Steve Shehan – Hang With You

Hang With You
Steve Shehan
2013
Naïve

Steve Shehan – Hang With You

Artiste planétaire s’il en est, esthète voyageur avide de rencontres authentiquement humaines, compositeur multi-instrumentiste de génie, poète des rythmes et des vibrations sonores, Steve Shehan revient sur le devant de la scène en publiant chez Naïve « Hang With You », un album fleuve passionnant et haut en couleurs. S’il devient inutile de présenter notre artiste touche-à-tout et son incroyable parcours (Steve Shehan est en effet devenu un habitué des pages de C&O !), il convient en revanche de dire quelques mots sur le fameux « Hang », instrument phare de ce nouvel opus qui lui est entièrement dédié, et compagnon de route de Steve depuis plus de dix ans. Le Hang est l’invention géniale de Felix Rohner et Sabina Schärer, deux luthiers suisses spécialisés de longue date dans la construction de Steel Drums et, plus généralement, dans la recherche combinée en matière d’acoustique et de métallurgie. C’est leur compatriote Reto Weber, un autre rythmicien professionnel renommé dont on ne compte plus les collaborations, qui leur inspira la création de l’instrument en leur passant un jour commande d’une percussion en métal reprenant le principe de la cruche (ou « Udu »), mais avec davantage de possibilités sonores.

C’est ainsi que naquit le Hang, instrument mélodique à neuf notes (dans sa version initiale) très riche sur le plan des harmoniques, une merveille au look improbable, sorte d’OVNI qui ressemble à deux woks de cuisine collés l’un contre l’autre, et qui se joue exclusivement avec les mains (« Hang » n’est autre que la traduction de « main » en dialecte Bernois). Le son, envoûtant et textural à souhait, varie en fonction de la technique de frappe du musicien, pour un résultat se situant quelque-part entre le Steel Drum de Trinidad, l’Udu ou le Gatam Indo-pakistanais. Aussi, les possibilités de jeu sont incommensurables, surtout quand on possède plusieurs modèles de Hang accordés différemment (le constructeur propose une riche palette de gammes, issues de cultures du monde entier).

En bref, le Hang est l’instrument parfait pour qui recherche la symbiose entre rythme et mélodie. Il n’est donc pas étonnant que celui-ci ait un jour croisé le chemin de Steve Shehan, et que ce dernier l’ait ajouté à son propre arsenal en l’accommodant à toutes les sauces, que ce soit au sein du Hadouk Trio et de son style world-jazz hybride sans équivalent, ainsi que dans ses propres albums (« Awalin« , avec Nabil Othmani au chant) ou en collaboration (sur « Far & Near » du Nadishana Trio, avec Paul Simon, Youssou N’Dour, Rokia Traoré et bien d’autres encore). C’est donc tout naturellement que Steve Shehan décide un beau jour de consacrer un album à part entière à cet instrument phare de son impressionnante panoplie collectée sur les vastes sentiers du monde, avec à la clef une nouvelle œuvre originale et personnelle, formidablement éclectique et métissée, réalisée une fois n’est pas coutume avec une pléiade d’invités.

Pas moins de 19 compositions s’enchaînent dans ce « Hang With You », la majorité inédites, d’autres pas, pour un voyage de plus de 76 minutes d’une musique qui fusionne avec un rare brio les genres, les inspirations et les cultures. L’album s’ouvre en douceur avec le sublime « Yaar », sorte de pop-world éthérée où la suave et hypnotique pulsation du Hang couplée à d’autres percussions du maître côtoient l’ensorcelant Duduk Arménien de Didier Malherbe, les flûtes virevoltantes et enchanteresses du prodigieux Vladiswar Nadishana, les violons mystérieux d’Ugo Rabec et Virginie Basset, et enfin, un texte en langue persane tantôt déclamé tout en murmures et tantôt chanté par la jeune et talentueuse actrice Iranienne Golshifteh Farahani. On pense un peu à l’univers et à l’esthétique si particuliers du David Sylvian de « Rain Tree Crow » ou « Dead Bees On A Cake », ou encore aux passages les plus atmosphériques et introspectifs du très beau « Smiling & Waving » d’Anja Garbarek, la fille de qui vous savez.

D’autres titres de la même veine jalonnent l’album, tels que le bien nommé « Sortilège », sorte de rêverie « ethno-ambient » entremêlant motifs mélodiques du Hang, tambour en mode chamanique, somptueux glissés de basse fretless signés Charles Lucas, sifflements de bambou et chants rituels des Pygmées du Gabon. Au rayon des nouveautés, si certains morceaux donnent dans une sorte de minimalisme instrumental ultra-expressif (« Oracle », « Solstice In Silence », le très sensuel et nocturne « Kits In Kaboul »…), certains au contraire débordent d’une énergie communicative (le jubilatoire « A Week In Iwik » avec les femmes Imhagen de Mauritanie et leurs clappements de mains si caractéristiques).

D’autres encore affichent une production particulièrement dense et touffue, tels que les étourdissants « Smoking Guns » et « Gamelhang », où l’on retrouve avec bonheur les sonorités typiques de Steve, tels que ses fameux samples d’accords étranges volontiers dissonants et d’autres déluges rythmiques faits de gongs, cruches, shakers, handrum, angklung (le « hochet » indonésien) qui pullulent sur le cultissime « Arrows » (opus sans équivalent, à la fois mythique et initiatique !) et les non moins référentiels « Indigo Dreams » et « Safar ».

L’apport du jazz reste également essentiel sur une part non négligeable du disque, tel que dans « Les Oiseaux Ne Me Dérangent Pas » où Hang et piano s’interpellent et se répondent en un étonnant dialogue enjoué, ponctué par le violoncelle tout en retenue de Charlotte Castellat. Idem sur « Amina Mundi », une composition basée sur un motif rythmique déjà entendu sur le fabuleux « Assarouf », seconde collaboration de Steve avec son défunt grand ami Touareg Bally Othmani. On retrouvera d’ailleurs la poésie en « tamachek » de cet homme merveilleux tout au long de « Djanet My Home », qui conclue le CD non sans émoi et élégance. Côté jazzy, n’oublions pas enfin le swinguant et surprenant « Toscanta Valtz », sur lequel vient s’inviter un baryton de l’Opéra de Paris !

En ce qui concernent les inévitable reprises de son propre répertoire (concept oblige), Steve Shehan nous livre une nouvelle version (la troisième !) de son mémorable et orientalisant « High Jazz », déjà présent sur « Utopies » du Hadouk Trio (leur meilleure œuvre ?) et « Awalin », où le génial et inoubliable thème se voyait alors chanté par la voix feutrée de Nabil Othmani. Ici, c’est la trompette du célèbre Ibrahim Maalouf qui est de retour, bien accentuée pour ne pas dire omniprésente, rejouant la mélodie conductrice au millimètre près en parfaite symétrie avec la Kaval Balkanique de Vladiswar Nadishana, entre deux envolées improvisées. La relecture du classique « Centaurea » (rebaptisé ici « Wild Centaurea ») se voit également enrichie au son de la trompette, souligné de quelques phrasés magiques du fameux Hulusi Chinois, le tout rythmé par l’inévitable Hang et une énorme basse acoustique venant se substituer ici au Hajouj de Loy Ehrlich.

Inutile de vous dire que la production sonore de « Hangs With You », album conçu « par le Hang » et « pour le Hang » selon les termes de son géniteur, est un nouveau travail d’orfèvre au résultat sonore aussi classieux que bluffant. Enfin, de nombreuses ambiances naturelles (oiseaux, grillons, grenouilles…c’est toute la planète qui chante ici !) viennent parachever ce tableau musical bigarré et unique en son genre, une œuvre savamment dosée et sans faute de goût, où tradition et modernité se côtoient et se confondent avec une rare beauté et intelligence. « Hangs With You » est à écouter et réécouter attentivement sans modération, car il y a de vrais trésors cachés dans ce nouvel ouvrage en forme de bilan, orchestré avec classe et raffinement par notre globe-trotter préféré.

Reste à savoir maintenant quels nouveaux « chemins vers l’autre » celui-ci empruntera à l’occasion de ses prochaines escapades créatives et musicales. Mais avec l’optimiste Steve Shehan, on peut toujours scruter l’avenir avec confiance et sérénité, donc…

Philippe Vallin (10/10)

 

SteveShehan

http://www.steveshehan.com/

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