Sunn O))) – Life Metal
Southern Lord Records
2019
Jéré Mignon
Sunn O))) – Life Metal
En entamant ce papier, j’avais oublié à tel point qu’il était difficile de parler de Sunn O))). Plus de vingt ans d’activité et le projet initié par Greg Andersson et Stephen O’Malley reste toujours propice aux avis les plus tranchés, aux interprétations les plus subjectives et perchées. Rien n’est clair. Il y a dans ce magma drone quelque chose qui remue l’esprit et les tripes sans qu’on puisse partir en métaphores et néologismes, souvent foireux. Sunn O))) a tout d’une mythologie. Un univers avec ses lois, principes, rituels, connaissances, expansions et codes, à tel point qu’on en oublie que c’est, à la base, un projet musical, peut-être l’un des plus extrême dans son concept et sa démarche mais un projet musical quand même. Sunn O))) est une sorte d’onde qui amène plus de questions que d’éclaircissements et pour certains, ben ça fait chier. C’est un contrat passé entre l’auditeur et la bête hydrocéphale auxquelles se greffent de temps à autres invités triés sur le volet… Rappelons aux clampins du fond (pas d’excuses même Télérama en parle) que le O))) du nom est muet, le groupe se nomme et se prononce Sunn, point barre (référence aux amplis du même nom). Et c’est peut-être sur cette sorte de hiéroglyphe chelou que se portent bon nombre d’interrogations… Qu’est-ce que ça peut nous foutre ? Et puis ça fait chier, quoi, ces mecs en bures qui jouent des riffs écrasants au ralenti…
Ça fait chier parce que Sunn O))) ça se vit en live comme une séance de massage par le poids de l’air entre deux plaques tectoniques (souvenirs, souvenirs…). Avec eux, on comprend que le son est tout sauf vide mais qu’il est une matière, un poids, il est vivant et il peut attaquer. C’est un problème. Deuxième souci, cette démarche aussi spartiate soit-elle peut très bien devenir redondante. C’est que Sunn O))) demande du temps : temps d’écoute, d’expérience et de recul. On peut très bien oublier un album comme il peut au contraire nous hanter. Aussi je préfère dissocier l’expérience live des sorties studios. Pourquoi ? Car c’est comme comparer une performance de la « simple » vision d’une œuvre picturale, confondre l’expérience collective et celle plus intimiste, ça n’a aucun sens (même si les deux peuvent se rejoindre, je confesse). Après, chacun est juge. Dans ce qui nous intéresse ici, Sunn O))) avait frappé un grand coup avec ce qui me semble être son coup d’éclat qu’était Monolith & Dimensions. Kannon le dernier en date montrait pour moi, jusqu’à récemment, un essoufflement avec, notamment, la présence de Attila Csihar, devenant par la force des choses plus un gimmick (amusant ou théâtral, voire les deux) qu’une valeur sûre et esthétique. Life Metal, titre aussi comique que manifeste, nous rappelle que Andersson et O’ Malley savent construire de véritables labyrinthes éthérés convoquant autant d’images liées à une culture classique et romantique qu’à un imaginaire hybride. En cela, Life Metal est intense, la densité est palpable bien que je ne vois pas un amoncellement de sonorités sombres comme manifestation d’une chimère « Lovecraftienne » (GrimmRobe Demos, ØØ Void et Flight Of The Behemoth remplissaient le contrat facile). Ici Sunn O))) vire à la contemplation avec un sens pointilleux de l’épure granuleuse.
Prenez les premiers albums du groupe mais ajoutez-y une dimension plus « attentive », moins agressive et oppressante, quelque chose de plus coloré bien que les mouvements drone me font aussi bien penser aux toiles du peintre chinois Zao-Wo-Ki qu’aux peintures monumentales de Mark Rothko. Entremêlements de couleurs, matières et d’éléments qui, on ne sait comment, arrivent à se lier sur un médium figé tout en maximisant l’imagination en s’émancipant du « cadre ». Force est de reconnaître que le drone, l’ambient (l’art ?) est une musique qui éteint le cerveau tout en faisant fonctionner à plein régime les neurones. Sunn O))) n’est en aucun cas passif mais à plus trait à une forme de spiritualité. Spiritualité et Art. Une autre piste qui relie le travail pictural de Rothko avec les descentes magmatiques de Life Metal. Car, ici, il est plus question de pistes, questionnements, hésitations et d’embranchements à prendre que d’un message pré-mâché et craché. Simple ? Embrasse mes fesses Cousin ! Si avant, je pouvais recopier des passages entiers de Lovecraft (dans d’obscures chroniques…) parce que j’y voyais la seule alternative paresseuse à une pseudo analyse-description de ce monstre, le temps faisant j’y cherche plus une raison, une conscience. Une spiritualité… peut-être et encore…
Sentiment renforcé par la présence de la violoncelliste Hildur Guðnadóttir collaboratrice de Pan Sonic, Angel, Ben Frost entre autres et de feu Jóhann Jóhannsson (sniff, putain…). Aidé de son chant ouaté aux accents médiévaux quasi liturgiques, la sonorité de Sunn O))) y gagne en dimension mélancolique strictement romantique sur la magnifique ouverture « Between Sleipnir’s Breaths » (Oui, je dis magnifique pour un titre de Sunn O))) et alors ?) ou quand cette dernière improvise un concerto hypnotique entre Tony Conrad et Arvo Pärt sur « Novae » avec son halldorophone, sorte de violoncelle, plus électrifié qu’électrique, ayant sa vie propre. Celle-ci arrive à donner vie aux peintures de William Blake (un romantique encore…), faisant ressurgir réminiscences pulsatives d’une aurore boréale derrière un nuage (authentique)… Des instants de suspensions créant vertiges jusqu’à l’emphase quasi « mystique », ce dont ne se cache nullement Stephen O’Malley. Des rivières du Styx jusqu’au plus hauts sommets du monde, Sunn O))) au travers de Life Metal, dans une quête renouvelée du son heavy, embrasse pleinement les étendues infinies qu’y s’y dégagent, tout en rendant hommage à la musique spectrale, non pas pour détruire ou engloutir mais y donner de nouvelles formes… Ajouté à cela le travail de production sous l’appui de Steve Albini (Monsieur Analogique sur bande j’emmerde-le-numérique) faisant ressortir au mieux le côté granuleux des instruments ainsi que l’immédiateté des sessions d’enregistrements, la machine mythologique Sunn O))), en plus d’être un concept (re)devient une discipline physique, une altération de la conscience (sentiment disparu ?), un langage.
Et quand on sait que la suite de Life Metal, Pyroclasts, est déjà annoncé (comme plus méditatif) pour cette même année 2019, autant dire que l’excitation atteint le point orgasmique de cette dissertation (sic). 2019 serait-elle l’année du drone ?
Réponse le 25 octobre…
https://sunn.southernlord.com/