The Bug – Fire
Ninja Tunes
2021
Jéré Mignon
The Bug – Fire
Qui suis-je pour juger ? C’est vrai, du haut de mes dix doigts qui tapent sur un clavier, qu’est-ce que je suis au final ? Aligner quelques mots sur de la musique qui me plaît… ou pas. Difficile est ma relation avec toute forme musicale depuis maintenant presque deux ans. Quelle est la place d’un chroniqueur en ces temps troublés, synonymes de délations, suspicions, conspirations en tout genre, racisme arboré, paroles de charlatans, revenant d’une pseudo résistance opportuniste, fumeuse et malhonnête…
Aussi, maintenant, j’y reviens, qui suis-je pour juger du travail de Kevin Richard Martin ? Alors que ce dernier sort, après sept ans de silence, un nouvel album de son alias The Bug si on excepte l’album collaboratif avec le papa du drone/doom The Earth en 2016 ou celui avec Dis Fig sorti en 2020. Plus que tout, la musique de Martin est la personnification de ce que nous traversons. Solitude forcée, dépression, mise à mal des valeurs, colère intériorisée et j’en passe etc… Quand le britannique de naissance nous laisse en pagaille des albums aussi introspectifs que minimalistes pour soirée illusoires et pathétiques nous ramenant simplement à ce que nous sommes, ce n’est pas seulement lui… C’est nous… Au travers de sa palette de sons empruntant à l’ambient, musique de films, drone, trip-hop, hip-hop, grime, dancehall, raggamuffin etc… Martin parle autant à nous qu’il emprunte le chemin de la musicothérapie personnelle.
Fire c’est l’abréaction, l’incendie, le débordement d’un trop plein de frustrations. Presque deux ans d’isolement dans une situation sanitaire, sociologique et idéologique qui nous dépasse. Imaginez seulement… Si les albums en ligne sont le signe de l’isolement, Fire est celui des retrouvailles, du contact, du toucher et de la friction. Pas un seul titre sans qu’il n’y ait un invité, un ami, une présence. The Bug a ouvert les vannes et laissé le ressentiment grossir les rivières et inonder les rives. C’en est trop, ça dégueule. L’ambiance est pesante, dark, quasi morbide par instant. Les basses, ces PUTAINS de basses ! Intrusives, physiques, quittant l’espace d’un instant ce chemin de traverse plus insidieux pour revenir à des fondamentaux qu’on n’avait pas entendu depuis London Zoo... Et Kevin Martin de laisser défricher ses propres terres. Pas un titre, je dis bien pas UN SEUL titre n’est a jeté. De l’avalanche de tubes en puissance de London Zoo aux parties les plus atmosphériques de Angels & Devils, Fire a tout d’une bombe à fragmentation résonnante et vociférante. Des exemples ?
Quand je croise un SDF au détour d’une rue, c’est le reggae dans sa plus sombre incarnation qui apparaît.
Quand je croise des connards dans le métro ou ses couloirs, c’est la grime dans sa personnification la plus primaire et viscérale qui saute à la gueule.
Quand j’entends le flow de Flowdan, je me retrouve dans ces rues vides où j’ose à peine hurler ma rage, préférant l’intérioriser pour la laisser exploser dans ma cave… Parce qu’il faut bien garder un statut, une manière d’être, loin de la plèbe, des réseaux sociaux virulents et des canaux nauséabonds. Quand Fire tinte, ça résonne et éclate en moi dans le surplus dont on doit s’accommoder et malgré tout… Vivre… Kevin Richard Martin ne propose que ça… Vivre, tenter d’exister dans une agglomération purulente et vérolée. Plus urbain que ça, mis à part Zonal, je ne vois pas…
Alors comment juger ? Comment émettre un avis sur un album qui compartimente, enregistre, régurgite tout ce que la société a de plus pourrie ? Et qui, en plus, fait écho à ce que l’on vit. C’est aussi terrifiant que purgatif, voire laxatif. Fire fait l’effet d’une décharge qui irradie d’abord le lobe frontal pour ensuite poursuivre sa route le long des bras, du bassin et des jambes jusqu’aux orteils. Il commence et se termine sur les intonations poético-morbides de Roger Robinson, déjà à l’œuvre sur King Midas Sound quand ce n’est pas Moor Mother, au sein d’intonations psalmodiées bourrées d’échos sur l’excellent « Vexed », Flowdan ou Logan qui prennent part (entre autres) à cette réunion de famille qui ne demandait qu’à s’étendre comme une mauvaise herbe. Une retrouvaille furtive, distancielle mais réelle et impatientante sur bande, c’est là que The Bug prend tout son sens et sa vindicative. Peu importe l’âge de Kevin Martin resté coincé dans un look de lycéen. Dans sa solitude, il n’a jamais AUTANT compris ce qui nécrose la société. Fire est un pamphlet, un cri venant du cœur de la part de quelqu’un qui ne l’ouvre jamais ou rarement par son sound-system. Parce que si certains s’expriment mieux par le dessin, l’art ou la connerie, Richard Kevin Martin a choisi la voie du son, des imbrications rythmiques, des déflagrations subites, de fragments bruitistes condensés, de l’invitation entre dancehall, hip-hop et musique industrielle. Prenez le personnage, laissez-le mijoter et comme un bouton d’acné trop gros, Martin crève l’abcès à deux doigts pour laisser son pus se répandre mais, par contre, jamais je ne remettrai en doute son honnêteté et sa démarche. Parce que plus sincère que ce mec qui a connu l’injustice et la misère digne d’un Ken Loach (ne dit-il pas que ces rythmiques ont été influencées par les tabassages de sa mère par son père.…), y a pas. Mais, que voulez-vous, la mémoire collective est périssable et facilement oubliable.
Et bien, dans ce cas, n’oubliez pas Fire, The Bug, Kevin Richard Martin dans sa nouvelle allégorie d’un monde de merde.
https://thebugmusic.bandcamp.com/