Sumer – The Animal You Are
Sumer
Wild Heart Records
Comment une musique intelligemment construite peut-elle passer sous silence ? Il y a de quoi se poser la question. En fait, quels ingrédients, quelles composantes particulières d’une œuvre fait en sorte qu’on la retienne, qu’on la cautionne et lui fasse passer l’épreuve du temps et des modes en considérant le fait que les « hits » ne sont pas tous des chef-d’œuvre (la puérile chanson « Gangnam Style » et l’indigeste « All About That Base » sont des exemples du genre) ? Nous ne le saurons peut-être jamais. Et si nous parvenions un jour à le savoir, la catastrophe serait inévitable, tous les morceaux les plus populaires deviendraient des canevas, des moules et des emporte-pièces. Les producteurs à succès s’en frotteraient le ventre, gras et ventrus de triomphe, avec comme seul défi celui de faire du profit. Tout aurait la même odeur, la même saveur fade, tout serait monochrome et monotone, les artistes se ressembleraient tous les uns les autres, ne formant qu’une masse lisse et sans relief. Ce serait l’enfer des amoureux de musique underground, de la fusion des styles, de la musique passionnée où l’expérimentation et l’exploration sont les principaux créneaux. Et, si cet enfer existait déjà, brûlant de son feu maudit au sein des palmarès, des émissions axées sur la fabrication de vedettes instantanées, des radios populaires et de la promotion outrancière des artistes surfaits dont l’image prévaut sur l’intelligence de leur musique ?
Fort heureusement, la plupart des groupes de metal et de progressif échappent au cercle infernal de la musique outrancièrement « radio-friendly » dont on nous gave. C’est le cas de Sumer, un groupe émergeant du Hampshire en Angleterre dont l’origine date du début de la décennie. D’un genre fait de compromis, la musique du quintet se situe à mi-chemin entre un metal commercial et un metal intelligent dans la veine du « métal métaphysique » auquel nous ont habitué Tool et Karnivool, de même que quelques nouveaux noms tels que Tacoma Narrows Bridge Disaster, Sullen, Moving Atlas, Breaking Point, Paranova et Socionic. D’une mathématique irréprochable, l’album « The Animal You Are » rend compte de l’efficacité d’une musique pesée et sentie qui ne nécessite pas de prouesses techniques ni d’apparats.
Comme pour le nu metal post-2000 en général, chaque morceau de l’album se résume à quelques accords très simples et répétés ornés par la savante utilisation d’une batterie constituée essentiellement de savants jeux de toms. Les parties de cordes, assurées par deux guitares rythmiques à l’unisson, quant à elles, forment un rideau de bruit très dense puis sont mises en relief par la présence d’une troisième guitare qui exécute les segments très « math rock » insinués dans chaque piste.
Si l’instrumentation générale semble élémentaire et épurée a priori, elle n’en est pas moins complexe lorsqu’on s’y attarde. À l’instar du légendaire et inimitable groupe Tool, Sumer semble ériger ses fondations sur la lettre Phi (le fameux nombre d’or), en un complexe de perfection et de proportions mathématiques qui plait à l’oreille de par son harmonie sonore et l’équilibre de son rythme. En ce sens, le métal du groupe anglais est travaillé et précis comme une mécanique d’horloger. On peut également cerner dans chaque morceau une volonté de parfaire sur 4 ou 5 minutes, un thème annoncée dès les premières mesures.
L’ensemble de l’album est à écouter sans interruption et sans saut de piste. L’enchaînement entre les titres est d’ailleurs parfait, chose qu’on ne constate généralement que dans les albums-concepts où les transitions y sont primordiales. Ici, le soin est constamment apporté aux introductions de chaque morceau. La guitare, toujours truffée d’effets, guide la parade en entamant une mélodie en boucle qui gradue de mesure en mesure avec une basse et une batterie monolithique, juste et toujours à-propos. Très planants, les premiers morceaux de l’album sont d’une sonorité profonde et éthérée voisine du post-rock, tout en étant lourds et rythmés. L’intensité y est constante, mais d’une énergie plus sidérale que tellurique, comme soutenue par une force invisible et latente.
Les voix de Ian Hill et Tim Bonney, parfaitement synchronisées, contribuent également à rendre le tout harmonieux, sensible et profond. Les membres du groupe hésitent d’ailleurs à se catégoriser comme groupe de metal, considérant que leur musique n’a rien de brutal ou de violent (à ce compte, il faudrait les mettre avec Deftones dans une catégorie à part, ce qui serait particulièrement ridicule puisque le métal peut bien être sensible s’il le veut). Malgré sa maigre expérience, l’avenir de Sumer paraît assuré. La formation britannique est à tout le moins porteuse de promesses. Avec une batterie et des guitares très présentes, la musique du groupe possède toutes les qualités d’un vrai métal pour les puristes, tout en étant accessible pour les radios et le grand public. C’est là la formule pour gagner le plus large public.
Bien entendu, ce type de musique ne peut profiter de son effet optimal qu’en bénéficiant d’un travail de réalisation impeccable. Une mauvaise ingénierie du son rendrait d’ailleurs banal et quelconque ce genre d’ensemble. Avec ce premier album, Sumer atteint déjà un sommet dans la qualité d’une production où les subtiles notes et effets de l’arrière-plan sonore sont aussi soignés que les composantes du plan principal, c’est-à-dire ce que l’on entend sans effort à la première écoute. On s’explique cependant très mal le choix de Sean Douglas en tant qu’ingénieur de son et producteur lorsque l’on réalise qu’il est le maître d’œuvres derrière certains grands noms de la pop tels que Madonna, les Backstreet Boys, David Ghetta et Will Miles, de même que quelques groupes obscurs du rock britannique tels que Django django, Gravelrash et The Franklys, un groupe de rock garage féminin. Force est d’admettre que la filiation de Douglas avec le pop bonbon peut en rebuter certains (et j’aurais été tenté d’être de ceux-là), mais il n’en demeure pas moins un ingénieur de son hors-pair. Il ne suffit qu’à écouter « The Animal You Are » pour s’en convaincre.
De mes coups de cœur pour l’année 2015, je crois que le premier album de Sumer est en tête de liste aux côtés des plus récents albums de Sullen, Between The Buried And Me, Northlane, Dave Kerzner et The Sun Explodes. Le comparatif veut tout dire ! Et puis, d’ailleurs, si les albums « Aenima » et « Lateralus » du groupe Tool vous ont donné des frissons, il n’y aucune raison que vous restiez de marbre à l’écoute de ce petit bijou de la musique progressive! En attendant que le groupe ne termine l’album que nous attendons depuis bientôt 9 ans, vous pouvez toujours vous rabattre sur ce petit chef-d’œuvre du Hampshire, question de contenir votre impatience et de découvrir une musique qui vous fera taper du pied et secouer la tête.
Dany Larrivée
http://www.sumerband.uk/
Chronique parue également dans le Webzine québécois Daily Rock.
Merci beaucoup pour votre chronique, qui m’a permis de découvrir Sumer via leur Bandcamp !
Excellent groupe !!
Par contre, on retrouve votre chronique ici :
http://www.daily-rock.ca/sumer-demonstration-du-metal-metaphysique/
Effectivement, chaque site fait référence à l’autre…
Merci encore pour la découverte, et sorry pour ce commentaire peu constructif… 😉