The Brothers Comatose – Golden Grass
Swamp Jam Records
2025
Thierry Folcher
The Brothers Comatose – Golden Grass
Les Bro Co (diminutif de Brothers Comatose), cela fait maintenant plusieurs années que je les suis avec toujours autant de plaisir et d’assiduité. Chacune de leurs publications (essentiellement sur YouTube) est vécue avec la même intensité que des retrouvailles entre amis. Des rendez-vous seulement motivés par la musique et les bons moments passés ensemble. Pour moi, ils représentent l’histoire, les racines et la magie d’un monde fantasmé depuis l’enfance. Nous autres européens, vivons l’Amérique par procuration, mais curieusement, malgré la distance et le manque de repères, c’est avec un fort sentiment d’appartenance que cette passion se vit et se bonifie au fil du temps. Peut-être parce que le bluegrass et l’americana puisent leurs sources dans des musiques venues du vieux continent. Bref, je me sens Bro Co et personne ne pourra me le reprocher ou le contester. Ce sympathique quintet s’est construit du côté de San Francisco autour des frères Ben et Alex Morrison (respectivement guitare, banjo et chant). Un duo de frangins complété aujourd’hui par Philip Brezina au violon, Steve Height à la contrebasse et Addie Levy à la mandoline et au chant. Nous sommes en Californie du Nord et cela a son importance. Les décors sont montagneux et le climat pas toujours au beau fixe. Un contexte idéal pour de chaleureuses rencontres et le partage de bonnes bières (« IPA Song »). Chez les Bro Co, la bonne humeur est de mise et cela se ressent lors de passages sur scène à l’enthousiasme, pour le moins, contagieux. J’ai presque envie de dire que leur musique est très simple, mais ce serait faire preuve d’un manque évident d’approfondissement, car Golden Grass possède de réelles qualités d’écriture et d’interprétation. On le verra plus loin, mais les harmonies vocales, les arrangements et la production sont très inventifs et d’excellent niveau.
La démarche des Bro Co n’est pas compliquée. À l’instar de formations comme AJ Lee & Blue Summit ou Molly Tuttle, elle s’appuie sur un bluegrass très classique auquel se greffent des éléments folk et rock beaucoup plus dans l’air du temps. Une méthode bien rodée qui permet d’allier tradition et modernité sans tomber dans la trahison ou le simple réchauffage. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ça marche du tonnerre. Les titres sont rapidement assimilés tout en restant très attractifs dans l’écriture et la diversité. Alors, qu’est-ce qu’on entend dès les tous premiers instants du disque ? Tout d’abord un son clair et enveloppant, résultat des prouesses de Greg Holden et de Tim Bluhm à la production. C’est certainement grâce à cette qualité de travail que l’on peut encore ressentir de vrais frissons en écoutant cette musique. Golden Grass est le cinquième album des Brothers Comatose et à mon sens le plus réussi. Cela vient peut-être de l’arrivée en 2024 de la charmante Addie Levy au sein du groupe. Son apport féminin ainsi que ses qualités vocales et instrumentales en font une véritable valeur ajoutée aux chansons des frères Morrison. Le morceau-titre « Golden Grass » (le bluegrass de la côte ouest) commence donc par une belle démonstration de guitare folk illustrant un discours d’invitation à cette musique si proche et si différente des fondements habituels (« Way out west, we do it differently untraditionally… » « Loin à l’ouest, nous faisons différemment, de manière non traditionnelle… »). D’entrée, les choses sont claires et au fil des écoutes l’auditeur gardera en mémoire cette mise au point très utile à la bonne perception du monde des Brothers Comatose.
La fougue installée sur « Golden Grass » se poursuit avec le bien nommé « Run Boy Run ». Une belle métaphore orageuse sur la vie que la musique dans son affolement assumé rend très explicite. Le chant et le banjo d’Alex Morrison lancent les hostilités et la contrebasse de Steve Height assure le tempo. Donc pas de véritables percussions, mais tout le monde sait se servir de son instrument comme d’une caisse de résonance très efficace. Une des grandes attractions du disque est le partage du chant. On vient de le voir, c’est Alex qui a succédé à son frère et sur le poignant « Home Again », c’est au tour de Ben de partager le micro avec la délicieuse Lindsay Lou. Une chanson mettant en scène un couple en plein désarroi face aux incendies de forêt qui ont ravagé leur cadre de vie. On le sait désormais, la nature est omniprésente, mais les amis aussi. À l’image de « IPA Song », cet hymne humoristique dédié à la fraternité, aux traditions et au rejet des bières trop fortes. On passe de la bière au vin avec « Huckleberry Wine », pour moi une de mes chansons préférées. La guitare et le banjo jouent avec finesse et les variations vocales sont particulièrement émouvantes. Pas besoin d’empilage ni de surenchère, juste une ligne mélodique et du talent pour arriver à ce résultat. Facile à dire, mais difficilement réalisable. Nous voilà à mi-chemin et le temps de retourner la galette, ce sont les brumes de « Blue Mountain » qui nous accueillent. Décor fantastique permettant à Addie Levy de s’exprimer en solo avec une remarquable aisance. C’est aussi le bon moment pour relever le travail de Philip Brezina au violon. Le son « Comatose » lui doit beaucoup et son jeu virevoltant n’est certainement pas étranger au décollage quasi systématique de la musique.
Le voyage se poursuit avec deux autres très belles chansons. Tout d’abord, le tendre (mais un peu court) message d’amour de « Runnin’ On Back To You ». Ici, les douces harmonies vocales sont à l’image du texte et donnent une réelle impression de communion entre les musiciens. Les frissons sont garantis et je peux vous assurer que « 25 Miles » qui suit juste après ne fera pas retomber la pression. La coordination et le dialogue entre les vocaux de Ben et le banjo d’Alex sont ici de l’ordre d’une jonglerie peu commune. Sans oublier la précision de la contrebasse de Steve Height qui s’intercale sans effort au beau milieu d’un agencement millimétré. On arrive au bout, au pied des collines de San Francisco, pour vivre une ambiance rétro qui ramène l’auditeur aux racines de cette musique d’une beauté et d’une évidence à toute épreuve. Rien ne pourra jamais faire vaciller les ondes de joie que « Hills Of San Francisco » est capable de propager aux quatre coins de la planète. C’est « My Friend » qui assure la fermeture avec un petit coup de blues sur le passé et le temps qui passe. Discours tellement universel qu’il parle à chacun de nous et fait se rapprocher les continents et les hommes.
Le nouvel album des Brothers Comatose est presque un don du ciel. Le genre de galette qu’il faut se procurer et se passer sans relâche. Avec Golden Grass, la question de savoir si ça va bien vieillir ou si ça vaut encore le coup d’écouter cette musique en 2025 ne se pose même pas. On est dans l’évidence, le partage et la bonne humeur. Le quintet des Brothers Comatose est désormais au sommet de son art et peut allègrement franchir tous les obstacles liés à la diffusion de sa musique. Et même si elle est loin d’être à la mode, je suis persuadé que son auditoire ne cessera de grandir. Déjà, Clair & Obscur se charge modestement d’en faire l’éloge tout en espérant la voir débarquer chez nous. Mais ça, c’est une autre histoire. Wait and see, comme on dit du côté de Petaluma en Californie.
https://www.thebrotherscomatose.com/