autour d’une tonalité de désespérance, y compris quand le groupe a recours à des parties de twin guitare ou à des joutes claviers/guitare. Si la musique de Threshold ne peut pas être qualifiée de triste, toutes ses composantes reposent sur une mélancolie et une désespérance sous-jacentes qui lui confèrent une originalité propre reconnaissable entre mille.
Il est temps d’entrer dans le vif du sujet avec un « Haunted » percutant où l’on se prend à remarquer que Glynn Morgan, le chanteur initial du groupe, revenu au bercail après les deux pointures que sont Damian Wilson et le très regretté Andrew « Mac » Mc Dermott, possède un registre vocal plus proche de ce dernier. C’est tant mieux, car sans vouloir dénigrer l’immense talent de Damian Wilson, j’ai toujours pensé qu’un chant moins lyrique et plus puissant convenait mieux à la musique de Threshold. Glynn, auteur de trois des compositions, est désormais pleinement réintégré au groupe et ça se sent. Certes, les recettes vocales sont similaires à celles des albums précédents avec des couplets au ton grave et légèrement monocorde préparant parfaitement l’arrivée de ces refrains si lumineux et mémorables dont le groupe a le secret. Pour autant, ses tonalités mettent plus l’accent sur l’urgence des textes et l’inexorabilité de leur propos. Elles s’accordent parfaitement avec les accents désespérés que tire Karl de sa guitare lors de soli à faire pleurer un rossignol au printemps (je sais, ça ne pleure pas un rossignol : ben justement !) Après une superbe intro inquiétante de clavier de Richard West dont c’est la spécialité, « Hall Of Echoes » promène des couplets presque enjoués sur une riche rythmique de batterie de l’excellent Johanne James avant qu’un refrain alarmiste ne nous fasse replonger dans nos affres. Le pont du titre procure une accélération hystérique où guitare et clavier se répondent sans concession. L’intro majestueuse et versatile de « Let It Burn » est une véritable réussite tout comme les parties de chant de Glynn, délivrant un refrain qui donne la chair de poule. Question singles, « Silenced » propose un format compact enjolivé par une intro a capella de Glynn et une rythmique parkinsonnienne. « Complex » est également très direct, en plus percutant cependant. Les rythmiques de claviers lorgnent du côté de… Jordan Rudess (ben oui, quand-même !), mais le titre demeure dans le plus pur style de Threshold notamment pour les soli. « King Of Nothing » surprend pour un single avec ses couplets très martiaux et torturés et ses multiples changements de rythme. Et oui, si j’ai donné l’impression d’une forte constance du groupe dans mes propos initiaux, je dois écrire que Threshold ne se complait pas dans une zone de confort lui faisant répéter les albums sans vraiment évoluer. Dividing Lines possède sa propre personnalité et réserve son lot de surprises. Ainsi, « Lost Along The Way » détonne complètement de par la basse métronomique de Steve Anderson et des nappes de clavier 80’s, du jamais vu chez le combo britannique ! Le court « Run » est à mon sens le point faible de l’album bien que sa partie instrumentale ne soit pas dénuée d’intérêt. Le quintet nous gratifie de deux titres épiques (plus d’une dizaine de minutes) de toute beauté. L’intro majestueuse de « The Domino Effect » est à couper le souffle. Le titre se teinte ensuite de neo prog sur les couplets avant de délivrer un refrain presque power metal avec encore des étonnantes sonorités 80’s de clavier. Sa partie centrale atmosphérique donne l’occasion à Karl Groom de nous arracher de nouveau des larmes avec un solo d’une tristesse infinie (vous noterez que devant tant de mélancolie, le rossignol s’est envolé). Mais le groupe remet la gomme pour une partie instrumentale très enlevée qui vaut son pesant de cacahuètes. On retrouve certaines de ces recettes tout au long du titre fleuve « Defence Condition », bien que possédant ses propres caractéristiques avec des riffs de guitares plus acérés et une basse omniprésente. Par contre, le thème du morceau est beaucoup plus récurrent que sur « The Domino Effect ». Son final (et donc celui de l’album) martial et hyper sombre avec une alternance de chant clair et de growls donne froid dans le dos.
Dividing Lines démontre que Threshold continue de fort belle façon à tracer son chemin fait d’un metal prog plein de certitudes et de personnalité, reconnaissable entre tous et pourtant comportant son lot d’innovations. La plupart sont étonnamment impulsées par des claviers 80’s qu’on aurait pu penser incongrus dans leur back-ground. Que cela soit en format compact ou alambiqué, les morceaux sont très convaincants et percutants. Les racines dramatiques du groupe sont toujours aussi solidement plantées dans un terreau musical qui s’enrichit d’album en album, mettant la performance technique au service de mélodies souvent inoubliables.
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