The Wishing Tree – Carnival Of Souls (+ interview 1996)
The Wishing Tree
Dorian Records 1996/Racket Records
Annoncée à cor et à cri depuis fin 1993, la première échappée discographique en solitaire signée Steve Rothery avait, de retards annoncés en déprogrammations de dernière minute, fini par vous prendre de véritables allures d ‘ Arlésienne. C’est que ce bon Steve éprouvait les pires difficultés à mettre la main sur une alter-ego vocaliste à la fois suffisamment talentueuse et disponible. La perle rare dénichée durant 1’ été 1994 en la personne de la ravissante Hannah Stobart, maître Rothery et sa « spécial dream team » de choc (Paul Craddick d’Enchant à la batterie et Pete Trewavas à la basse) prirent alors quasiment séance tenante le chemin des studios pour nous délivrer courant 1996 le fruit de leurs cogitations musicales communes. Évitant habilement les pièges de l’esbroufe guitaristique ostentatoire et de la resucée marillionnesque stérile, les Wishing Tree œuvrent ici dans un registre intimiste et dépouillé où l’émotion et la beauté règnent en seules maîtresses.
Serti d’une pochette tout bonnement somptueuse et de textes poétiques à la fois simples et touchants (John Helmer signant ses plus paroles), « Carnival Of Souls » nous offre ainsi une succession subtilement agencée de petits poèmes tendres et ingénus et de fables douces-amères aux arrangements subtils et ouvragés. Sublimés par des parties vocales suaves et raffinées, évoquant tour à tour Julianne Regan, Suzanne Vega ou la chanteuse des Sundays, les dix instantanés mélodiques gravés sur ce CD respirent l’éclectisme et l’intelligence. Si le rock atmosphérique épuré et nostalgique dont Steve Rothery se fait le chantre depuis l’aube des nineties est, en toute logique, de la revue (le classieux morceau d’ouverture « Evergreen », au refrain à la All About Eve et au solo de six-cordes reconnaissable entre mille, ou l’excellent « Nightwater » dont les climats évoquent puissamment « The Bell In The Sea »), le combo cultive également savamment l’art du dribble chaloupé et n’hésite pas à nous surprendre en allant piocher ses cartes dans des donnes très variées.
Entre comptines enfantines empreintes d’une touchante naïveté (l’évanescent « Starfish », renouant avec le « vert paradis des amours enfantines »), épanchements bluesy joliment troussés (« Night Of The Hunter ») et ballades feutrées tirées à quatre épingles (le discrètement jazzy « Midnight Snow » ou l’aérien « The Dance », au romantisme clair-obscur), The Wishing Tree tourne résolument le dos aux clichés progressifs les plus éculés pour nous pondre une œuvre colorée, lyrique et sensuelle, qui ne déroutera guère que les Ayatollahs les plus psychorigides.
Un bel album, donc, qui nous démontrait haut et fort (mais en était-il réellement besoin ?) que l’ami Rothery possède décidément plus d’une corde à son arc et n’a sans doute pas fini de nous surprendre et de nous séduire. Concernant le devenir du projet The Wishing Tree, il faudra attendre 13 ans avant qu’un prolongement musical soit donné, avec un nouvel album paru en 2009 intitulé « Ostara » . Mais ça, c’est une autre histoire…
Bertrand Pourcheron (8/10)
Entretien avec Steve Rothery
Propos recueillis par Bertrand Pourcheron en septembre 1996 pour Harmonie Magazine
Bertrand : Peux-tu nous retracer brièvement la genèse du projet The Wishing Tree?
Steve Rothery : Et bien, ça fait déjà cinq ans que l’idée de monter, en parallèle à Marillion, un combo incluant une chanteuse me trottait dans la tète. J’avais d’abord envisagé de bosser avec Julianne Regan d’All About Eve. Pour tout un tas de raisons, cette collaboration n’a malheureusement pas pu aboutir. Les choses ne se sont, dieu merci, pas arrêtées là. J’ai, en effet, eu la chance de croiser la route d’Hannah il y a quelques mois de cela, à l’issue d’un concert de Marillion. Sa rencontre a été pour moi une véritable révélation, et c’est à partir de ce moment là seulement que The Wishing Tree a commencé à vraiment prendre forme.
Bertrand : Peux-tu nous en dire plus sur le background musical d’Hannah ?
Steve Rothery : Oh, tu sais, elle est vraiment toute nouvelle dans le milieu. Elle s’est jusqu’à présent, contentée de jammer pour le fun avec quelques uns de ses amis, originaires comme elle de Bristol. Après notre première rencontre, elle m’a fait parvenir une maquette de reprises guitare/chant de morceaux d’All About Eve et Tori Amos, et je dois t’avouer que j’ai immédiatement flashé sur sa voix. J’ai tout de suite eu le sentiment d’avoir déniché la perle rare et, à partir de là, tout s’est passé très vite…
Bertrand : C’est-à-dire que vous vous êtes mis à maquetter les premières compos de « Carnival Of Souls » séance tenante…
Steve Rothery : On peut présenter les choses de cette manière (rires). Le courant est tellement bien passé entre nous que nous nous sommes effectivement très vite attelés à l’écriture de l’album des Wishing Tree.
Bertrand : Voilà un nom de groupe ma foi fort poétique. A-t-il une signification symbolique particulière ?
Steve Rothery : Oui, tout à fait. Le choix de ce patronyme m’a été inspiré par un film tourné en 1976 par le réalisateur géorgien Tenghiz Abdulaz. Il s’agit d’une grande fresque romanesque qui, sur fond de révolution russe, retrace une histoire d’amour particulièrement tragique. L’un des personnages du film est un simple d’esprit auquel une diseuse de bonne aventure a révélé l’existence d’un mystérieux « Wishing Tree » (NDLR : « arbre aux souhaits » en français) doté de pouvoirs magiques. Cet homme consacrera son existence à la quête de ce Graal végétal avec le secret espoir que sa puissance surnaturelle lui permettra de retrouver la seule femme qu’il ait jamais aimée.
Bertrand : C’est vraiment une très belle histoire. T’en es-tu servi comme trame conceptuelle le lorsque tu as composé « Carnival Of Souls » ?
Steve Rothery : Son atmosphère mystérieuse et romantique m’a bien évidemment inspiré. Ceci étant, au-delà de l’apparition récurrente du personnage du « Syrup King » sur « Midnight Snow » ou « Thunder In Tinseltown », « Carnival Of Souls » n ‘est pas vraiment un concept-album au sens strict du terme. Il s’agit plutôt d’une collection de nouvelles ayant pour point commun les thèmes de la trahison et de la séparation amoureuse. Les paroles écrites par John Helmer sont au demeurant admirables, pleines de poésie et de mélancolie. Ce sont elles qui m’ont guidé lorsque j’ai composé la musique et les mélodies vocales de ce disque, ce qui est une expérience plutôt nouvelle pour moi. Avec Marillion, on a en effet plutôt tendance à écrire la musique avant les textes…
Bertrand : Justement, quelles sont à ton sens les principales différences en termes d’approche artistique entre Marillion et The Wishing Tree?
Steve Rothery : Je crois franchement que ces deux groupes n’ont pas grand chose en commun (rires). Je considère The Wishing Tree comme une bouffée d’air frais qui me permet d’exprimer, en marge de Marillion, une facette différente de ma personnalité. Tu sais, il est vraiment très agréable de pouvoir composer en toute liberté la musique que tu aimes, sans avoir toujours à te soucier de ce que les gens attendent de toi. Alors, certains seront sans doute surpris en écoutant cet album parce que cela n’a vraiment rien à voir avec le trip habituel du guitariste virtuose désireux d’en mettre à tout prix plein la vue…
Bertrand : Pourrais-tu nous définir, en quelques phrases, l’identité musicale de The WishingTree ?
Steve Rothery : Et bien, je crois que l’on joue un rock mélodique très nostalgique, basé sur la recherche permanente de l’émotion … Mais le mieux serait peut-être que je te présente une par une les différentes compositions gravées sur « Carnival Of Souls » ?
Bertrand : Oui, si tu veux …
Steve Rothery : Alors, c’est parti (rires). L’album s’ouvre donc sur « Evergreen », le premier morceau sur lequel j’ai bossé avec Hannah dans les semaines qui ont suivi notre rencontre. C’est un titre très cool dont j’avais déjà jeté les bases dès 1986. La chanson suivante, « Starfish », est une comptine toute simple, avec une très jolie mélodie et des paroles douces-amères emplies de mélancolie. L’on passe ensuite à « Nightwater », qui est, en quelque sorte, une version recolorisée de « The Bell In The Sea », une des premières pièces composées par Marillion au moment de l’arrivée de Steve Hogarth. Le morceau suivant, « Hall Of Memories », est, une fois encore, construit autour de superbes textes et rend hommage à l’univers musical de Joni Mitchell. Les deux compos qui lui succèdent explorent, quant à elles, des horizons sonores dans lesquels je ne m’étais jamais aventuré avec Marillion. Le premier, « Midnight Snow », constitue au demeurant à mon sens un des classiques de l’album. Quant à « Night Of The Hunter », il s’inspire du film « La Nuit Du Chasseur» avec Robert Mitchum dont un remake fameux (« Les Nerfs à Vif ») a été tourné récemment avec Robert De Niro dans le rôle principal. L’on passe ensuite à « Pure Bright », conçu comme un nouvel hommage à Joni Mitchell. La pièce suivante, « Thunder In Tinseltown », sur laquelle ma femme Jo assure quelques backing vocals, constitue l’un des temps forts de « Garnival Of Souls », avec une ligne mélodique très lyrique et des paroles extrêmement émouvantes. « Empire Of Lies » et « The Dance » (dont les lyrics constituent le pendant littéraire de la toile « The Lady Of Shallot » du peintre pré-raphaëlite John William Waterhouse) clôturent pour leur part l’album sur des climats assez proches d’All About Eve. Voilà, je crois que je t’ai à peu près tout dit (rires)… Une autre question ?
Bertrand : Oui, ça tombe bien (rires). Tu viens de faire référence à All About Eve. Est-ce que ce groupe constitue pour Hannah comme pour toi une référence majeure ?
Steve Rothery : Oui, tout à fait. On a vraiment flashé sur leurs deux premiers albums…
Bertrand : De nombreux titres de « Carnival Of Souls » possèdent un feeling très celtique. Que penses-tu du revival actuel de la celtitude ?
Steve Rothery : Je trouve ça plutôt chouette. Ayant grandi à Whitby, un petit port de pêche du vieux Yorkshire traditionnel, toute mon enfance a été bercée par le folklore anglais et irlandais, et j’ai, depuis lors, gardé une affection particulière pour ce style musical. Le « Harrys Came » de Clannad constitue ainsi l’une de mes œuvres favorites.
Bertrand : Pour en revenir à des considérations plus personnelles, je trouve que la pochette de l’album des WishingTree possède un design très « classieux ». Peux-tu nous en dire plus sur sa conception ?
Steve Rothery : Oui, bien sûr. Le booklet du CD a été réalisé par les studios Vivid Images. Je leur ai filé un cliché (la photographie est l’une de mes grandes passions) et je leur ai demandé de s’en servir afin de développer un concept visuel original et expressif, dans la lignée des travaux d’un Neil Gaiman (l’illustrateur de la BD « L’homme de Sable »), d’un Neil Jordan (cf. le film « La Compagnie des Loups ») ou d’un Bob Carlos-Clarke (NDLR : célèbre photographe d’art britannique). Je dois t’avouer que je suis très satisfait du résultat final…
Bertrand : Quels sont, à court et à moyen terme, les principaux projets de The Wishing Tree?
Steve Rothery : Nous comptons tout d’abord sortir en janvier prochain un CD single contenant des morceaux inédits. On va, durant la même période, essayer de donner le maximum possible de showcases acoustiques en Angleterre et sur le continent. Pour le reste, on publiera sans doute une vidéo courant 1997 avant de bosser sur un nouvel opus studio. Quoiqu’il en soit, Marillion reste la priorité des priorités…
Bertrand : Justement, où en est le nouveau Marillion ?
Steve Rothery : Et bien, les choses sont en très bonne voie (rires)… Je pense que les sessions d’enregistrement devraient s’achever fin novembre. L’album s’intitulera sans doute « Strange Engine ». Tout ce que je peux te dire pour l’instant est qu’il contiendra une sélection de morceaux extrêmement variés et mélodiques. Tu verras, il y a quelques séquences vraiment très fortes. Je pense que les fans vont aimer…
Bertrand : Pour quelles raisons as-tu décidé de monter ton propre label, Dorian Records ?
Steve Rothery : Castle Communications nous laissant toute latitude pour sortir nos projets solo comme bon nous semble, j’ai pensé que monter cette structure serait une bonne chose. Cela me permettra non seulement de publier les albums de The Wishing Tree dans les conditions que je souhaite mais également de donner une chance de large diffusion discographique à des combos prometteurs méprisés par le big business. Tu sais, les majors sont gérées par des comptables qui ne comprennent pas grand chose à la musique. La seule chose qui intéresse ces gens-là, c’est de gagner un maximum de fric en un minimum de temps…
Bertrand : Quelles sont les premières formations qui vont profiter des services de Dorian ?
Steve Rothery : On va commencer par publier, d’ici à la fin de l’année, les nouveaux disques de PTS et de Mr So and So. Le CD solo de Mark, prévu pour début 1997, sortira également chez nous. Pour le reste, rien n’est encore décidé de manière définitive à ce jour…
Bertrand : Steve, as-tu un dernier message à adresser à tes fans français ?
Steve Rothery : Et bien, je me languis de tourner dans votre pays, que ce soit avec The Wishing Tree ou avec Marillion. A bientôt, donc…
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