Steve Hackett – Surrender Of Silence
InsideOut Music
2021
Thierry Folcher
Steve Hackett – Surrender Of Silence
Surrender Of Silence, le tout dernier Steve Hackett débarque en cette fin d’été 2021 et on ne pouvait, bien évidemment, l’ignorer. Mais voilà, je suis face à l’écran de mon ordinateur et je sais que si je regarde sur ma droite, je vais apercevoir tous les grincheux qui se sont arrêtés à Spectral Mornings (1979) et qui estiment que depuis, l’ami Steve tourne en rond et se contente de presser un citron « Génésien » bien juteux et puis, si je zieute sur ma gauche, il y a les intégristes qui trouveraient sa version de la « Lambada » absolument géniale. Alors bien sûr, tout ce beau monde exagère et j’aime à penser que la plupart des fans du génial guitariste se trouve avec moi, bien au milieu et en masse. Un public capable de déceler le bon et le moins bon dans chacune de ses publications. En plus de quarante ans de carrière solo, Steve Hackett n’a jamais commis d’albums catastrophiques, l’album de trop quoi ! Certains sont restés plus que d’autres dans les mémoires, mais tous reflétaient un même état d’esprit et une même volonté d’offrir une musique inspirée et parfaitement exécutée. Au-delà du personnage fort sympathique, il y a un musicien et un compositeur hors norme qui, sans tambour ni trompette, fut le seul capable d’entretenir l’esprit de la grande maison Genesis. En attendant la parution de Surrender Of Silence j’ai bien réécouté At The Edge Of Light (2019) et je peux vous dire que c’était un sacré bon album de rock avec des moments épiques (« Those Golden Wings ») de très grande classe. Alors, qu’en est-il de cette nouvelle cuvée ? Le bel élan s’est-il englué dans les contraintes physiques et morales de cette foutue pandémie ? Et bien non ! Comme beaucoup, Steve a mis à profit cette situation pour écrire, écrire encore et surtout pour enregistrer.
Tout d’abord, il nous a offert le classique (et légèrement ennuyeux) Under A Mediterranean Sky, sorti au tout début de l’année 2021. Une parenthèse instrumentale qui rejoint les Momentum (1988) et autre A Midsummer Night’s Dream (1997) dans son catalogue intime qu’il alimente régulièrement. Et puis, voilà qu’arrive le percutant Surrender Of Silence dans un emballage éblouissant à la mise en forme devenue classique. La version vinyle est superbe avec les onze morceaux sur trois faces et une belle gravure de guitare sur la quatrième. Côté musique, le line-up habituel est reconduit avec, comme souvent, quelques invités connus (Phil Ehart de Kansas notamment) et d’autres plus exotiques. Steve nous explique que ce nouvel album a une résonance « world » assumée et que son enregistrement s’est fait à distance par partage de fichiers dans ce qu’il appelle aujourd’hui son « global village » (village mondial). Pour lui, ce nouvel album est un témoignage de ses voyages autour du monde où le romantisme des lieux visités contraste amèrement avec la pesanteur ambiante. Dès la première écoute, c’est la richesse musicale qui envahit nos oreilles. Les orchestrations de Roger King sont sans pareilles (« second to none » : c’est Steve qui le dit) et le souffle dégagé par moment est impressionnant. Autre constat sans surprise, on est bien à l’écoute d’un album de guitariste, mais pas du genre Shut Up’n Play Yer Guitar de Frank Zappa, bien au contraire. Ici tout n’est que partage, équilibre et sensations diverses. Pendant presque une heure, les envolées instrumentales vont partager la scène avec le chant, des délices lointains, quelques clins d’œil à Genesis et les engagements d’un personnage à la sensibilité à fleur de peau.
Surrender Of Silence commence par le court instrumental « The Obliterati » dans un style bien connu du maestro aux mille trouvailles techniques (Eddie Van Halen avouera même que Steve Hackett était le véritable inventeur du tapping). Ce morceau donne le ton et lance l’album sur la base d’un rock à la fois puissant et symphonique. « Natalia » qui enchaîne de suite après est une évocation des crimes humanitaires vécus en Russie par un personnage imaginaire dont l’histoire tragique se répète à travers les âges. L’influence musicale est classique et rend hommage aux grands compositeurs du 19ième dans un environnement cinématographique grand format. C’est à la fois grandiose et touchant avec un Steve qui chante, ma foi, pas trop mal. Tout à fait autre chose avec « Relaxation Music For Sharks » qui démarre en effet par un léger moment de détente avant qu’une furie dévastatrice orchestrée de main de maître par un Nick D’Virgilio des grands jours ne vienne secouer l’auditeur abasourdi. Je ne voudrais pas être méchant, mais le solo de Steve risque de complexer pas mal de « metalleux » conscients du chemin qu’il leur reste à parcourir. Ce début d’album est étonnant de puissance et de diversité donnant vraiment envie de poursuivre le voyage. Et c’est en Afrique (en Éthiopie plus exactement) que Steve va poser ses valises pour nous servir un entraînant « Wingbeats », véritable hymne de la savane réunissant Durga et Lorelei McBroom dans des parties vocales de toute beauté. On ne sait pas trop à quoi s’attendre et « The Devil’s Cathedral » va encore brouiller les pistes. La paire Roger King/Rob Townsend fait une entrée coup de poing avant que Steve, Craig Blundell, Jonas Reingold et surtout Nad Sylvan ne se lancent dans le tumulte. À vérifier, mais il ne serait pas étonnant de voir ce titre décoiffant faire partie de la setlist des futurs concerts à venir.
Avec « Held In The Shadows » l’intensité ne faiblit pas. On a même droit à une incursion Heavy Metal très convaincante qui fait secouer la tête. À noter les doux parfums de « Watcher Of The Skies » et de « Stairway To Heaven » en intro. Un mix Genesis/Led Zep avec deux registres de voix qui fonctionnent à merveille. J’en profite pour citer Amanda Lehmann qui vient de publier son propre album et qui renforce ici les vocaux avec efficacité. On arrive à la perle du disque (pour moi, je précise) dont le titre, « Shanghai To Samarkand » parle de lui-même. Un détour magnifique par l’Asie où le violon traditionnel de Malik Mansurov va en faire chavirer plus d’un. Cela fait un bail que Steve voue une fascination pour ces sonorités et s’emploie à les populariser régulièrement dans son répertoire. Un mariage orient/occident réussi avec la batterie de Phil Ehart qui côtoie en toute sérénité le dutar de Sodirkhon Ubaidulloev. La dernière partie de Surrender Of Silence se distingue tout d’abord par « Fox’s Tango », un titre sur lequel la voix de Steve est méconnaissable. Cette histoire d’inégalité sociale ne pouvait se traduire que par un tempo lent et lourd et par un chant semblable à un cri de révolte. Un morceau qui sort de l’ordinaire et qui devient une curiosité à ne pas manquer. Ensuite, c’est le violon de Christine Townsend qui ouvre joliment « Day Of The Dead », une danse macabre très musicale et dont la fin prend des airs de fanfare déstructurée, presque joyeuse. Ce sont les images de tous les cataclysmes récents qui ont incité Steve à écrire « Scorched Earth », une fausse ballade pleine de crainte sur le devenir de notre planète. Ce grand voyageur tire le signal d’alarme, mais comme beaucoup d’entre nous, il est dans le constat sans pouvoir éclairer le monde d’un espoir à venir. Seule sa guitare merveilleuse brille comme un phare dans la nuit et nous envoie un « Esperanza » qui clôt avec légèreté une partition particulièrement lourde jusque-là.
Steve Hackett vient de nous proposer son 28ième album solo et la qualité est toujours là. Sa vie professionnelle et affective semble le combler et malgré la barre des 70 ans franchie, il fait toujours preuve d’une étonnante vivacité créatrice. Surrender Of Silence est un très bon cru qui restera dans les annales comme celui sur lequel il a haussé le ton. Dans une récente interview, il avoue même être désolé de ses coups de gueule, lui qui voulait faire un album divertissant. On ne lui en tiendra pas rigueur, car ses prises de position dans ses chansons sont sincères et justifiées. Et puis, vu la musique qu’il propose, on est prêt à tout accepter.