Special Providence – Soul Alert
Special Providence
Hunnia Records
Avis aux amateurs de jazz-rock et de métal-progressif, ou mieux, des deux genres mélangés : Special Providence est une révélation venue de l’est, que je vous engage à suivre de très près, pour ne pas dire plus ! Ce groupe hongrois est formé à Budapest en 2004 à l’initiative des jeunes musiciens Zoltán Cséry (claviers) et Ádám Markó (batterie), qui s’adjoindront les services d’un guitariste et d’un bassiste pour compléter leur line-up, déjà modifié depuis l’origine du quatuor. Celui-ci, toujours piloté par ses deux membres fondateurs, a publié trois albums de haute volée en comptant ce « Soul Alert », disponible à la vente depuis le début de l’année, et incontestablement sa meilleure livraison à ce jour. Le style de Special Providence, groupe encore trop méconnu malgré son incroyable talent, est un cocktail explosif de jazz-fusion et de rock progressif tendance heavy, avec entre autres ingrédients les doubles grosses caisses pétaradantes et les riffs de guitare puissants et dévastateurs. Écoutez donc le monolithique titre d’ouverture « Babel Confutions », le compact et direct « Standing Still », ou encore le morceau éponyme pour vous en convaincre ! Special Providence envoie sévère, et avec une rare subtilité.
Les influences du combo hongrois sautent aux oreilles, et parmi celles-ci, on pourra d’un côté citer quelques incontournables tels que Weather Reports, Billy Cobham, Return to Forever ou encore The Mahavishnu Orchestra, et de l’autre, le Planet X de Derek Sherinian et Vigil Donati, les américains de Niacin, Jordan Rudess solo, le tentaculaire Dream Theater et plus particulièrement son side-project instrumental Liquid Tension Experiment. Mais Special Providence va bien au delà que de reprendre des recettes toutes faites de ses héros, en ajoutant à sa propre mixture un grand nombre de sonorités électroniques modernes généralement absentes des genres pré-cités, et un savoir faire mélodique qui force le respect, et qui transcende largement la simple volonté de vouloir en mettre plein les mirettes en terme de virtuosité, pourtant bien présente tout au long de nouvel album. En effet, avec « Soul Alert », les jeunes hongrois montent encore le niveau d’un solide cran, et en ce domaine, ils n’ont plus rien du tout à envier ni à apprendre de leurs glorieux modèles.
Parmi les perles à savourer, « Asparagus » et « Incredible Flower » avec leurs parties de guitare-synthé (jouées au clavier sur le second ?) façon Pat Metheny, sonnent comme un pur ravissement et une invitation à la rêverie. Ce dernier, lui aussi en apesanteur, est agréablement ponctué de quelques séquences électroniques spatiales façon Tangerine Dream old-school, tant affectionnées par Arjen Anthony Lucassen à travers ses multiples projets (vous verrez, on dirait presque que le géant hollandais à participé à l’enregistrement du morceau !). Dans un genre carrément planant, on se délectera de « Return To Childhood », une merveille tout en finesse et en feeling, qui fait vraiment ressortir la musicalité, l’expression et le potentiel émotionnel de chacun des instrumentistes.
Et que dire de « Lazy Boy », ni plus ni moins que le le hit de l’album, avec son thème qui ne vous lâche plus dès la première écoute, son groove exceptionnel, sa structure alambiquée aux enchaînements parfaits, son exponentielle montée en puissance, sans oublier ce petit passage techno complètement inattendu, mais jouissif dans le contexte. En bref, une véritable pyramide de sensations, à l’image de l’album dans son intégralité… ou presque ! Car en effet, « Fences Of Reality », reprise avec chant et version « radio edit » du fabuleux « Lazy Boy », vient malheureusement clôturer cet opus génial de façon basique, pour ne pas dire médiocre. Il est à mon sens le seul titre dispensable du lot, car il rompt avec la cohérence de l’ensemble et n’apporte rien artistiquement parlant. Dommage que celui-ci ne soit pas tout simplement crédité en tant que « bonus track », à la limite.
Une production d’orfèvre, du zéro mauvais goût en terme de palette sonore (ah, ce piano électrique !), un degré d’inspiration mélodique (j’insiste !) qui s’élève vers des sommets inespérés, de l’originalité au niveau des compositions, un ouvrage contrasté, dynamique, et, enfin, une technique instrumentale à la pointe de l’étincelance font de ce « Soul Alert » l’un des tous meilleurs albums progressifs de l’année. C’est aujourd’hui officiel, Special Providence entre en fanfare dans la cour des grands, et l’élève dépasse même souvent le maître, qu’on se le dise ! Totalement électrisant et rafraîchissant au possible.
Philippe Vallin (9,5/10)
http://specialprovidence.eu/